Service public de l’emploi : ce que va changer France Travail

Philippe Pottiée-Sperry
Image
Rapport France travail

Autour d'une centaine de propositions, le rapport de préfiguration de France travail doit alimenter le projet de loi « Travail ». Objectif : la création d’un nouveau service public de l’emploi début 2024. La question de la gouvernance continue d’inquiéter les collectivités.

Partager sur

Attendu depuis plusieurs semaines, le rapport de préfiguration de France Travail a été remis par le haut-commissaire à l’emploi et à l’engagement des entreprises, Thibaut Guilluy, le 19 avril, au ministre du Travail, du Plein emploi et de l’Insertion, Olivier Dussopt. Voué à remplacer Pôle emploi, France travail sera le nouveau nom du service public de l’emploi mis en place à compter du 1er janvier 2024.  

Vaste concertation
Le rapport synthétise les échanges menés lors de la concertation, lancée en septembre 2022, autour de plusieurs thématiques : communication et aller vers, diagnostic et orientation, accompagnement des personnes, formation, droits et devoirs des bénéficiaires… La démarche a voulu associer l’ensemble des acteurs : partenaires sociaux, représentants des collectivités, parlementaires, réseaux associatifs et opérateurs du service public (emploi, santé, famille). Aux groupes de travail, visites apprenantes, ateliers avec des bénéficiaires, labs de co-construction, groupe de contact avec les parlementaires et autres webinaires d’information se sont ajoutées des rencontres dans chaque région avec les préfets et les collectivités et associant toutes les parties prenantes.

99 propositions
Le rapport de 272 pages formule pas moins de 99 propositions pour dessiner la réforme du service public de l’emploi. Malgré l’engagement de nombreux acteurs (État, régions, départements, communes, opérateurs publics, acteurs associatifs et privés), « la complexité du système engendre son lot d’écueils, pour les demandeurs d’emploi comme pour les entreprises et les professionnels de l’accompagnement », souligne Thibaut Guilluy. Et de citer de nombreux trous dans la raquette, des doublons ou des ruptures de parcours.
Plusieurs propositions nécessitent un changement de la loi et devraient ainsi faire partie du projet de loi « Travail », présenté d’ici les prochaines semaines pour une discussion parlementaire d’ici cet été. 

« Inscription généralisée »
Le rapport préconise « l’inscription généralisée », le plus tôt possible, auprès de l'opérateur France Travail. Objectif : « ne plus perdre en route des personnes ». Tous les publics sans emploi seraient concernés, jeunes, seniors ou allocataires du RSA. Selon la mission, cela permettra d’éviter les ruptures et d’orienter chacun le plus rapidement possible vers l’emploi, la formation ou le parcours d’accompagnement le plus adapté à sa situation. 
L’inscription se fera en ligne, sur un portail commun ou auprès du réseau des guichets physiques des opérateurs France Travail voire de ses partenaires. Elle reposera sur des procédures communes et des outils partagés, adaptables et évolutifs. Objectif affiché : permettre l’orientation rapide vers le bon parcours d’accompagnement. 

Un vaste réseau physique
Autre proposition : s’appuyer sur un vaste réseau physique rendant accessible France Travail par un maillage « à moins de 5 ou 10 km de chez soi » sur l’ensemble du territoire. Dans le détail, les guichets France Travail seraient les 931 agences et points-relais Pôle emploi actuels, les guichets des opérateurs France Travail (près de 450 Missions locales et 7000 points de contact, 98 Cap emploi) et les guichets des partenaires France Travail volontaires (Apec, Afpa, Caf, France services, départements, PLIE, Maisons de l’emploi, CCAS, associations…). 
Visant les personnes les plus éloignées des services publics, « ces organisations pourront être conventionnées pour mener des activités d’inscription », est-il précisé pour fixer les processus, objectifs et moyens. 

