, mis à jour le 19/06/2025 à 17h12

« La notion de territoire désirable est en train de redessiner la carte de la France »

Romain Pasquier
À la tête de la chaire TMAP (Territoires et Mutations de l’Action Publique)
Sciences Po Rennes
Image
Les Territoires désirables... une dynamique mondiale

À la tête de la chaire TMAP (Territoires et Mutations de l’Action Publique) à Sciences Po Rennes, Romain Pasquier organise la 10e édition de l’école d’été sur l’île de Groix (56), du 24 au 26 juin 2025 sur le thème des « Territoires Désirables ». L’occasion de décrypter les dynamiques d’attractivité à l'oeuvre, les fractures entre les métropoles et les villes moyennes, et les défis d’une régulation encore balbutiante.

Partager sur

Qu’entendez-vous par “territoire désirable” ?

Romain Pasquier : C’est un territoire qui suscite aujourd’hui une forte attractivité. Mais contrairement aux décennies passées, cette attractivité n’est plus seulement économique. Elle est de plus en plus liée au cadre de vie, au bien-être des populations, à la qualité de l’environnement. Cela peut générer des formes de concentration qui, parfois, créent aussi des tensions : sur le foncier, le logement, la mobilité ou les services publics.

Peut-on mesurer cette désirabilité ?

Oui, plusieurs indicateurs peuvent y contribuer : la hausse de la population, l’arrivée d’étudiants, de touristes, de travailleurs saisonniers… On est encore dans une lecture socio-économique, certes, mais cette attractivité est aussi portée par une recherche de qualité de vie. La littoralisation des populations en est un bon exemple : les gens recherchent des lieux où il fait bon vivre, travailler, se détendre. C’est une dynamique mondiale.

Quand ce basculement a-t-il eu lieu ?

Je dirais entre la fin du XXe siècle et le début du XXIe. La notion de développement durable a marqué un tournant, avec l’idée qu’il faut mieux équilibrer économie et écologie. Ce mouvement a été amplifié par la crise climatique, puis par la crise sanitaire. Ces deux chocs ont montré les limites du modèle métropolitain triomphant. Désormais, on observe un élargissement de la palette des territoires attractifs, y compris en dehors des grandes villes.

Peut-on alors  parler d’une revanche des villes moyennes ?

Oui, pour certaines. Elles arrivent à combiner qualité de service public, offres de loisirs, tranquillité, sécurité, et coût de la vie raisonnable. Cela les rend très attractives, notamment pour des actifs ou des familles qui veulent quitter les métropoles sans sacrifier leur niveau de vie ou leurs perspectives professionnelles. On le voit à Vannes, à Pau, à Albi, entre autres.

Mais ce succès a aussi un revers…

C’est le paradoxe. Ces territoires attirent, mais ne sont pas toujours armés pour absorber cet afflux. Cela crée des tensions sur le logement, le foncier, les services en haute saison pour les zones touristiques, ou encore sur l’emploi saisonnier. Il faut aussi composer avec la pression environnementale : sur les ressources en eau, sur les paysages, sur les mobilités… Et la régulation tarde à suivre.

Les outils actuels de régulation sont-ils suffisants ?

Pas vraiment. On commence à voir émerger des instruments — comme les jauges d’entrée sur certains sites naturels ou les restrictions sur les locations saisonnières — mais on est souvent dans une logique de rattrapage. Des villes comme Biarritz ou Saint-Malo tentent de s’équiper, mais les résultats sont encore mitigés. Et surtout, l’autonomie fiscale des collectivités a été réduite, ce qui limite leur capacité à agir localement.

Assiste-t-on à la fin du modèle métropolitain ?

Disons plutôt à la fin de son récit triomphant. La loi MAPTAM de 2014 représentait l’apogée de ce modèle. Mais quatre ans plus tard, les Gilets jaunes exprimaient un rejet clair de ce discours. C’était une révolte contre une transition écologique pensée pour les métropoles, qui laissait de côté le périurbain et le rural. Depuis, on sent que d’autres territoires veulent construire leur propre avenir, à partir de leurs atouts, et ne plus dépendre du “ruissellement” supposé des grandes villes.

L’État a-t-il accompagné ce changement de cap ?

Pas vraiment. On reste dans un hyper-présidentialisme très vertical. Pourtant, les crises ont montré que les territoires avaient une formidable capacité de résilience. C’est au niveau local que se sont organisées la solidarité, l’innovation, la gestion de crise. Des élus locaux de tous bords politiques essaient aujourd’hui de porter une voix différente, mais ils sont encore contraints par un État centralisateur, une fiscalité étouffante et une hyper-normativité pesante.

Quels seront les axes abordés pendant l’école d’été à Groix ?

Nous aurons plusieurs tables rondes. L’une sur le logement, évidemment. Une autre sur les coopérations interterritoriales autour des mobilités ou de la gestion des flux touristiques. Une sur la transition écologique, et une autre sur les politiques culturelles. Car la désirabilité passe aussi par l’identité d’un territoire, son patrimoine, sa gastronomie, sa langue régionale… Tout ce qui en fait un lieu singulier, distinctif.

À l’inverse, certains territoires peinent à devenir “désirables”. Pourquoi ?

Parfois, c’est une question d’image ou d’histoire. D’autres fois, c’est un problème d’accessibilité ou de connectivité. Il ne suffit pas d’être beau, encore faut-il être bien desservi, avoir la fibre, du logement abordable, etc. Mais ce n’est jamais figé : avec les bons leviers, beaucoup de territoires peuvent redevenir attractifs.

 

Partager sur

Inscrivez-vous gratuitement à nos newsletters

S'inscrire