, mis à jour le 08/12/2025 à 10h55

« Sans agents en bonne santé, il n’y aura pas de service public durable »

Sylvie Bureau Nech
Directrice exécutive du marché des acteurs territoriaux
Relyens
Image
" La durée moyenne d’un arrêt atteint désormais 53 jours et la gravité des arrêts a augmenté de plus de 50 % en dix ans "

À quelques mois des municipales, le nouveau Panorama Relyens sur la qualité de vie au travail et la santé des agents territoriaux tire la sonnette d’alarme : si les agents s’absentent un peu moins souvent, leurs arrêts sont de plus en plus longs, dans une fonction publique territoriale vieillissante. Sylvie Bureau Nech, directrice exécutive du marché des acteurs territoriaux chez Relyens, appelle les futurs maires à se saisir enfin de leur rôle d’employeur public. 

Partager sur

Que révèle l’édition 2025 de votre Panorama sur l’absentéisme dans les collectivités territoriales ?

Le premier enseignement, c’est qu’on sort de certaines idées reçues. Non, les agents territoriaux ne s’arrêtent pas « tout le temps ». Nos données – 440 000 agents suivis sur 15 000 collectivités depuis 25 ans – montrent que les agents sont aujourd’hui moins nombreux à s’absenter et qu’ils ont moins d’arrêts qu’il y a dix ans. En revanche, quand ils s’arrêtent, c’est plus grave et plus long. La durée moyenne d’un arrêt atteint désormais 53 jours, et la gravité des arrêts a augmenté de plus de 50 % en dix ans, alors même que la fréquence et l’exposition reculent. C’est tout le paradoxe : on parle moins de « petits arrêts » répétés, et beaucoup plus de longues absences qui désorganisent les services et pèsent sur les équipes.

Comment expliquez-vous cette montée des arrêts longs ?

La première explication, c’est la démographie. La fonction publique territoriale est la plus âgée de toutes : l’âge moyen dépasse 48 ans, contre 41 ans dans le secteur privé. Plus de 6 agents sur 10 ont plus de 45 ans, et près d’un sur trois a plus de 55 ans. Or on le sait : une entorse à 25 ans ne se soigne pas comme à 57, surtout après une carrière sur les routes, dans les écoles ou en crèche. La deuxième raison, c’est la pénibilité réelle des métiers territoriaux. On imagine encore trop souvent le « fonctionnaire derrière un bureau ». En réalité, les collectivités concentrent des métiers physiques, exposés, en horaires décalés : voirie, propreté, espaces verts, restauration scolaire, petite enfance, médico-social… La répétition des gestes, le port de charges, le bruit, les incivilités, la confrontation permanente au public créent de l’usure, parfois des maladies professionnelles lourdes, comme les troubles musculo-squelettiques qui représentent 91 % des maladies professionnelles. Enfin, s’ajoutent les réformes successives des retraites, qui allongent les carrières, et des difficultés budgétaires qui retardent certains aménagements de postes ou renouvellements d’équipement.

Concrètement, en quoi ces arrêts longs sont-ils un enjeu majeur pour le service public local ?

D’abord, parce qu’ils concentrent l’essentiel des jours d’absence et donc de la désorganisation. En maladie ordinaire, les arrêts de plus de 15 jours ne représentent qu’environ 4 arrêts sur 10, mais cumulent plus de 88 % des jours d’absence. En accident de service, un quart des accidents dépasse 90 jours… et pèse à lui seul 77 % des jours d’arrêt. Ensuite, parce qu’ils coûtent cher, humainement et financièrement. Un arrêt de longue maladie atteint en moyenne près de 39 000 euros, une longue durée plus de 82 000 euros, sans compter les frais médicaux. Et, au bout d’un certain temps, l’agent passe à demi-traitement : au bout de 90 jours en maladie ordinaire, après un an en longue maladie, après deux ans en longue durée. Cela fragilise les agents, mais aussi l’équilibre budgétaire des collectivités.Enfin, parce que plus l’absence se prolonge, plus le retour est difficile. Dans près d’un tiers des longues maladies et plus d’un tiers des longues durées, on atteint la limite statutaire des droits à congé. Là, on n’est plus dans la « gestion d’un arrêt », mais dans la question du maintien dans l’emploi et du reclassement.

