Anthropocène et pouvoir d’agir des dirigeants territoriaux

Philippe Pottiée-Sperry
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L’ADT-INET (Association des dirigeants territoriaux et anciens de l’INET) a rédigé un manifeste (1), intitulé « Anthropocène (2) et pouvoir d’agir des dirigeants territoriaux », pour incarner les débats de ses membres face aux urgences écologiques, sociales et économiques. Avec le souci de partager cet appel à la mobilisation générale avec l’ensemble des associations professionnelles et des dirigeants territoriaux.

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Nous avons deux mandats pour ne pas entrer dans des dérèglements que nous ne serons plus en mesure de gérer. Les solutions existent mais nous ne pouvons pas attendre que les organismes internationaux et les Etats aient posé le cadre de l’impulsion. Alors le virage ne pourra venir que des territoires. Les territoires sont désormais l’échelle du possible et se retrouvent face à une responsabilité historique : déployer immédiatement et simultanément toutes les réponses existantes pour les faire entrer en résonnance et faire système.

Pourquoi ne croyons-nous pas ce que nous savons ?

Pourquoi, alors que, de rapports Meadows en rapports du GIEC, les données relatives à l’effondrement du vivant poussent des dizaines de milliers de scientifiques du monde entier à sortir de leur réserve pour appeler à un sursaut, ne parvenons-nous pas à réagir collectivement ? C’est que leur lecture n’appelle qu’une conclusion : notre système de développement actuel est une impasse. Et si nous voulons pallier les dérèglements que commencent déjà à engendrer l’affaissement du pouvoir de régénération du vivant et la diminution de l’accessibilité des ressources, il est vital de faire évoluer nos manières de penser et de faire. La crise sanitaire vient à cet égard nous rappeler un savoir oublié : le superflu ne saurait avoir de valeur que dans la mesure où l’essentiel est assuré. Elle a révélé nos vulnérabilités, nos solidarités et accéléré les processus latents.

Mais nous sommes prisonniers d’une cage idéologique. Notre difficulté n'est pas de comprendre les idées nouvelles mais d'échapper aux anciennes. Nous nous trouvons devant un basculement de système de représentation aussi majeur que celui opéré par Copernic. Comme à l’époque où ses calculs ramenèrent la Terre à sa dépendance d’un système solaire dont elle s’était crue maitre jusque-là, les données de notre impact sur le système Terre, ramènent aujourd’hui l’homme à sa dépendance d’un écosystème du vivant dans lequel il pensait puiser sans limite. Cette découverte n’est pas intégrable dans la cohérence du modèle existant. Elle impose de réviser nos représentations et notre système de valeurs, de réinventer nos apprentissages pour créer une culture de l’interdépendance et de l’attention au vivant.

Notre modèle actuel est fondé sur une croissance perpétuelle reposant sur des exponentielles, alors que nous vivons dans un monde… fini. Exponentielles de la démographie et de la consommation. Exponentielles associées des besoins en énergies fossiles et en métaux dont la disponibilité est pourtant comptée. Exponentielles de l’exploitation des terres, des eaux, des végétaux, des animaux et des intrants, de l’artificialisation des sols, de la production de CO2 et de déchets qui mettent à mal leurs capacités de renouvellement.

Il ne s’agit plus d’être taxé d’intellectuel, d’idéaliste, de révolutionnaire ou de Cassandre. Il faut seulement arrêter de refuser de savoir. Il ne s’agit plus d’attendre que le changement vienne d’ailleurs, de l’impulsion d’un autre, mais de questionner notre responsabilité professionnelle dans la perpétuation de ce modèle. Nous pensons chaque jour, de bonne foi, prendre des décisions rationnelles, mais la somme de nos décisions aboutit inexorablement à une trajectoire globale qui contrevient aux objectifs d’amélioration du bien être humain et de respect du vivant.

Faisons notre part

Nous sommes 150 000 cadres dirigeants de collectivités territoriales. Nous représentons un formidable levier de transformation immédiate des politiques publiques. Cela dépend des élus, bien sûr, mais de nous aussi beaucoup, au travers des dimensions que nous faisons valoir dans l’instruction des dossiers. Sachons être conseillers plutôt que courtisans. Organisons une révision générale de nos cadres d’analyse.

Nous avons le pouvoir et désormais le devoir d’agir. Acceptons de désapprendre, de sortir des vieilles recettes, de changer de logiciel. Appuyons-nous sur de nouveaux acteurs, ouvrons-nous à de nouveaux possibles. Soyons créatifs, à l’écoute. L’intérêt général passe par la préservation, la réparation, la résilience et le développement des communs (eau, terre, air, biodiversité), par la pensée systémique, la mise en réseau des parties prenantes, l’encapacitation des acteurs et des citoyens. Il nous faut changer de posture et devenir servant leader au service d’une communauté apprenante. Effectuons un choc de perspectives, un aggiornamento de nos façons de penser le développement de nos territoires, une reconsidération de nos postures de dirigeants. Soyons force de propositions !

