Aides aux entreprises : que peuvent faire les acteurs publics locaux ?

Philippe Pottiée-Sperry
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À l’heure où la vie économique reprend progressivement, bon nombre d’acteurs publics ou parapublics s’interrogent sur les leviers qu’ils peuvent activer pour soutenir les commerçants et entreprises de proximité implantés sur leur territoire.

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L’objectif est clair : il s’agit de pouvoir apporter un soutien financier immédiat aux acteurs les plus fragilisés par la crise, afin que ne disparaissent pas ceux qui animaient jusque-là la vie locale.

Au niveau national, l’Etat a fait une partie du chemin avec notamment la création, par l’ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 d’un fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de Covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation, ou encore l’octroi de prêts garantis par l’Etat. La plupart des régions ont mis en place des dispositifs d’aides complémentaires à l’échelon régional. À leur niveau, le champ des possibles est en effet assez large – sous réserve évidemment du respect du droit européen des aides d’Etat et du principe d’égalité –, les régions ayant, par principe, et sauf dispositions législatives particulières, seules une compétence pour définir les régimes d’aides et pour décider de l’octroi des aides aux entreprises de la région.

C’est au niveau infra-régional que le sujet se complique : les possibilités d’intervention des départements, des communes et des établissements publics locaux sont très limitées, parce que les aides économiques ne relèvent pas – ou si peu – de leur office (I.). Certes, les textes adoptés spécifiquement pour faire face à la crise sanitaire ouvrent quelques perspectives nouvelles, mais qui ne permettent pas la mise en place de réels dispositifs de soutien de proximité (II.).

I – Les possibilités d’intervention extrêmement limitées des départements, des communes et des établissements publics locaux en matière d’aides économiques

On le disait, l’état du droit est clair : la région est, par principe, seule compétente pour mettre en place des régimes d’aides au profit des entreprises. Et elle est également seule compétente pour accorder des aides aux entreprises en difficulté. Les communes et leurs groupements peuvent uniquement participer au financement des aides et à la mise en œuvre des régimes d’aides mis en place par la région, et ce dans le cadre d’une convention passée avec elle (article L. 1511-2 du Code général des collectivités territoriales).

Il est vrai que les communes, les groupements de communes et les départements peuvent eux-mêmes verser des aides aux entreprises dans certains des cas spécifiques, expressément prévus par le Code général des collectivités territoriales. La plupart d’entre eux n’apparaissent toutefois absolument pas de nature à permettre d’apporter des aides en réaction à la crise. Restent les aides à l’immobilier d’entreprise (article L. 1511-3 du Code général des collectivités territoriales), dont certains pensent qu’elles peuvent être sollicitées par les communes et leurs groupements pour soutenir des acteurs locaux affectés par la crise sanitaire. Ces aides ont toutefois « pour objet la création ou l’extension d’activités économiques », si bien qu’on peut douter de la légalité d’une aide versée sur ce fondement pour soutenir des entreprises fragilisées par la crise.

Il est vrai aussi que les collectivités territoriales disposent de compétences propres, dans le cadre desquelles elles pourraient au premier regard s’inscrire pour justifier les subventions qu’elles souhaiteraient verser à des entreprises en souffrance. Et certaines collectivités ont d’ailleurs franchi le pas ces dernières semaines, en versant des aides à des entreprises locales sur le fondement de leur compétence en matière de développement économique par exemple, voire même – pour les communes – sur le fondement de leur clause de compétence générale. Mais de telles interventions suscitent un réel débat parce qu’il semble bien que les compétences propres dont disposent les collectivités territoriales ne les autorisent pas à déroger aux dispositions du Code général des collectivités territoriales, qui réservent à la région la possibilité d’octroyer des aides économiques. La Cour administrative d’appel de Nantes a eu l’occasion de le souligner assez récemment (CAA Nantes, 27 avril 2018, Union des métiers et des industries de l’hôtellerie des Côtes d’Armor, req. n° 16NT03165). Et c’est ce qui ressortait déjà de l’instruction du gouvernement du 3 novembre 2016 sur les conséquences de la nouvelle répartition des compétences en matière de développement économique sur les interventions des conseils départementaux. Et, de façon plus générale, c’est le sens des conclusions du Rapporteur public Vincent Daumas sur la décision du Conseil d‘État du 11 octobre 2017 Département des Yvelines et autres (req. n° 407347), qui portait précisément sur la légalité de cette instruction.

