Protection de l’enfance : les maires en première ligne face à l’urgence invisible

, mis à jour le 20/11/2025 à 20h51
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« Deux à trois enfants victimes par classe » : le drame silencieux

Au Salon des maires, associations, élues locales et pouvoirs publics ont dressé un constat glaçant : les violences faites aux enfants explosent et les collectivités se retrouvent en première ligne, souvent sans moyens ni cadre suffisamment protecteur. Entre signalements complexes, manque de formation et besoin d’outils juridiques, les interventions appellent à une mobilisation urgente de l’État et à une action locale plus structurée.

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« Dans une classe, ce sont probablement deux ou trois enfants qui subissent l’inceste », rappelle d’emblée, Laura Morin, directrice de l’association L’Enfant Bleu. Le chiffre saisit la salle. Au Salon des maires, impossible d’esquiver ce constat : un enfant subit des violences toutes les trois minutes en France, et dans la majorité des cas, l’agresseur est un proche. « C’est dans les familles, dans les environnements de confiance, que se produit le pire », insiste la haut-commissaire à l’enfance, Sarah El Haïry, venue défendre une politique plus offensive contre la pédocriminalité.

Face à ces drames, les communes n’ont plus le choix. À Charolles (71), une maire de 5 000 habitants raconte avoir dû aménager cinq logements d’urgence pour les victimes, gérés avec des personnels formés : « Avec peu de moyens, on peut faire beaucoup. Ce qui compte, c’est une volonté politique ». Une initiative saluée par Charlotte Baelde, présidente du Centre Hubertine Auclert : « Bravo. On pense souvent que les petites communes ne peuvent rien faire. C’est faux ».

Les associations dénoncent cependant un angle mort : les enfants sont encore trop souvent traités comme témoins, et non comme victimes à part entière. Le Centre Hubertine Auclert réclame une évolution du droit sur le modèle espagnol. L’enfant doit être juridiquement reconnu comme victime d’une violence, même s’il « n’a pas été frappé mais a vécu dans un foyer violent ». « Il y a urgence à sortir de cette culture de l’aveuglement », martèle l’organisme.

Signalement, formation, protection : une chaîne trop fragile

Les acteurs présents sont unanimes : les outils existent, mais ne fonctionnent pas suffisamment. Le 119, par exemple, décroche, mais pas assez vite, ce qui peut laisser un enfant en danger. Surtout, une fois le signalement fait, la démarche peut s’enliser. « On a peur que l’aide sociale à l’enfance ne protège pas assez… alors certaines personnes préfèrent se taire. C’est terrible », reconnaît une élue.

Autre maillon défaillant : la formation des forces de l’ordre et des professionnels éducatifs. « Former la police n’est pas un luxe, c’est essentiel », déplore une représentante d’Hubertine Auclert, rappelant que la préfecture de police a mis fin à certaines subventions pour ces formations. L’association Solidarité Femmes, présente en Essonne, complète : « Héberger, ce n’est pas suffisant. Sans accompagnement social, psychologique et juridique, la victime retourne parfois chez l’agresseur ».

Les intervenants appellent aussi à agir en amont, dans les écoles, dès la maternelle, pour enseigner l’égalité et repérer les signes d’emprise. L’Enfant Bleu va jusqu’à organiser des interventions en classe. Résultat : « Dans 80 à 90 % des cas, des révélations surviennent après notre passage ». Un outil précieux, mais encore trop rare.

L’État promet des avancées : certificat d’honorabilité et réforme du signalement

Interpellée, la haut-commissaire à l’enfance,  Sarah El Haïry, annonce une volonté de « traquer les prédateurs » en sécurisant l’accès aux professions en contact avec des enfants. Le certificat d’honorabilité, déjà obligatoire pour la petite enfance, pourrait être étendu aux personnels municipaux, animateurs périscolaires, éducateurs sportifs et agents des collectivités. Objectif : détecter les condamnés inscrits au fichier des agressions sexuelles (FIJAIS). « On a trouvé 2 000 pédocriminels en poste au contact d’enfants lors des contrôles récents », révèle Sarah El Haïry. « Et certains étaient employés par des services publics. On ne peut plus fermer les yeux ». Elle promet également un 119 plus efficace, avec un volet dédié aux professionnels, pour lever la peur du signalement : « Ce n’est pas de la délation. C’est protéger une vie ». Elle suggère enfin que chaque commune désigne un adjoint chargé de la protection de l’enfance, afin d’articuler prévention, signalements, partenariats associatifs et formation des agents. 

Au-delà des dispositifs, la haut-commissaire conclut par un appel politique : « On ne protège pas un enfant seul. Il faut une meute. Les élus, les associations, les écoles, les forces de l’ordre doivent agir ensemble ». Dans la salle, des maires acquiescent. Certains repartent avec l’idée d’installer un affichage obligatoire du 119. D’autres demandent des conventions avec les associations pour leurs écoles.
Tous, en revanche, semblent avoir acté une certitude : la violence faite aux enfants n’est plus un sujet caché. Elle est un devoir communal. Et un combat culturel qui débute dans les mairies.
 

Danièle Licata, rédactrice en chef Zepros Territorial, décrypte enjeux publics et collectivités. Forte de 20 ans en presse économique, elle rend accessibles les sujets complexes avec passion et engagement.
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