VIDEO. La 5G, frein ou accélérateur pour des villes plus durables ?
Est-il possible de construire des villes durables avec la nouvelle technologie de la 5G ? Quel rôle et marge de manœuvre pour les collectivités ? Telles ont quelques-unes des questions posées lors de la table-ronde virtuelle organisée par Innopolis Expo, en partenariat avec ZePros Territorial, qui s’est tenue le 26 novembre, sur le thème « Quel futur pour les villes durables avec la 5G ? ».
Les intervenants étaient : Florence Durand-Tornare, fondatrice et déléguée générale de l’association Villes Internet (elle a publié une tribune sur la 5G sur le site de ZePros Territorial) ; Patrick Montier, Smart city manager du canton et de la République de Genève (45 communes, 500 000 habitants) ; Julien Delmouly, délégué général adjoint d’Infranum (fédération de 217 industriels d’infrastructures numériques).
Débats citoyens engagés par quelques villes
Voulant aller au-delà des simplifications et de débats trop clivés, la table-ronde est revenue sur les risques potentiels de la 5G (sanitaire, environnemental, énergétique…), très présents dans le débat public ces derniers semaines. Le rapport définitif de l’Anses (Agence nationale de la sécurité sanitaire) doit être rendu début 2021, en traitant des risques potentiels liés à l'exposition aux fréquences de la 5G. Dans l’attente, certaines villes ont décidé d’un moratoire. De nombreux acteurs ont demandé au gouvernement en septembre dernier un moratoire d’un an sur l’attribution des fréquences de la 5G. Il s’agit aussi d’une des propositions de la Convention citoyenne pour le climat. Refus du gouvernement. « La France va prendre le tournant de la 5G car c’est le tournant de l’innovation », a déclaré Emmanuel Macron. Comme prévu, les premières fréquences 5G aux quatre opérateurs ont bien été annoncées début octobre par l’Arcep, le régulateur des télécoms. Le calendrier de mise en place s’échelonnera jusqu’en 2030.
Décider de ce qu’on fait de la 5G
Aujourd’hui, comme l’indique Florence Durand-Tornare, « on ne peut pas être contre une technologie comme la 5G. La vraie question est de savoir et de décider ce qu’on en fait ». Selon elle, la place laissée aux collectivités et aux élus locaux dans le débat est beaucoup trop faible. Elle salue les débats engagés avec les habitants sur la 5G, dans des villes comme Rennes ou Strasbourg, et incite à développer davantage ce type d’initiatives. La déléguée générale de Villes internet estime aussi que « les collectivités ont un rôle important à jouer sur la notion de service public à définir car tout ne peut pas être décidé et géré par les seuls opérateurs ».
Massification des services connectés
Parmi ses atouts, la 5G permettra un débit beaucoup plus rapide que la 4G. Avec donc l’accès à beaucoup plus de services. Julien Delmouly souligne « la possibilité de connecter énormément d’objets et de capteurs ou de transférer des informations avec un temps de latence extrêmement court ». Ce qui permet de faire plus vite des choses existantes comme d’avoir accès à de nouveaux services. Selon lui, « la révolution passe par les applications du côté des industriels et des collectivités, notamment concernant les démarches de Smart territoires ». Evoquant « l’atout de la massification des services connectés », le délégué général adjoint d’Infranum cite de nombreux exemples dont celui des mobilités. Pour Florence Durand-Tornare, la véritable innovation de la 5G repose sur l’IOT (internet par les objets). « Les élus locaux doivent se poser la question de comment participer à la régulation d’une technologie qui est imposée par l’innovation », insiste la déléguée générale de Villes internet.
Canton de Genève : une Smart city sans 5G
Autre intervenant, Patrick Montier, bien que se définissant comme un technophile, apparaît beaucoup plus prudent sur la 5G. Il rappelle que le canton de Genève, comme deux autres cantons de Suisse romande, a décidé d’« un moratoire sur la 5G et l’installation de nouvelles antennes, par principe de précaution car nous n’avons pas aujourd’hui assez d’informations sanitaires sur leur dangerosité ». Le projet de Smart city, qui doit voir le jour en 2021 sur le canton de Genève, n’y fera donc pas appel, dans le souci d’une ville plus durable. « Notre modèle de Smart city est développé avec la 4G et cela fonctionne très bien, souligne Patrick Montier. Nous ne cherchons pas à calquer le modèle très technologique de Singapour, avec beaucoup de big data, de capteurs et de caméras, mais nous privilégions le modèle d’une Smart city moderne en s’inspirant des expériences d’Europe du Nord comme les villes de Vienne, Rotterdam ou Göteborg qui mettent avant tout l’accent sur la qualité de vie des citoyens », explique-t-il. Et de dénoncer le développement de nombreux nouveaux services qu’il juge inutiles et pourtant extrêmement consommateurs d’énergie. Sans oublier de pointer le levier commercial de la 5G pour inciter au renouvellement complet du parc de smartphones !
Attention à « l’effet rebond » !
Le débat a aussi porté sur « l’effet rebond » de la 5G avec son impact environnemental et énergétique (surconsommations dues à de nouveaux services très énergivores). Déjà aujourd’hui, les consommations s’accroissent extrêmement vite avec les antennes 4G qui arrivent progressivement à saturation. Explication : les nouveaux usages, notamment avec la vidéo, font exploser le trafic. La problématique plus large du « recyclage des déchets électroniques mérite un débat de société », estime Julien Delmouly. Pour sa part, le Smart city manager du canton de Genève pointe les « 50 millions de tonnes de déchets électroniques produits par an, dont seulement 20 % sont recyclés ». Selon lui, il faut privilégier « l’urgence climatique » plutôt qu’une « course effrénée à la 5G ». Le canton de Genève s’est ainsi engagé dans une démarche de mesure de son empreinte environnementale « avec un état des lieux de notre consommation du digital ». L’impact environnemental se mesure également au niveau des composants électronique. Les équipements de la 4G et demain de la 5G, notamment les antennes, sont en grande partie non recyclables. Le délégué général adjoint d’Infranum souligne ici que l’impact environnemental des antennes « est estimé à 10% pour leur installation et 90% pour leur utilisation ». A cela s’ajoutera le parc des smartphones, également très peu recyclables, qui devra être totalement renouvelé à l’avenir pour utiliser la 5G.
Fracture numérique entre territoires
Enfin, certains élus locaux, surtout des zones rurales, de petites villes ou de certains quartiers mal desservis, craignent que la 5G accroisse encore la fracture numérique entre territoires. La déléguée générale de Villes Internet estime ici que le choix de la 5G « est politique avant d’être technologique ». « La question est de savoir si on oriente les investissements publics pour le déploiement de la 5G vers une couverture complète du territoire. Aujourd’hui, cela ne semble pas du tout être le parti pris avec des investissements, sur les cinq prochaines années, fléchés sur les métropoles, le péri-urbain et les réseaux autoroutiers. C’est pour cela que le débat doit continuer d’avoir lieu, notamment sur les missions de service public ».
Philippe Pottiée-Sperry
Pour revoir la table-ronde « Quel futur pour les villes durables avec la 5G ? », cliquez ici
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