Enquête administrative menée par l’employeur : pourquoi et comment ?

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Enquête administrative menée par l’employeur : pourquoi et comment ?

Fiche juridique réalisée par Lorène Carrère, avocate au cabinet Seban & Associés.
 

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Tout employeur peut être amené à mener une enquête administrative pour établir la réalité des faits qui lui sont soumis par ses agents, que cela soit en matière disciplinaire ou en cas de harcèlement moral notamment. Si aucune norme ne vient précisément encadrer cette pratique, pour autant il convient de respecter certains grands principes afin d’assurer la sécurité juridique de l’acte qui sera fondé sur les faits établis par l’enquête.

Quel est l’intérêt d’une enquête administrative ?
L’activité de l’administration se traduit par des actes dont la légalité doit être assurée afin d’une part de garantir la légalité de son action, et d’autre part d’éviter qu’ils ne soient remis en cause par le juge administratif. Ce dernier contrôle ainsi l’exactitude matérialité des faits sur lesquels la décision repose, à savoir que l’administration doit pouvoir établir la réalité de ces derniers en rapportant la preuve de leur existence par tous moyens. Cette obligation est particulièrement saillante dans le domaine de la sanction disciplinaire, la première obligation de l’employeur étant de démontrer que les faits fautifs se sont bien déroulés.
Si l’administration échoue à démonter la matérialité des faits sur lesquels repose sa décision, le tribunal administratif procèdera à son annulation, en conséquence de quoi l’agent pourra solliciter une indemnisation des préjudices causés par la décision ainsi annulée.

Qui peut la déclencher ?
D’une part, tout employeur peut de sa propre initiative décider d’ouvrir une enquête administrative pour tout acte dont il souhaiterait déterminer le contexte, notamment en matière disciplinaire. D’autre part, la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019 a créé un dispositif de signalement des actes de violence, de discrimination, de harcèlement et d’agissements sexistes dans le statut général des fonctionnaires, en créant l’article L.135-6 du Code général de la fonction publique. Les modalités de sa mise en œuvre ont été fixées par le décret 2020-256 du 13 mars 2020 qui imposait une entrée en vigueur au 1er mai 2020.
L’objectif est de créer un dispositif de recueillement de ces signalements, d’orientation vers les autorités compétentes et de soutien et de protection. Plus précisément, le décret prévoit une procédure d'orientation des agents s'estimant victimes ou témoins de tels actes ou agissements vers les autorités compétentes pour prendre toute mesure de protection fonctionnelle appropriée et assurer le traitement des faits signalés, notamment par la réalisation d'une enquête administrative.

Qui peut la mener ?
Dans la fonction publique de l’Etat, les administrations centrales disposent de corps dédiés – « les inspections générales » - qui ont pour mission notamment d'évaluer les politiques publiques, mais également d’auditer les services. C’est à ce titre qu’ils peuvent mener des enquêtes administratives.
Dans la fonction publique territoriale, ces enquêtes peuvent, depuis peu, être confiées aux centres de gestion qui ont généralement aussi la compétence de gérer les signalements.
Enfin, du fait du nombre croissant d’enquêtes devant être menées, les administrations externalisent régulièrement les enquêtes administratives pour deux raisons principales : d’une part, elles sont chronophages et nécessitent des moyens qu’elles n’ont pas toujours, et de l’autre, cela permet de garantir aux agents une impartialité qu’ils peuvent parfois remettre en question. Les cabinets d’avocat sont à cet égard des interlocuteurs adéquats à la condition qu’ils connaissent bien le fonctionnement de l’administration.

Qui et comment convoquer ?
Le périmètre de l’enquête administrative dépend naturellement de la nature des faits à établir. Dans le cas d’une une sanction disciplinaire, il sera limité aux témoins des faits fautifs, alors que pour de l’insuffisance professionnelle, toutes les personnes en lien professionnel avec l’agent concernés seront entendues, des partenaires extérieurs pouvant même être sollicités, alors que s’agissant d’un harcèlement moral généralement le service sera le périmètre pertinent.
La convocation ne revêt pas de formalisme particulier, et notamment il n’est pas nécessaire de préciser les faits sur lesquels porte l’enquête administrative. La mention de l’accès au dossier n’est pas prescrite à fin de nullité puisque la procédure disciplinaire en tant que telle n’a pas commencé : l’enquête administrative a pour objectif notamment de déterminer si elle doit être engagée.