Tout est à notre portée

Toutes les analyses ont été réalisées, les arguments développés. Des expériences ont été menées dans tous les domaines et n’attendent que d’essaimer.

Isolation des bâtiments, choix de matériaux durables, nouvelles constructions à neutralité énergétique ou à énergie positive, chauffage urbain à énergie durable, récupération des eaux pluviales, éclairage urbain intelligent, production d’énergie locale s’appuyant sur le solaire, l’éolien, la géothermie, la micro hydroélectricité, l’houlomotricité, la thermodynamie, la cogénération, la méthanisation sont autant d’outils pour diminuer rapidement et massivement la consommation d’énergie, en produire localement et proprement, améliorer la sécurité énergétique et diminuer les charges notamment des plus démunis.

Circuits courts, développement des cultures biologiques ou raisonnées, maintien et développement des petites parcelles, agriculture régénératrice des sols, agriculture de conservation des espèces et des variétés, permaculture, microbiologie, lombriculture, compostage, gestion durable des bassins hydriques, sont des pistes avérées pour lesquelles ne manque que le passage à l’échelle pour assurer sécurité et qualité alimentaire, santé collective, fierté professionnelle, préservation des paysages, et valorisation de l’identité des territoires.

Sobriété foncière, densification et végétalisation urbaine, couloirs de continuité écologique, qualité de l’eau, préservation, développement et ensauvagement des espaces naturels, abandon des produits phytosanitaires, mobilités douces peuvent rapidement offrir les conditions d’une meilleure cohabitation des vivants.

Politique d’achat, priorisation budgétaire, volontarisme des PPI, choix des outils de mesure de la performance publique, instruction des dossiers à partir des paradigmes et cibles chiffrées des 17 Objectifs du Développement Durable de l’ONU, sont autant de domaines dans lesquels exercer notre responsabilité professionnelle au côté de la nécessaire éducation et sensibilisation de tous.

Alors une goutte d’eau dans la mer ? Alors seuls ?

Emparons-nous de ces possibles et proposons de manière immédiate et coordonnée la diminution de nos empreintes écologiques par la transformation de nos modalités d’aménagement, la réorientation de nos économies locales, de nos créations d’emplois et de nos productions agricoles. Et faisons-en sorte que cela fasse système, entre en résonnance, s’autoalimente, intègre et prenne soin des plus fragiles.

Soyons la goutte d’eau qui fait déborder le vase

Tout se tient prêt au grand démarrage. Tout est en devenir, partout. Au niveau international, les institutions et organismes ont conçu des dispositifs règlementaires et diplomatiques de basculement vers un monde orienté économie verte, préservation et réparation des communs, épanouissement des vivants.

Les grands acteurs de la finance réfléchissent à comment réorienter leurs actifs vers les acteurs de l’économie décarbonée. Les grandes entreprises commencent à mesurer les impacts financiers liés au dérèglement climatique sur leur modèle économique et travaillent à leur aggiornamento.

Au niveau européen, le Green Deal représente un virage historique dans la vision du développement économique de la Commission. Des instruments de mesure de la performance alternatifs, prenant en compte les impacts écologiques et sociaux sont désormais disponibles. Des évolutions majeures du droit sont dans les cartons et la jurisprudence évolue.

Des milliers d’ingénieurs, de chercheurs, d’entreprises inventent chaque jour des solutions pour conserver notre niveau de développement de manière écologiquement responsable. Des milliers d’associations et de militants se battent. Une partie de la jeunesse piaffe. Des territoires et des communautés expérimentent avec succès à leur échelle. Alors pourquoi cela ne démarre-t-il pas vraiment ?

Ce qui manque pour que toutes les potentialités se mettent à faire système : c’est nous

Contrairement aux idées reçues, la Transition n’est pas une question écologique mais une question existentielle. Les gouvernements et les entreprises ne font que refléter la somme de nos comportements individuels. L’émergence d’un nouveau modèle ne passera que par une évolution de nos désirs et leur traduction au quotidien dans nos façons de consommer, de nous déplacer, de nous alimenter, de nous ressourcer. Car on ne combat pas un modèle, on le démode. Aucun système ou gouvernement n’a jamais pu résister à la force des aspirations profondes d’une société.

Alors maintenant nous savons. Maintenant nous pouvons. Convaincue de l’importance et de l’urgence de l’action publique, l’ADT-INET s’engage résolument au service de la Transition et appelle les cadres territoriaux, aux côtés des élus et des parties prenantes, à une mobilisation générale au service de cette nécessaire transformation.

(1) Version longue du manifeste : ici

(2) Anthropocène : une époque sans précédent où l’influence de l’homme sur les écosystèmes qu’elle abrite est devenue elle-même une force géologique

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Philippe Pottiée-Sperry
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