De notre point de vue, les règles de compétence applicables en matière d’aides économiques, telles que fixées par le Code général des collectivités territoriales, ne permettent donc ni aux communes, ni à leurs groupements, d’aider financièrement les commerçants impactés par la crise sanitaire de leur propre chef : ils ne peuvent légalement le faire que dans le cadre d’une convention conclue avec la Région. Et les départements n’ont, pour leur part, même pas cette possibilité.

II – La portée limitée des textes adoptés spécifiquement pour faire face à la crise sanitaire

Les textes adoptés spécifiquement pour faire face à la crise sanitaire ouvrent quelques perspectives nouvelles d’intervention : ils permettent aux collectivités d’aider des entreprises de façon un peu plus large qu’en temps normal, au travers de mesures spécifiques.

Cette « souplesse » est toutefois très relative, et ne permet sans doute pas la mise en place de réels dispositifs de soutien de proximité.

L’ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 portant création d’un fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation permet ainsi à toute collectivité territoriale ou établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre de participer au financement de ce fonds de solidarité qui a pour objet de versement d’aides financières aux personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique particulièrement touchées par les conséquences de la crise sanitaire :

« Le fonds de solidarité est financé par l’État, et peut également l’être, sur une base volontaire, par les régions, les collectivités de Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna, la Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie et toute autre collectivité territoriale ou établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre.

Le montant et les modalités de cette contribution sont définis dans le cadre d’une convention conclue entre l’État et chaque collectivité territoriale ou établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre volontaire ».

L’abondement de ce fonds par les collectivités permet assurément de témoigner de leur volonté de soutenir l’économie, mais il ne permet pas de « cibler » les entreprises et commerçants locaux.

L’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 portant diverses mesures d’adaptation des règles de passation, de procédure ou d’exécution des contrats soumis au Code de la commande publique et des contrats publics qui n’en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l’épidémie de covid-19, modifiée par l’ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020, dispose quant à elle, en son article 6, que :

« En cas de difficultés d’exécution du contrat, les dispositions suivantes s’appliquent, nonobstant toute stipulation contraire, à l’exception des stipulations qui se trouveraient être plus favorables au titulaire du contrat :

7° Lorsque le contrat emporte occupation du domaine public et que les conditions d’exploitation de l’activité de l’occupant sont dégradées dans des proportions manifestement excessives au regard de sa situation financière, le paiement des redevances dues pour l’occupation ou l’utilisation du domaine public est suspendu pour une durée qui ne peut excéder la période mentionnée à l’article 1er [période courant du 12 mars 2020 à la fin de l’état d’urgence sanitaire augmentée d’une durée deux mois]. A l’issue de cette suspension, un avenant détermine, le cas échéant, les modifications du contrat apparues nécessaires ».

Le rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020 portant diverses mesures prises pour faire face à l’épidémie de covid-19, indique que « cette disposition serait applicable […] aux pures conventions domaniales, qui sont des contrats publics par détermination de la loi (article L. 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques) mais ne peuvent bénéficier ni des dispositions applicables aux marchés ou aux concessions ni de la théorie de l’imprévision qui, en l’état de la jurisprudence administrative, n’est susceptible d’être invoquée que dans le cadre de la prise en charge de missions de service public, de la gestion d’un service public ou de l’exécution de mesures prises dans un but d’intérêt général ».

Les collectivités peuvent ainsi alléger quelque peu les charges qui pèsent sur certains des commerçants : les commerçants installés dans des locaux relevant du domaine public et ceux qui occupent une partie de la voie publique (terrasse…) peuvent voir leurs redevances d’occupation du domaine public suspendues pour quelques mois. Et une exonération pure et simple, plutôt qu’un simple report, pourrait d’ailleurs peut-être se justifier, à tout le moins au profit de certains commerçants, compte tenu du peu d’« avantages de toutes natures » que l’occupation du domaine leur a procuré pendant la période de fermeture.

Tout porte par ailleurs à croire que les propriétaires publics et parapublics (bailleurs sociaux et pépinières notamment) pourraient exonérer de loyers pour quelques mois ceux des commerçants qui sont leurs locataires, mais qui occupent cette fois des locaux relevant de leur domaine privé.

Mais il reste que de telles mesures ne permettent pas de soutenir tous les commerçants et entreprises locaux fragilisés par la crise, mais seulement ses propres « locataires », et ne permettent donc pas la mise en place de réels dispositifs de soutien de proximité.

Par Maeva Guillerm, avocate au cabinet Seban & Associés

Philippe Pottiée-Sperry
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