Covid-19 et pouvoirs de police : la répartition des rôles entre autorités centrales, déconcentrées et locales

Philippe Pottiée-Sperry
Image

La limitation de la diffusion du coronavirus « Covid-19 » passe par l’édiction de mesures de police, qui peuvent relever du préfet ou du maire. S’il n’y a pas d’ambiguïté quant à la mise en œuvre des mesures concernant les contrôles aux frontières et les quarantaines qui relève des autorités centrales, la gestion de l’épidémie au sein du territoire national met en concurrence les pouvoirs de police du maire et du préfet.

Partager sur

1 – La mise en œuvre des dispositifs de contrôles aux frontières et de quarantaines

C’est le règlement sanitaire international, adopté en 2005 par l’Assemblée mondiale de la santé de l’OMS qui constitue le cadre réglementaire global de protection contre la propagation internationale de certaines maladies. En France, ce sont les dispositions des articles L. 3115-1 et suivants du Code de la santé publique (CSP) qui prévoient l’ensemble des mesures applicables pour prévenir la propagation des épidémies.

L’article L. 3115-4 du CSP habilite ainsi le préfet à interdire la libre circulation d’un moyen de transport dans l’attente de la réalisation d’inspections, ou encore à « mettre à l’isolement ou faire procéder à la désinfection de bagages, moyens de transport, conteneurs, marchandises, cargaisons ou colis postaux affectés ».

La prévention de la propagation des maladies peut également justifier des mesures individuelles, prises par le préfet, et notamment, « l’isolement ou la mise en quarantaine de personnes atteintes d’une infection contagieuse ou susceptibles d’être atteintes d’une telle infection, sur proposition du directeur général de l’agence régionale de santé » (CSP, article L. 3115-10).

Ajoutons, enfin, que se pose également la question du contrôle de la sortie du territoire national en cas d’apparition ou de développement de l’épidémie en son sein.

C’est là l’article L. 3115-9 du CSP, qui prévoit la compétence du préfet pour édicter diverses mesures pour éviter la propagation internationale du virus. C’est lui qui organise les contrôles sanitaires aux différents points d’entrée du territoire (frontières, ports, aéroports). Il peut aussi refuser l’accès au moyen de transport aux voyageurs ayant refusé de se soumettre aux contrôles.

La mise en œuvre de ces mesures privatives de liberté est précisée aux articles R. 3115-3-1 et suivants du CSP.

 

2 – La prévention et le confinement des épidémies sur le territoire national : la répartition des pouvoirs du ministre de la Santé, du préfet et du maire

Les mesures présentées ci-dessus constituent le cadre juridique concernant l’entrée et la sortie du territoire. Se pose également la question des mesures de police visant à limiter la propagation de l’épidémie sur le territoire, une fois que le virus y circule déjà. Comme souvent dans pareilles circonstances, la limite entre pouvoirs de l’Etat, souvent représenté par le préfet, et pouvoirs du maire, reste difficile à tracer. Pour autant, chaque acteur a son rôle à jouer.

 

a – Les pouvoirs de police du ministre de la Santé et du préfet

i – Le dispositif en cas de « menaces sanitaires graves »

C’est par une loi n° 2004-806 du 9 août 2004 qu’a été introduit le dispositif consacré aux menaces sanitaires graves.

Il en découle l’article L. 3131-1 du CSP qui dispose que :

« En cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d’urgence, notamment en cas de menace d’épidémie, le ministre chargé de la santé peut, par arrêté motivé, prescrire dans l’intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population ».

Si le ministre dispose donc de prérogatives très larges, il peut, en vertu de l’alinéa 2 du même article, habiliter le préfet à « prendre toutes les mesures d’application de ces dispositions, y compris des mesures individuelles. Ces dernières mesures font immédiatement l’objet d’une information du procureur de la République ».

ii – Les mesures prévues en cas de « danger ponctuel imminent pour la santé publique »

En outre, le CSP contient, aux articles L. 1311-1 et suivants, un ensemble d’articles relatifs à la protection de la santé et de l’environnement, qui permet l’adoption de décrets en Conseil d’Etat, fixant les règles d’hygiène et « toutes mesures propres à préserver la santé de l’homme », en matière de « prévention des maladies transmissibles ».

Dans le cadre posé par cet article, donc s’agissant de la prévention des maladies transmissibles, l’article L. 1311-4 du CSP prévoit que « en cas d’urgence, notamment de danger ponctuel imminent pour la santé publique, le représentant de l’Etat dans le département peut ordonner l’exécution immédiate, tous droits réservés, des mesures prescrites par les règles d’hygiène prévues au présent chapitre ».

Notons que la notion de danger imminent a pu recevoir une lecture large, puisqu’il a été considéré, dans une affaire où le gérant d’un foyer de travailleurs migrants en avait coupé l’alimentation en eau à la suite d’un conflit avec les occupants, que l’injonction du préfet, au titre des présentes dispositions, de rétablir l’alimentation en eau avait été jugée légale par le Conseil d’Etat (CE, 23 juin 2000, req. n° 167258).

