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« Je veux bien comprendre que le « quoi qu’il en coûte » a coûté beaucoup, mais l’État ne peut pas puiser dans nos budgets en permanence »

Etienne Gless
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François Sauvadet, président de Départements de France

Zepros Territorial a rencontré François Sauvadet, président de Départements de France, qui alerte sur la dangereuse dégradation de la situation financière des Départements, alors que « les deux tiers des dépenses sont imposés par l’État ». Rencontre.

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ZT : Vous avez alerté depuis longtemps sur la dégradation de votre situation financière. Tous les clignotants sont-ils dans le rouge ?

François Sauvadet : Les Départements, effectivement, traversent une période de grande tension notamment du fait de l’explosion des dépenses sociales et de la baisse des ressources qui entravent leur libre administration. Il faut bien avoir en tête que les deux tiers des dépenses des Départements sont imposés par l’État (50 milliards d’euros sur 76 milliards de budget global). Ce qui, couplé à la baisse de nos ressources, va entraîner un effet ciseau dangereux pour les Départements. La situation n'est plus tenable !

ZT : Pour combien (et quels) Départements, la situation est-elle devenue alarmante ?

FS : La situation actuelle est mauvaise pour tous les Départements et pourrait être potentiellement explosive pour les 12 à 15 Départements déjà en grande difficulté ! Les Ardennes, l’Aisne et la Meuse par exemple se sont déjà exprimés sur le sujet.

ZT : Où en est l’avancement d’un fonds d’urgence pour les Départements les plus en difficulté ?

FS : Départements de France va utiliser le fonds de sauvegarde qui a été constitué à l'occasion du remplacement dans le panier fiscal des Départements de la taxe foncière par de la TVA et dont le montant prévisionnel pour 2023 s'élève à environ 53 millions d'euros. Nous demandons à l'État de compléter ce fonds de 100 millions supplémentaire afin d’être à même de répondre aux difficultés financières des Départements concernés.  

ZT : S’agissant des recettes, de combien vous prive la crise du marché immobilier ? À combien chiffrez-vous la perte de ressources provenant des Droits de Mutation à Titre Onéreux ?

FS : Nous assistons à un retournement du marché immobilier qui engendre mécaniquement une baisse des Droits de Mutation à Titre Onéreux (DMTO) perçus par les Départements. Nous constations déjà à fin août 2023 une chute de 18% par rapport à la même période en 2022. Pour mémoire, les DMTO représentent 20% des ressources des Départements. Nous n’avons parallèlement plus aucun levier fiscal ! En Côte-d’Or par exemple, mon Département, cela représente 17 millions d'euros en moins. Dans le même temps, nous avons fait face à 30 millions d'euros de dépenses en plus en dix mois !

ZT : Quelles sont celles qui ont le plus explosé ces derniers mois ou vont le plus augmenter dans les mois à venir ?

FS : Depuis février 2022, ce sont 2,5 milliards d’euros annuels de dépenses supplémentaires que l’État a imposé aux Départements : avenant 43, le secteur médico-social, le RSA, la hausse du point d'indice, diverses revalorisations salariales, ASE, primes de feu…Il est désormais urgent d’avoir une réflexion profonde sur la pérennité des dépenses nouvelles et d’arrêter d’en ajouter d’autres au fil des besoins de communication des différents ministères.

ZT : Dans les nouvelles dépenses, vous avez mentionné la prise en charge à brève échéance du vieillissement de la population ? Pouvez-vous chiffrer le montant prévisionnel des dépenses supplémentaires ?

