
" En matière de santé, ce sont les collectivités locales qui font le travail à la place de l’État "

Confrontée, comme tant d’autres villes moyennes, à la pénurie de praticiens, Cholet a choisi d’agir. Le maire, Gilles Bourdouleix, a déployé un plan triennal de 600 000 euros, combinant aides à l’installation, conventions universitaires, salariat de médecins et création d’un centre municipal de santé. Une stratégie pragmatique au service d’une attractivité médicale durable, portée par une politique économique et urbaine volontariste. Rencontre.
Vous avez fait de la santé un pilier de votre action municipale. Quelle est la philosophie du plan que vous avez mis en place ?
Nous avons voulu une réponse structurée et durable. Il ne s’agissait pas d’empiler des mesures ponctuelles, mais de bâtir une politique cohérente à l’échelle de Cholet et de son agglomération. Nous avons donc adopté un plan triennal de 600 000 euros, voté à l’unanimité par l’agglomération. Ce plan repose sur cinq leviers : la création d’un centre municipal de santé, des aides encadrées à l’installation ou à la reprise de cabinet (jusqu’à 30 000 euros pour un engagement de cinq ans), une indemnité annuelle de 4 800 euros pour les internes en fin d’études, là encore avec engagement de pratiquer sur le territoire, mais aussi des conventions universitaires pour accueillir et fidéliser les jeunes médecins et enfin, le renforcement d’un réseau local de santé – CPTS, hôpital, pharmaciens – pour garantir un exercice collectif et non isolé. Notre objectif est simple : que les médecins qui s’installent à Cholet aient envie d’y rester, qu’ils se sentent intégrés dans un environnement professionnel solide, soutenu et attractif.
Vous insistez sur le lien entre santé, attractivité et développement économique. Comment ces dimensions se rejoignent-elles à Cholet ?
Parce qu’il n’y a pas d’attractivité médicale sans attractivité territoriale. Cholet, c’est une ville moyenne de 55 000 habitants, au cœur d’une agglomération de 106 000 habitants, idéalement située entre Nantes et Angers. C’est un territoire autonome, dynamique, qui a su se réinventer. Nous avons aujourd’hui un taux de chômage de 4,7 %, preuve de la vitalité de notre tissu économique. Les secteurs sont très diversifiés : industrie, logistique, agroalimentaire, ingénierie, services... Cette diversité est une chance. Quand un médecin envisage de s’installer, il regarde aussi la qualité de vie, les services, les infrastructures, l’école, la culture, le logement, et bien sûr l’emploi pour son conjoint. À Cholet, tout cela existe. Nous avons su traverser des crises, comme la fermeture du site Michelin en 2023 – 950 emplois supprimés – sans perdre notre dynamique. Aujourd’hui, 650 anciens salariés ont déjà retrouvé un emploi. Cela montre que notre territoire reste solide et résilient.
Malgré cette vitalité, vous êtes confrontés à une pénurie de médecins. D’où vient ce déséquilibre ?
C’est un problème structurel et national. D’abord, nous arrivons au bout d’une génération de médecins : beaucoup partent à la retraite, et il faut souvent trois jeunes praticiens pour remplacer un seul départ, compte tenu de la féminisation du métier et des nouvelles attentes en matière d’équilibre de vie. Ensuite, il faut bien le dire, la France n’a pas formé assez de médecins pendant des années. Le numerus clausus a produit ses effets dévastateurs : des générations entières ont été freinées dans leur parcours. Et puis, il y a un biais statistique : Cholet n’est pas classée en zone d’intervention prioritaire (ZIP) par l’ARS, car elle compte dans ses effectifs tous les praticiens hospitaliers, y compris ceux qui n’ont pas de patientèle libérale. Résultat : sur le papier, nous serions bien dotés, mais dans la réalité, il faut parfois attendre plusieurs semaines pour un rendez-vous. Nous avons obtenu à force de discussions un statut de zone d’action complémentaire (ZAC), qui nous permet d’agir financièrement. Ce classement est valable jusqu’à la mi-2026, et j’espère le voir prolongé.
Le salariat des médecins municipaux, que vous avez mis en place, est une solution encore peu courante. Pourquoi ce choix ?
