La fonction publique, toujours un moteur d’ascension sociale ?

Danièle Licata
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la fonction publique offre toujours des opportunités de carrière mais ne remplit plus aussi sa promesse d’ascenseur social

Longtemps perçue comme un pilier solide de promotion sociale en France, la fonction publique conserve-t-elle encore ce rôle ? La question est au cœur d’une récente note d’analyse de France Stratégie, intitulée " Entrer et progresser dans la fonction publique ". Les experts analysent les leviers d’accès et de mobilité au sein des trois versants de la fonction publique (État, territoriale et hospitalière) et interrogent son attractivité notamment pour les nouvelles générations, les femmes et les enfants issus de milieux populaires.

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Si la fonction publique offre toujours des opportunités de carrière à certains profils, elle ne remplit plus aussi systématiquement sa promesse d’ascenseur social. Malgré un mode de recrutement fondé sur des concours et des règles de progression plus encadrées que dans le privé, des inégalités persistent, tant dans l’accès aux emplois publics que dans l’évolution des carrières.

Une ouverture aux catégories populaires, mais à géométrie variable
 L’étude souligne que les enfants issus de milieux modestes ont davantage de chances d’accéder à la fonction publique que d’intégrer le secteur privé à diplôme équivalent. En effet, le mode de sélection par concours réduit les barrières sociales qui peuvent exister dans le recrutement en entreprise, où le réseau et le capital social jouent un rôle majeur.
Cependant, cette attractivité varie fortement selon les administrations et les niveaux hiérarchiques : « La promotion sociale dans la fonction publique reste possible, mais elle est davantage accessible dans certaines administrations que dans d’autres » explique Clément Peruyero, doctorant en économie, co-auteurs de la note « Entrer et progresser dans la fonction publique ». En effet, les agents de catégorie C (employés, adjoints techniques, aides-soignants, etc.) sont en majorité issus de milieux populaires. Ils représentent plus de 70 % des recrutements dans la fonction publique territoriale et hospitalière. Cependant l’accès aux postes de cadres (catégorie A) est moins fréquent pour les classes populaires. Si 25 % des employés du secteur privé deviennent cadres ou professions intermédiaires, ce taux tombe à 21 % dans la fonction publique.
L’étude met aussi en avant des disparités selon les versants : la fonction publique d’État demeure la plus favorable à la mobilité ascendante, notamment via les concours internes et la formation continue, tandis que la fonction publique territoriale et hospitalière présentent des perspectives de progression plus limitées. " La fonction publique constitue un débouché privilégié pour les enfants des classes populaires, mais sa capacité à jouer un rôle d’ascenseur social varie selon les versants et les niveaux de qualification » nuance Emmanuelle Prouet, coordinatrice du rapport sur l'attractivité de la fonction publique, France Stratégie.

Une attractivité en recul chez les jeunes générations

Un autre enseignement majeur de l’étude concerne la baisse d’attractivité de la fonction publique auprès des jeunes. Alors que les emplois publics ont longtemps été considérés comme une garantie de stabilité et de progression de carrière, cette image semble s’éroder. Entre 2005 et 2020, la part des jeunes agents dans la fonction publique est passée de 23,3 % à 19,5 %, un recul significatif qui pourrait affecter à terme le renouvellement des effectifs et la diversité sociale au sein des administrations.
Plusieurs raisons expliquent ce désintérêt croissant : d’abord, une rémunération jugée peu compétitive face au secteur privé, en particulier pour les cadres et les profils hautement qualifiés. Ensuite, des conditions de travail perçues comme rigides et un manque de flexibilité dans l’organisation du travail (horaires fixes, mutations, difficulté à négocier les salaires). Enfin, une valorisation moindre de l’expérience acquise : les possibilités d’évolution existent mais sont souvent limitées à des passerelles internes, ce qui freine les ambitions des jeunes diplômés.  «Tout l’enjeu pour la fonction publique est de redevenir un employeur attractif pour les nouvelles générations en modernisant son fonctionnement et en valorisant davantage les perspectives de carrière.» avertit Johanna Barasz, Co-rapporteur du rapport sur l'attractivité de la fonction publique, France Stratégie

Les femmes, grandes bénéficiaires de la mobilité interne

L’étude met en lumière un constat intéressant : les femmes accèdent plus facilement à des promotions dans la fonction publique qu’en entreprise. En effet, près de 60 % des agents de catégorie A sont des femmes, une proportion bien plus élevée que dans le secteur privé. Ce phénomène s’explique en partie par les dispositifs mis en place pour favoriser l’égalité professionnelle : des concours anonymes et standardisés, réduisant les biais de recrutement, des dispositifs de mobilité interne plus accessibles, facilitant les promotions au sein des administrations ou encore une stabilité de l’emploi qui attire davantage les femmes, notamment dans les secteurs de la santé et de l’éducation. Toutefois, des inégalités demeurent, notamment en termes d’accès aux postes de direction et de haute responsabilité, où les femmes restent sous-représentées.

Un modèle à réinventer pour l’avenir

Si la fonction publique conserve un rôle de promotion sociale, elle est confrontée à des défis majeurs pour maintenir son attractivité et garantir un réel ascenseur social.
L’étude propose plusieurs pistes pour réduire les inégalités et moderniser les carrières publiques :
•    Renforcer les dispositifs de formation et de promotion interne, notamment pour les agents de catégorie C.
•    Revaloriser les rémunérations, en particulier pour les cadres, afin de mieux concurrencer le secteur privé.
•    Faciliter la mobilité inter-fonctions publiques, pour offrir plus de perspectives aux agents souhaitant évoluer.
•    Développer des passerelles vers le privé, afin de mieux valoriser l’expérience acquise et éviter les blocages de carrière.

 

 

Danièle Licata
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