FS : Comment l’État compte-t-il être pris au sérieux sur son engagement en faveur du bien vieillir quand pas un euro supplémentaire n’est prévu à ce jour pour faire plus et mieux face au vieillissement de la population. Nous attendons des actes et des décisions fortes en particulier sur la réforme des concours de la CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie). Les Départements assument seuls, près de 60% des dépenses. Nous plaidons pour une augmentation de l’enveloppe de solidarité nationale à hauteur de 50% des dépenses engagées par chaque Département.
Mais avant de parler de financement, nous devons d’abord réfléchir, collectivement, État, Départements et parlementaires, à ce que l’on souhaite pour la fin de vie… Est-ce que l’on veut que le placement en EPHAD soit un passage ou une finalité ? Il ne faut pas isoler les EHPAD d’un contexte de prise en charge plus global, mais les intégrer à un parcours de vie.
Au-delà des questions de pilotage, notre pays doit, en réalité, s’interroger sur le modèle d’établissement pertinent et sur leur place dans la fin de vie des personnes âgées

ZT : S’agissant de la protection de l’enfance, vous avez déclaré que les Départements se sentaient bien seuls notamment face à l’arrivée massive de mineurs non accompagnés. Que pèse ce phénomène dans les finances des départements les plus touchés ?

FS : Il y avait en 2021 377 291 enfants confiés à l’ASE. De 2018 à 2021, ce chiffre avait déjà augmenté de 9,1% ; et cette tendance haussière s’est poursuivie en 2022 puis en 2023. La situation tendue sur nos structures l’est encore davantage avec l’arrivée massive de Mineurs non accompagnés (MNA). Ils seront, selon les estimations, plus de 44 000 sur le sol français à la fin de l’année 2023. Pour vous donner une idée, la France a accueilli 13 172 nouveaux MNA au 1er septembre 2023, soit autant que sur toute l’année 2022 ! Face à cet afflux de MNA nous n'avons tout simplement plus de possibilités d'accueil dans nos départements. Les personnels sont sous tension.
Il faut savoir que la prise en charge d’un MNA est estimée en moyenne à 50 000€ par mineur et par an. Les dépenses totales de l’ASE France entière représentent une charge nette, pour les Départements de plus de 9 milliards d’euros, dont 1,5 milliard, pour les seuls MNA. Cela contribue fortement à l’embolie du système départemental de protection de l’enfance et compromet les politiques départementales en la matière.

ZT : Quels projets d'investissement sont bloqués ou ralentis du fait de l’accumulation de charges nouvelles que subissent les départements depuis 18 mois ?

FS : Le Département est la collectivité du social et de l’aménagement du territoire. Ils investissent dans les routes, la formation ou encore dans la sécurité civile. Ils sont également, au titre de leurs compétences, l’échelon le plus exposé pour faire face à la montée des précarités.
Ils mettent en œuvre 41 milliards d’euros d’interventions (aides sociales, subventions – sport, culture, aménagement) et investissent chaque année 12 milliards d’euros. Avec l’augmentation des dépenses sociales et de solidarité, ce sont nécessairement ces 12 milliards d’investissements annuels, mis en œuvre par les Départements au service des Français qui vont être directement impactés, ce qui sera particulièrement préjudiciable en zone rurale où nous sommes le seul partenaire des communes.

ZT : À l’heure de la discussion du PLF 2024, qu’attendez-vous de l’État dans l’immédiat ?

FS : Lors des Assises d’Agen en 2022, Départements de France avait, avec la Première ministre, initié une démarche de co-construction qui a commencé à porter ses fruits. Mais il reste encore beaucoup à faire pour répondre efficacement aux attentes des Français. Je me suis plusieurs fois entretenu avec Elisabeth BORNE des points saillants de ce projet de loi. On ne peut pas nous expliquer que l’État ne peut pas tenir compte de l’inflation dans nos dotations et nous imposer des dépenses au nom de cette même inflation. Je veux bien comprendre que le « quoi qu’il en coûte » a, au final, coûté beaucoup, mais l’État ne peut pas puiser dans nos budgets en permanence, c’est un déni de démocratie. Le Gouvernement ne peut pas continuer à décider à notre place sur des compétences que la loi nous a confiées ! L’État doit au contraire être à nos côtés dans un contexte où nous n’avons plus de levier fiscal sans quoi, face à l’explosion des dépenses sociales, nous ne pourrons plus remplir nos missions de solidarité territoriale.

ZT : Depuis l’ouverture de la discussion du PLF, des aménagements vous ont-ils donné satisfaction ?