Généraliser les démarches d’aller vers
Dans ses autres recommandations, le rapport Guilluy préconise la création d’un « contrat d’engagement unique », fusionnant les différents contrats existants selon les institutions, afin notamment de mieux graduer les sanctions. Il plaide en outre pour « reconduire un plan d’investissement massif de l’État sur la formation aux côtés des régions » dans le cadre d’une contractualisation pluriannuelle, priorisant l’insertion des publics éloignés de l’emploi et ciblant les métiers en tension immédiate ou à venir. Il est également proposé de financer 50 000 parcours supplémentaires minimum par an de préparations opérationnelles à l’emploi.
Par ailleurs, la génération des démarches d’aller passerait par une meilleure liaison avec les acteurs de proximité (associations de lutte contre l’exclusion, clubs de sport, associations de quartier, clubs de prévention, CCAS…). La prévention des ruptures passerait aussi par une logique d’« aller chercher » : aide à la recherche du premier emploi des jeunes en dernière année de lycées professionnels ou d’université, appui à l’insertion sur le marché du travail des primo-arrivants… 

« Choc de l’insertion »
Le rapport Guilluy recommande aussi d’intensifier l’accompagnement des personnes les plus éloignées de l’emploi, en particulier des allocataires du RSA. Ceux-ci devront s'inscrire à Pôle emploi, seuls 40% d’entre eux le seraient actuellement. Il propose des parcours intensifs dits « 15-20h » pour ceux « qui en ont besoin », avec 15 à 20 h d’activités d'insertion par semaine, sans rémunération supplémentaire, pour conserver leur revenu. Ces activités ne seront pas des heures de travail mais « des immersions d'entreprises, des stages, de la formation ». « C'est tout ce qui contribue à faire en sorte que la personne reprenne confiance en elle, qu'elle se forme et qu'elle retrouve un emploi », a précisé Thibaut Guilluy, le 19 avril, au micro de France Info. Il défend « un choc de l'insertion » passant par un conseiller « qui ait vraiment du temps pour pouvoir les accompagner dans leur parcours de retour à l'emploi ».
Depuis début avril, le gouvernement expérimente l'accompagnement renforcé des allocataires du RSA dans 18 départements (1). Le dispositif devrait être généralisée d’ici 2027. 

Gouvernance territorialisée
Le haut-commissaire à l’emploi plaide pour une nouvelle collaboration et gouvernance assurée par l’État, les collectivités et les partenaires sociaux. Retoquant la recentralisation, jugée « peu adaptée à la diversité des situations et au besoin de proximité », son rapport ne veut pas non plus d’une nouvelle décentralisation « qui ne ferait qu’empirer l’émiettement des compétences et la dispersion des efforts ». 
Il plaide pour « une gouvernance simplifiée et territorialisée de l’écosystème de l’emploi, de la formation et de l’insertion ». Il s’agirait ainsi de sortir des silos, d’agir au plus près du terrain et d’assurer un pilotage aux résultats sur la base d’objectifs partagés. 

Quatre comités France Travail
S’appuyant sur trois opérateurs (Etat, et collectivités et ensemble de partenaires), le regroupement des instances existantes se ferait au sein de quatre comités France Travail. Un par échelon territorial d’intervention (bassin de vie, départemental, régional, national) en faisant du comité France Travail local l’échelon opérationnel d’identification des besoins et de la mise en œuvre des actions. La gouvernance serait « plus opérationnelle et davantage pilotée par les résultats ». Selon le rapport Guilluy, il s’agirait d’une simplification des instances décisionnelles en regroupant les nombreuses instances existantes (plus de vingt) au sein des quatre comités France Travail.
Au niveau du bassin de vie, le comité France Travail local se composerait des partenaires suivants : région, département, bloc communal, DDETS ou DDETS-PP, France Travail, Missions locales, Cap Emploi, un proviseur de lycée, CAF, CCAS. Les CCAS seraient également représentés au niveau du comité France Travail départemental avec l’UDCCAS (union départementale des CCAS). 

Demande des régions de décentraliser l’emploi
Première association d’élus locaux à avoir réagi à la publication du rapport de préfiguration, Régions de France regrette l’absence de clarification des compétences et le choix d’« un entrelacs d’acteurs et de compétences ». Avec le risque d’une « recentralisation par les procédures et les outils de tout ou partie des politiques de l’emploi et de la formation ». Elle demande ainsi au gouvernement « une vraie clarification des compétences » estimant que « seules des compétences claires et des moyens d’agir cohérents permettront de relever le défi du plein emploi dans notre pays ». 
Continuant de défendre âprement la décentralisation de la compétence emploi aux régions, Carole Delga, la présidente de Régions de France, se dit convaincue qu’elles constituent « le bon échelon pour assurer le continuum développement économique-emploi-formation-orientation, et le continuum des parcours tout au long de la vie, quelle que soit la situation des personnes ».

