
MaPrimeRénov’ relancée : les intercos montent au front et proposent une décentralisation clé en main

Alors que le guichet a PrimeRénov’ rouvre avec des règles resserrées après 100 jours d’arrêt, Intercommunalités de France riposte avec une proposition de loi pour expérimenter, pendant deux ans, la décentralisation intégrale de la politique de rénovation énergétique du logement. Sur le terrain, si les associations d’élus dénoncent des quotas dérisoires, le président d’Intercos, Sébastien Martin, assure : « ramener la politique de rénovation au plus près du terrain, c’est faire mieux avec autant…voire moins ».
Après une fermeture brutale fin juin (engorgement des services, soupçons de fraudes), le guichet MaPrimeRénov’ - parcours accompagné a réouvert le 30 septembre… mais seulement pour 13 000 nouveaux dossiers d’ici fin 2025, limités aux ménages très modestes, aux logements E, F, G, avec plafonds de travaux abaissés et suppression du bonus « sortie de passoire ». Les dossiers ne seront instruits qu’en 2026, « premier arrivé, premier servi ».
Le gouvernement promet un pilotage par objectifs territoriaux et un suivi hebdomadaire. Sur le terrain, les réactions ne se sont pas faites attendre : " fausse ouverture, enveloppe ridicule, critères trop limités "....
Toute la politique, pas seulement MaPrimeRénov : la riposte d’Intercommunalités de France
Profitant de la fenêtre ouverte par le « nouvel acte de décentralisation » souhaité par Matignon, Intercommunalités de France propose une PPL (proposition de loi) transpartisane déposée à l’Assemblée par son président Sébastien Martin (Saône-et-Loire). Le cœur du texte : une expérimentation de 2 ans confiant « toute la politique de rénovation énergétique du logement » aux intercommunalités et aux départements volontaires. « La rénovation énergétique ne se résume pas à MaPrimeRénov’. Nous voulons la ramener au plus près du terrain, pour mieux lutter contre la fraude, offrir un conseil de proximité et coller à la réalité de l’habitat. Une vraie décentralisation, ce n’est pas une délégation : c’est l’exercice plein et entier de la compétence par la collectivité », insiste Sébastien Martin. Plus en détail : la compétence de rénovation énergétique pourrait être confiée à titre expérimental pour deux ans, sur la base du volontariat, aux intercommunalités (EPCI) et aux départements. Le périmètre serait large puisqu’il inclurait non seulement MaPrimeRénov’, mais aussi l’ensemble des aides à la rénovation, la définition des critères d’éligibilité, l’agrément et le retrait d’agrément des opérateurs, ainsi que l’information et l’accompagnement des ménages. Le financement reposerait sur le modèle d’un transfert de charges, calculé à partir de la moyenne des dépenses engagées localement par l’État au cours des trois dernières années. Durant la phase d’expérimentation, l’Anah assurerait le conventionnement avec les territoires. Enfin, une gouvernance par objectifs viendrait encadrer ce dispositif : des cibles de réduction des émissions et de consommation seraient territorialement fixées, avec la possibilité de sanctions réglementaires si elles n’étaient pas atteintes.
« C’est un véritable changement d’architecture. Il faut maintenir des objectifs nationaux, mais les moyens et leviers doivent être locaux » insiste Sébastien Martin. Et d’ajouter : « c’est d’ailleurs ce que veulent les Français : selon un sondage Ifop réalisé en septembre auprès des Français, 48 % d’entre eux déclarent faire davantage confiance aux collectivités pour gérer la rénovation énergétique (19 % à l’État), et 59 % pour mettre en place des services efficaces (15 % à l’État) ». La philosophie : Faire mieux avec autant, voire moins d’argent. « Arrêtons les lois bavardes et les dispositifs ingérables depuis Paris. L’habitat n’est pas le même en montagne, sur le littoral, en grandes copropriétés des années 70 ou en rural dispersé ; assumons des politiques adaptées » , plaide le Président d’Intercommunalités.
Deux voies d’inscription sont envisagées : un parcours autonome à l’Assemblée ou une intégration dans le projet de loi de décentralisation que prépare le gouvernement.
“Premier arrivé, premier servi” : pourquoi les intercos contestent la mécanique nationale
Car Intercommunalités de France fustige la logique de quotas hebdomadaires et de file d’attente nationale, jugée illisible pour les ménages et déstabilisante pour les entreprises locales. Plusieurs agglos pointent des effets pervers : accompagnateurs Rénov’ hors territoire, baisse de la part d’entreprises locales intervenant sur les chantiers, inflation des prix.
« Dans mon agglomération, 200 dossiers en instance, près de 2 000 € d’accompagnement par dossier : 400 000 €, soit 10 postes. Avec la moitié, on accompagne mieux et plus de ménages en service public local », calcule Sébastien Martin, qui met en avant les Espaces/Maisons de l’habitat déjà opérationnels dans de nombreuses intercos.
Lutte contre la fraude : l’argument proximité
Sans compter la fraude. La DGCCRF a constaté en 2024 des manquements graves chez 34 % des 1 000 entreprises contrôlées (pratiques commerciales trompeuses, démarchage agressif), transmis 140 PV pénaux, prononcé plus de 50 amendes administratives et saisies préventives. Pour Intercos, la territorialisation — agrément local des accompagnateurs, contrôles au plus près, réseaux d’artisans connus — est le levier le plus efficace.
Car si le gouvernement annonce : commission de sanctions unique à l’Anah, résiliation sans surcoût si un MAR (Mon Accompagnateur Rénov) perd son agrément, territorialisation des agréments d’ici mi-2026, sanctions renforcées, les intercos jugent ces ajustements insuffisants sans changement de modèle.
2026 : simplifications annoncées… mais des zones d’ombre budgétaires
Pour 2026, le gouvernement promet plusieurs ajustements : suppression de l’obligation de DPE pour les rénovations « par geste », dissociation des volets isolation et chauffage, exclusion des chaudières biomasse et de l’isolation des murs du dispositif, et mise en place d’agréments MAR territorialisés. L’Anah assure, elle, viser un budget équivalent à celui de 2025, mais précise que tout dépendra du vote de la loi de finances pour 2026.
En attendant, la réouverture limitée à seulement 13 000 dossiers et le report d’une partie des instructions à 2026 entretiennent, la défiance des ménages et fragilisent la visibilité des filières.
Ce qui se joue maintenant
La PPL portée par Sébastien Martin revendique une sortie par le haut : clarifier qui décide, unifier le guichet au niveau territorial, responsabiliser les collectivités sur des objectifs mesurables, capitaliser sur des réseaux déjà en place.
“ On parle de décentralisation ou on n’en parle pas. Fixons des objectifs nationaux, mais laissons les moyens et les règles d’intervention à celles et ceux qui connaissent leurs territoires ”, martèle Sébastien Martin. “ C’est ainsi qu’on accélérera la transition, qu’on réduira la fraude et qu’on redonnera de la lisibilité aux ménages et aux artisans.”
La balle est désormais dans le camp du Parlement… et de Matignon.