FS : D’abord, nous avons obtenu l’exclusion des allocations individuelles de solidarité (AIS) et de l’aide sociale à l’enfance (ASE) de l’objectif d’évolution des dépenses de fonctionnement ainsi que les dépenses contractualisées avec l’État. Le gouvernement a alloué un financement de 50 millions d'euros pour soutenir les jeunes pris en charge par l’ASE jusqu'à leur autonomie, sur une période de trois ans. En outre, une enveloppe de 2 millions d'euros est dédiée à la création d'outils de prévention et de signalement des maltraitances dans les établissements sociaux et médico-sociaux s'occupant de mineurs.
Concernant la prévention et la protection de l'enfance, une enveloppe de 140 millions d'euros de crédits est prévue pour renforcer la contractualisation avec les Départements. Mais attention, cette somme est insuffisante par rapport au coût supporté par les Départements pour l'accueil d'enfants en situation de handicap. Nous avons aussi accueilli avec satisfaction l’engagement de l’État de prendre toute sa part au financement de la planification écologique. Le PLF 2024 présente en effet un accroissement inédit de 7 milliards d’euros des crédits consacrés à la planification écologique par rapport à 2023, portant le total des dépenses favorables à l’environnement à 40 milliards d’euros.
Départements de France  se réjouit des nouveaux moyens mis en œuvre par l’État (2,5 milliards d’euros) pour soutenir les politiques de transition écologique que les Départements et les autres collectivités portent depuis de nombreuses années (rénovation des collèges, développement des énergies renouvelables, protection de la biodiversité, etc.) mais nous restons, avec ces sommes, bien loin des préconisations du rapport Pisani-Ferry et nous ne pourrons pas porter ces investissements dans l’état actuel de nos finances.

ZT : S’agissant de la Dotation Globale de Fonctionnement de l’État, vous demandez toujours qu’elle soit indexée sur l’inflation ? À quel montant s’élèverait alors la DGF indexée sur l’inflation ?

FS : La non-indexation de la DGF des Départements nous a « coûté » 438 millions d’euros en 2022 et 865 millions d’euros en 2023.Il est tout de même paradoxal que le gouvernement tienne compte de l’inflation de manière sélective : il demande aux départements de la répercuter sur les dépenses sociales (ce qui est justifié et nécessaire pour nos concitoyens) mais se refuse, dans le même temps, d’indexer la DGF sur l’inflation.

ZT : A plus moyen-terme, qu’attendez-vous de l’État pour soulager les finances des Départements ? Les déclarations du chef de l’État en facteur d’« une nouvelle étape de la décentralisation » ont-elles votre faveur ?

FS : Nous n’avons pas besoin d’un big bang territorial. Plutôt d’un big bang des pratiques et de l’action publique. La décentralisation doit être améliorée certes, mais il faut se mettre d’accord sur ce que cela veut dire. Décentraliser, ce n’est pas seulement délivrer une compétence. Décentraliser, c’est d’abord laisser l’intelligence des territoires s’exprimer. C’est sortir de cette logique de silos qui fige l’action publique et frustre nos concitoyens. Décentraliser, c’est regarder au plus près pour voir loin ; et donner du sens à l’action de proximité seule à même de répondre efficacement aux difficultés du quotidien.

ZT : Quels nouveaux domaines d’intervention réclamez-vous pour les Départements ?

FS : L’objet n’est en rien de revendiquer une nouvelle compétence ni de substituer le Département aux autres collectivités. Les enjeux sont trop grands et trop graves, pour raisonner en ces termes.
La solution, c’est la capacité de pilotage ! Prenons l’exemple de l’eau : les Départements doivent être en mesure de s’investir aux côtés du bloc communal pour organiser les interconnexions des réseaux d’eau afin d’éviter les pénuries. Cela n’a aucun sens de les exclure du processus puisqu’ils sont les premiers financeurs de l’eau au côté des agences. Je l’avais dit et répété, les Départements peuvent et doivent être la collectivité des réseaux ! 
Les Départements souhaitent par ailleurs retrouver leur compétence économique, notamment les aides à l’économie de proximité, comme le soutien aux petites entreprises artisanales et commerciales ou à certaines filières agricoles, oubliées par les Régions. Propos recueillis par Etienne Gless
 

Etienne Gless
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