C’est vrai, j’y étais réticent au départ. Mais nous avons fini par comprendre que c’était la seule solution pour garder nos médecins. Nous avons investi 1 million d’euros dans la création d’un centre municipal de santé de 550 m², qui pourra accueillir neuf cabinets de consultation. Quatre médecins y exercent déjà, salariés de la collectivité depuis le 1er janvier.
Leur quotidien a radicalement changé : plus de gestion administrative, plus de paperasse, plus de contraintes logistiques. Tout cela est pris en charge par la mairie – personnel administratif, entretien, organisation des rendez-vous. Ils peuvent enfin se consacrer à leur cœur de métier : soigner. C’est un modèle d’équilibre : les médecins bénéficient d’une sécurité de revenus et d’un confort de travail, tandis que la collectivité garantit la continuité des soins pour ses habitants.
Vous avez été député pendant quinze ans. Quel regard portez-vous sur la politique nationale de santé ?
Un regard critique, pour ne pas dire inquiet. Nous payons aujourd’hui des décennies d’aveuglement politique. Le lobby médical a été puissant, et il continue à bloquer toute réforme de fond. Je défends depuis longtemps une idée simple : tout médecin formé par l’État devrait exercer cinq ans dans un territoire en tension. Ses études sont financées par le contribuable, par la Sécurité sociale, c’est donc un juste retour des choses. Au lieu de cela, nous avons une politique faite de demi-mesures. Les ARS, qui comptent des centaines de salariés, sont devenues de grosses machines bureaucratiques. Elles multiplient les contrôles, les études, les rapports, mais ne résolvent pas les problèmes de terrain. Les collectivités locales, elles, font le travail à la place de l’État. Nous finançons les aides, les bâtiments, l’installation des médecins, alors que ce devrait être une compétence régalienne.
Vous parlez souvent d’une vision fragmentée de la santé publique. Que voulez-vous dire ?
C’est l’un des grands maux de notre pays : on gère les crises par petits morceaux, sans jamais regarder l’ensemble.
On s’attaque un jour au numerus clausus, un autre à la désertification, puis à la télémédecine, mais sans cohérence d’ensemble. Il manque une vision globale : celle d’un système équilibré, lisible, où les jeunes peuvent s’installer, les patients être suivis, et les collectivités être accompagnées. Aujourd’hui, c’est l’inverse : on déresponsabilise l’État et on surcharge les territoires. Et pendant ce temps, les médecins croulent sous les tâches administratives. Je parle souvent avec eux : leurs soirées sont absorbées par la paperasse. Il faut recentrer les praticiens sur le soin, pas sur la gestion.
Si l’on revient à Cholet, quels résultats concrets avez-vous obtenus depuis le lancement du plan ?
Les premiers effets sont positifs. Nous avons cinq dossiers d’installation validés et plusieurs aides attribuées à des médecins qui ont choisi de s’implanter dans les communes de la première couronne. C’est une politique intercommunale : nous voulons que l’ensemble du territoire bénéficie de ces dispositifs. Et les perspectives sont encourageantes : notre centre municipal de santé attire des praticiens, y compris des médecins étrangers, souvent très qualifiés, notamment libanais et syriens. Ils apportent une vraie richesse au système de santé local.
Au-delà de la santé, comment préparez-vous l’avenir de Cholet ?
Nous poursuivons une logique d’équilibre entre développement économique, qualité de vie et responsabilité budgétaire.
Nous avons par exemple maintenu nos investissements tout en maîtrisant la dette. La création d’une taxe foncière intercommunale a été compensée par une baisse équivalente sur la taxe communale. Résultat : pas d’augmentation pour les habitants. Et nous continuons à investir : un nouveau palais des sports de 60 millions d’euros verra le jour à la fin du premier semestre 2026. C’est un projet structurant, à la hauteur du dynamisme de notre équipe de basket, présente en Coupe d’Europe. Mais ma plus grande fierté reste sans doute d’avoir préservé la cohésion et la vitalité du territoire, même dans les périodes les plus difficiles.
Si vous deviez résumer votre mandat en un mot ?
Je dirais résilience. Nous avons surmonté des crises industrielles, économiques, sanitaires. Nous avons su nous adapter, innover, maintenir un haut niveau de service public tout en restant rigoureux financièrement.
Preuve qu'il est encore possible, dans une ville moyenne, d’inventer des solutions concrètes, humaines et efficaces.