La conjugaison de ces deux articles permet de constater l’ampleur des pouvoirs dévolus à l’Etat : en cas de danger ponctuel imminent pour la santé publique résultant de la propagation d’une maladie contagieuse, le préfet est habilité à ordonner l’exécution immédiate des mesures propres à préserver la santé de l’homme, telles qu’envisagées dans le cadre d’un décret en Conseil d’Etat.

 

b – Les pouvoirs de police du maire

L’article L. 2212-2, alinéa 5 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), confie au maire, au titre de son pouvoir de police administrative générale, « le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, […] les maladies épidémiques ou contagieuses […], de pourvoir d’urgence à toutes les mesures d’assistance et de secours ».

Cet article est complété par les dispositions de l’article L. 2212-4 du même code, selon lequel, « en cas de danger grave ou imminent, tel que les accidents naturels prévus au 5° de l’article L. 2212-2, le maire prescrit l’exécution de mesures de sûreté exigées par les circonstances. Il informe d’urgence le représentant de l’Etat dans le département et lui fait connaître les mesures qu’il a prescrites ».

Si les précédents jurisprudentiels font défaut s’agissant des mesures de polices envisageables en cas d’épidémies, certains exemples permettent toutefois d’éclairer sur la latitude laissée au maire par le juge administratif.

C’est notamment sur le fondement de ces dispositions que les maires peuvent prendre des arrêtés de péril afin d’ordonner la démolition d’un immeuble (CE, 6 novembre 2013, Maire de Cayenne, req. n° 349245).

Le maire a donc un rôle important à jouer dans la prévention des épidémies sur le territoire de la commune.

 

c – L’articulation entre pouvoirs de police du maire et pouvoirs de police du préfet

En cas de carence du maire et après mise en demeure qui lui a été adressée, le préfet du département le supplée en vertu de l’article L. 2215-1 du CGCT. Cependant, la mise en demeure n’est pas un préalable si l’urgence de la situation le justifie (voir CE, 25 novembre 1994, Ministère de l’intérieur c Grégoire, Lebon tables, p. 832).

Reste à étudier une question centrale s’agissant de la mise en œuvre des pouvoirs de police administrative en matière de lutte contre les maladies contagieuses.

On a en effet vu que le maire est légitime à intervenir au titre de ses pouvoirs de police administrative générale et sur le fondement des dispositions de l’article L. 2212-4 du CGCT. En parallèle, le préfet peut intervenir en cas de « menaces sanitaires graves » ou de « danger ponctuel imminent pour la santé publique », investi en ce sens de pouvoirs de police spéciale.

En cas de concurrence de pouvoirs de police générale (donc en pratique entre l’Etat ou son représentant et l’édile), le maire doit s’abstenir de prendre une mesure allant à l’encontre de celle édictée par les autorités de l’Etat. Le maire peut cependant, depuis un arrêt fameux, « prendre sur le même objet et pour sa commune, par des motifs propres à cette localité, des mesures plus rigoureuses » (CE, 18 avril 1902, commune de Néris-lesBains).

Dans certains cas, les conditions d’intervention du maire sont encore plus contraintes. Lorsque la police spéciale de l’autorité qui en est investie est qualifiée d’« exclusive », le maire ne peut intervenir, au titre de son pouvoir de police générale, qu’en cas de « péril grave et imminent ».

Ainsi, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a considéré que l’existence de pouvoirs de police spéciale, reconnus au préfet en application de l’article L. 1311-4 du CGCT, ne fait pas obstacle à ce que le maire, en présence d’un péril grave et imminent, use de ses pouvoirs de police générale pour assurer le maintien de la sécurité publique, sauf si cet usage, hors du cas d’urgence susmentionné, a eu pour objet ou pour effet de ne pas respecter la procédure prévue par la police spéciale (CAA Bordeaux, 17 octobre. 2006, req. n° 03BX01503).

Dans le même sens, le Conseil d’Etat a autorisé un maire à interdire les cultures agricoles dans le périmètre d’un point d’eau dont la teneur élevée en nitrate menaçait les habitants de sa commune d’un péril imminent, sur le fondement de l’article L. 2212-4 du CGCT. Toutefois, le Conseil d’Etat a bien précisé que le maire « ne saurait s’immiscer dans l’exercice de la police spéciale de l’eau qu’en cas de péril imminent » (CE, 2 décembre 2009, Commune de Rachecourt-sur-Marne, req. n° 309684).

Il résulte donc de ce qui précède que les polices administratives spéciales de l’Etat, dont est investi le préfet sur le territoire de sa compétence et dont il est présentement question, sont des polices spéciales exclusives de l’Etat. Par conséquent, l’intervention du maire en vue de prévenir les maladies épidémiques ou contagieuses n’est possible qu’en cas de péril grave et imminent et donc très encadrée par le juge. Gageons néanmoins (et malheureusement) que dans la situation de risque pandémique majeur dans lequel se trouve la France, cette condition serait considérée comme aisément remplie par le juge administratif s’il venait à être saisi. Gageons également que, si des circonstances locales faisaient apparaitre les mesures préfectorales comme insuffisantes pour garantir la sécurité des citoyens, l’inaction du maire lui serait inévitablement reprochée.

Thomas Chevandier et Aloïs Ramel, avocats au cabinet Seban & Associés

Philippe Pottiée-Sperry
Partager sur

Inscrivez-vous gratuitement à nos newsletters

S'inscrire