Vous insistez beaucoup sur la responsabilité de « l’élu employeur ». Pourquoi ?

Parce que tout part de là. On parle beaucoup de climat, de mobilité, de sécurité, mais très rarement de la capacité des collectivités à disposer d’agents en nombre suffisant et en bonne santé pour mettre en œuvre le projet de mandat. Or sans agents, il n’y a ni crèches, ni écoles ouvertes, ni voirie entretenue, ni services sociaux.Notre Panorama montre que le taux d’absentéisme théorique atteint 9,8 % en 2024 (hors maternité). Dans une collectivité de 100 agents, cela signifie que l’équivalent de presque 10 agents est absent en permanence sur l’année. Comment tenir un projet de mandat ambitieux dans ces conditions si on ne fait pas de la santé au travail une priorité politique ? Pourtant, quand vous regardez les catalogues de formation des élus ou les programmes des grands salons, le sujet de l’élu employeur reste quasi invisible. On parle finances, commande publique, urbanisme… très peu management, qualité de vie au travail, prévention des risques. Il y a là un angle mort, qu’il va falloir combler dès 2026.

Quels leviers concrets proposez-vous aux collectivités pour agir ?

Nous avons construit une « checklist RH » très opérationnelle. Elle repose sur trois temps : prévenir, maintenir le lien, accompagner la reprise. Prévenir, c’est d’abord mettre à jour chaque année le document unique d’évaluation des risques avec un focus sur les postes à forte pénibilité, investir dans l’ergonomie, les équipements, l’organisation, former les managers aux risques psychosociaux, ouvrir des espaces de discussion sur le travail. C’est aussi utiliser l’entretien professionnel et l’entretien de mi-carrière pour repérer les fragilités et construire des parcours qui tiennent compte de l’âge et des contraintes. Maintenir le lien, c’est ne pas laisser l’agent disparaître dès qu’il est en arrêt long : un contact régulier, un interlocuteur identifié, des démarches administratives suivies, sans intrusion dans le secret médical ni pression à la reprise. Accompagner la reprise, enfin, c’est organiser un vrai retour : entretien de ré-accueil, aménagement du poste, recours à la Période de Préparation au Reclassement si besoin, mobilisations d’aides psychologiques ou de coaching. Un retour raté, c’est souvent un nouvel arrêt derrière.

La question de la prévoyance revient souvent dans vos analyses. Pourquoi est-ce si crucial ?

Parce que la réalité statutaire est méconnue : au bout de 90 jours d’arrêt en maladie ordinaire, l’agent passe à demi-traitement. En longue maladie, après un an à plein traitement, il a deux ans à demi-traitement ; en longue durée, trois ans à plein traitement, puis deux ans à demi-traitement. Au-delà, il peut se retrouver en disponibilité d’office, sans rémunération. 
Dans un contexte où les arrêts longs augmentent, ne pas proposer de prévoyance, c’est laisser les agents face à un risque financier majeur. La généralisation progressive de la protection sociale complémentaire obligatoire en prévoyance, qui doit être effective au plus tard en 2029, est donc une avancée essentielle. Mais là encore, tout dépendra de la façon dont les élus s’en emparent, en termes de niveau de garanties, de pédagogie auprès des agents et d’articulation avec leurs politiques de prévention.

Si vous deviez résumer en une phrase le message adressé aux futurs maires ?

Je leur dirais : vous pouvez avoir le plus beau projet de mandat, les meilleures intentions en matière de transition écologique ou de cohésion sociale ; si vous n’avez pas des agents en bonne santé, formés, reconnus, capables de tenir jusqu’à la retraite, ce projet restera sur le papier. Le Panorama que nous publions n’est pas un rapport technique de plus, c’est un appel à mettre enfin la santé au travail au cœur de l’action publique locale.

 

Danièle Licata, rédactrice en chef Zepros Territorial, décrypte enjeux publics et collectivités. Forte de 20 ans en presse économique, elle rend accessibles les sujets complexes avec passion et engagement.
Partager sur

Inscrivez-vous gratuitement à nos newsletters

S'inscrire