Effort d’investissement de l’Etat 
L’association salue néanmoins « la nouvelle gouvernance stratégique proposée pour France Travail, avec la co-présidence État-Région au niveau régional, et un comité régional composé des membres actuels des CREFOP et autres SPER ». Satisfaction également de la même co-présidence au niveau local et de la représentation des régions au niveau départemental pour proposer des « parcours sans couture d’insertion ». 
Satisfaite de la compétence régionale confortée sur la formation, l’orientation et le développement économique, elle salue aussi l’effort d’investissement de l’Etat (2,5 Md€ par an) et de la reconduction d’un plan d’investissement « massif » État-Régions pour la formation des demandeurs d’emploi à partir de 2024. 

Confusion entre l'opérateur et le réseau 
En revanche, l’association regrette que le rapport Guilluy entretienne la confusion entre « l’opérateur France Travail » et « le réseau France Travail ». Selon elle, « les comités France Travail présidés par des élus doivent être les seuls responsables des décisions stratégiques qui s’imposeront à l’opérateur, valider ses objectifs, fixer sa feuille de route… ».  
Autre reproche formulé : l’absence de définition précise du rôle de France Travail, « omniprésent à tous les niveaux de gouvernance et présenté comme un animateur d’écosystème ». A l’instar des communes, les régions sont inquiètes du devenir des Missions locales et de Cap emploi, relégués au rang d’opérateurs spécialisés sur les jeunes et les personnes en situation de handicap. 
Régions de France rappelle aussi son attachement au quadripartisme (État-collectivités-organisations patronales et syndicales) et l’absence, pour l’instant, de garantie donnée aux régions et aux partenaires sociaux sur leur représentation au comité exécutif national de France Travail.

Autorités organisatrices pour la formation
Enfin, sur la formation, elle continue de réclamer « une décentralisation complète de la compétence » et leur reconnaissance, dans la loi, comme « autorités organisatrices de plein exercice pour la formation des demandeurs d’emploi, en lien étroit avec les partenaires sociaux ». 
Selon François Bonneau, président de la Commission Éducation-Orientation-Formation-Emploi de l’association, c’est à la condition de cette reconnaissance que « les régions seront prêtes à s’investir dans l’écosystème France Travail et à participer aux préfigurations envisagées ».

Les points de vigilance des départements
Pour sa part, Départements de France (DF) estime que le rapport de préfiguration « va dans le bon sens ». Soulignant leur « rôle majeur » en matière d’insertion dans le cadre de la gestion et du financement des allocataires du RSA, l’association demande « que les enveloppes attribuées et les montants prévus par l’État pour l’extension du dispositif soient pérennes pour permettre d’activer, durablement, de nouvelles politiques d’insertion par les départements ». « Certains points de vigilance persistent aussi sur la place des départements, les systèmes d’information, le copilotage ou les sanctions », ajoute Frédéric Bierry, vice-président de DF en charge de la solidarité et président de la CEA. 
Concernant les 18 départements expérimentateurs, Valérie Simonet, secrétaire générale adjointe de DF et présidente de la Creuse (département expérimentateur), qui représentait DF au comité des parties prenantes, juge « cette expérimentation primordiale car elle permet de faire remonter les difficultés, mais aussi les réussites, pour coller aux réalités du terrain ». Et de demander qu’elle se poursuive, probablement jusqu’à la fin 2024. « La déclinaison pratique devra se faire en fonction des retours et recommandations de Départements de France et selon les spécificités locales », souligne François Sauvadet, le président de DF. 

(1) L’Aisne, l’Aveyron, les Bouches-du-Rhône, la Côte-d’Or, la Creuse, l’Eure, l’Ille-et-Vilaine, la Loire-Atlantique, le Loiret, la Mayenne, la Métropole de Lyon, le Nord, les Pyrénées-Atlantiques, la Réunion, la Somme, les Vosges, l’Yonne et les Yvelines.

Philippe Pottiée-Sperry
Partager sur

Inscrivez-vous gratuitement à nos newsletters

S'inscrire