Les agents peuvent-ils être assistés lors des auditions ?
L’audition n’est pas un entretien disciplinaire, aucune obligation ne repose sur l’administration d’accepter qu’un représentant syndical, un membre de la famille ou un avocat accompagne l’agent, et ce notamment pour les témoins puisque leur rôle se borne à faire état de ce qu’ils ont pu constater personnellement. En revanche, la question se pose avec plus d’acuité pour l’audition de la victime alléguée ou du responsable présumé. La prise en charge des frais d’avocat relèvera alors de la protection fonctionnelle, ce qui exclut de son bénéfice de prime abord les témoins.
En tout état de cause, si ce n’est pas une obligation, cela peut toujours être autorisé. Rien n’empêche par ailleurs d’entendre les organisations syndicales elles-mêmes, qui peuvent par exemple attester avoir été saisies par plusieurs agents d’un même service et révéler ainsi un dysfonctionnement.

Comment rédiger le procès-verbal d’audition ?
Il n’existe pas de modèle ni de norme visant à encadrer la rédaction des procès-verbaux d’audition. L’idéal serait évidemment d’avoir une sténotypiste qui prenne mot à mot ce qui est dit, mais le coût est dissuasif.
Que l’enquêteur cite expressément les propos de l’agent auditionné ou qu’il en fasse une synthèse, ce qui est certain c’est que les procès-verbaux doivent être signés par les agents afin d’en garantir l’authenticité. A défaut, ils ne peuvent pas être retenus, cités, exploités. A cet égard, le risque des entretiens en visio-conférence est que l’agent ne retourne jamais le procès-verbal signé.

Quelles preuves peuvent être recueillies durant l’enquête administrative ?
Devant le Conseil d’Etat, le principe est celui de la liberté de la preuve, laquelle peut donc être rapportée par tous moyens. Si la preuve est libre pour l’agent, en revanche tel n’est pas le cas pour l’employeur public, ce dernier étant soumis à une obligation de loyauté envers ses agents. Il ne peut donc se fonder, pour établir des faits fautifs, sur des documents obtenus en méconnaissance de cette obligation (CE, 16 juillet 2014, 355201), sauf « intérêt public majeur ».
C’est ainsi que sans aller jusqu’à consacrer un principe de loyauté de la preuve, comme cela peut exister en droit privé, le Conseil d’Etat a restreint la liberté pour l’employeur de rapporter la preuve de faits fautifs.
Quoi qu’il en soit, l’administration peut utiliser des constats d’huissier (CE, 27 mars 2006, 284759), des rapports de détective privé (décision de 2014 précitée), une vidéo-surveillance mise en place régulièrement (CAA Marseille, 4 mars 2021, 19MA04107), des enregistrements effectués par des tiers à l’insu de la personne (CE, 21 juin 2019, 424593) et naturellement des rapports des supérieurs hiérarchiques ainsi que les procès-verbaux d’audition résultant d’enquêtes administratives (CE, 13 novembre 2021, 438509).

Comment rédiger le rapport d’enquête administrative ?
Le rapport d’enquête administrative ne doit pas revêtir une forme particulière, aucun modèle précis n’existe. Il semble cependant difficile de s’exonérer de l’exposé de la saisine afin de déterminer le cadre de l’enquête, puis d’un rappel des textes juridiques applicables (faute disciplinaire, insuffisance professionnelle, protection fonctionnelle, harcèlement moral), pour ensuite synthétiser les auditions afin d’établir si les conditions posées préalablement sont remplies – ou non.
Le rapport d’enquête n’a pas vocation à se prononcer sur les solutions envisageables, qui relèvent uniquement de l’employeur : sanction disciplinaire, coaching, audit organisationnel…

Lorène Carrère, avocate au cabinet Seban & Associés

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