Jean-Luc Bertoglio : "un projet de loi 3DS très décevant"

Philippe Pottiée-Sperry
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Tribune de Jean Luc Bertoglio, président de JLBeconseils, ancien DGS et docteur en droit public.
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A l’issue du grand débat national, s’étant tenu suite à la crise des gilets jaunes, le président de la République, lui-même, avait annoncé la naissance d’un « nouvel acte de la décentralisation ». Il avait même souhaité lors du congrès des maires de novembre 2019 une logique d’efficacité et de simplicité de l’action publique. Le projet de loi dit « 4D » puis « 3DS » relatif à « la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale » est loin d’un tel objectif. Adopté en juillet dernier par le Sénat, le texte a été examiné par les députés jusqu’au 17 décembre (vote solennel prévu le 4 janvier).

L’amélioration tant attendue de la décentralisation et, ne l’oublions pas, de la déconcentration, était au programme après une large consultation des territoires. Les professionnels y voyaient, évidemment, enfin, la clarification du « mille-feuille » responsable de doublons évidents dans l’exercice des compétences des collectivités locales et de l’Etat, de déficits de performance et de gaspillage de l’argent public. Ces doublons sont source de démotivation et de découragement. Cela vaut entre les collectivités locales, entre les services plus verticaux que jamais de l’Etat, mais aussi entre l’Etat et les collectivités sous couvert de partenariats ou de de systèmes dits « collaboratifs » malgré la qualité des agents…

Quelle vision ?

Le timide projet de loi passé du 4D au 3DS après la moulinette sénatoriale en juillet dernier ne règle pas grande chose. Ce n’est pas un acte de décentralisation mais une compilation de mesures techniques glanées lors des consultations et censées appesantir des difficultés pratiques après la succession de crises. On est loin d’une vision « datarienne » et managériale. Avec les crises des gilets jaunes et du Covid-19, la proximité revient comme un leitmotiv entrainant parfois des replis sur soi et des querelles de clochers déboussolant les partis politiques eux-mêmes ! Pour libérer les énergies créatrices et réduire les inégalités sociales, il faut un Etat régalien lucide et stratège et non multi azimuts.

Le S remplaçant le D de « décomplexifcation » amène une caution ou un alibi bien connu. Le mot simplification sert souvent à « faire passer la pilule » de l’incompréhension. Les renvois incessants prévus dans les articles du projet de loi le prouvent allègrement. Ils ne règlent pas les dysfonctionnements connus et ne sont que des mesures d’ajustement ne relevant pas toujours du législateur. Le Conseil d’Etat a d’ailleurs publié le 17 mai 2021 un avis très critique de 47 pages où il exprime sa déception.

Les DGS et DGA aiment l’innovation, l’ouverture, l’agilité…Pour autant, cette cacophonie nous interpelle et nous renvoie au bon vieux discours de Descartes sur la « Méthode ». La « logorrhée » que dénonce depuis longtemps le Conseil d’Etat renvoie au « nul n’est censé ignorer la loi ». Dis de manière différente le citoyen est trop peu au cœur des politiques publiques même si le projet de loi tente un élargissement des participations citoyennes. L’action de nos gouvernants apparait trop loin de leurs préoccupations. Les citoyens ne la comprennent pas dans les complexités ambiantes et technocratiques.

Quelle différenciation ?

Faut-il s’étonner alors de la désaffection pour les urnes et pour la démocratie à laquelle nous sommes tous attachés ? L’incapacité de notre pays à produire des normes et des textes comestibles, stables mais évolutifs, laisse songeur. Comment s’étonner en ce sens que la détermination claire des fonctions d’un DGS ou d’un DGA n’existe toujours pas et qu’un citoyen ne sache toujours pas comment fonctionne une collectivité locale, un établissement public ou une direction de l’Etat ni même un service public du quotidien comme une CAF, une CPAM ou Pôle Emploi.

Certes, les mots magiques foisonnent tels « projet », « territoire », « dynamique », « collaboration », « mutualisation » ! Le projet de loi tente maladroitement de répondre aux critiques d’un Etat estimé égalitariste et technocratique, ce qui amène à la différenciation. C’est évidemment un progrès. Sauf que sans des régions fortes et sans une révision de la Constitution, la différenciation, c’est-à-dire l’adaptation des textes aux situations locales, est difficile à mettre en œuvre (quelle portée de l’article 72 de la Constitution ?).

Quelle ambition ?

Oui donc à la différenciation car aucun territoire n’est comparable. Chaque territoire recèle des atouts propres. Il doit pouvoir agir sans entrave dans le respect de l’unité nationale et des fonctions régaliennes de l’Etat.

Oui à des expérimentations locales facilitées et donc simplifiées.

Oui à une décentralisation qui donne du sens et qui montre le chemin.

Oui enfin à une déconcentration palliant les doublons et rationalisant les services d’Etat au regard de ceux des collectivités locales. Halte à la contractualisation abusive qui bride les initiatives locales et surtout rigidifie l’action.

L’ambition pour le citoyen, mais aussi pour le monde économiqu,e c’est d’abord celle de la lisibilité et du qui fait quoi, comment et avec quels moyens ? Le projet de loi est plutôt sur une ligne utilitaire et non de clarification... Il empile les mesures de politiques publiques concernant des sujets aussi diversifiés que le logement, l’urbanisme la santé, le sanitaire, le social, l’assainissement, le forestier, la culture, l’environnement, la transition énergétique, la démocratie, le domaine public, le pouvoir de police, la sécurité routière, le très haut débit ou les finances… Les ARS, bientôt chapeautées par un conseil d’administration, servent un peu de « bouc émissaire » et le projet affiche une plus grande place des élus dans la gouvernance. Comment s’y retrouver dans une telle mécanique de mélange des genres. Finie la subsidiarité à ranger dans les mots et les maux !

Beaucoup d’interrogations en suspens

Pourtant, il faudrait tout de même s’interroger sur l’efficacité des systèmes de chef de file, de délégations de compétences entre collectivités (encore promues dans le projet de loi), de mutualisation ou encore requestionner cette notion « d’intérêt communautaire ou métropolitain ». Il faudrait aussi mettre aussi un peu d’ordre dans la multitude de conférences, schémas et contrats existant dans un foisonnement qui laisse le profane pantois. Quid de l’efficacité des conférences territoriales de l’action publique (CTAP) appelées à se prononcer en cas de délégation d’un niveau de collectivité à un autre ? Qu’attend-on du préfet promu de manière automatique à la présidence des Agences de bassin ou imaginé comme pilote stratégique des projets territoriaux ? Que deviennent les intercommunalités et les SDCI ?

En parallèle, les expérimentations de recentralisation du RSA ou de transfert des routes nationales dans un cadre peu clair surprend.

Le besoin d’un vrai débat

Au final, le projet de loi 3DS est soit un apéritif alambiqué avant-coureur, soit un digestif corsé permettant de faire passer la pilule des crises des gilets jaunes et du Covid-19. Il empile les mesures techniques et fait acte « d’inventaire ». Une fois encore, on se demande à quoi servent les consultations préalables. De ce point de vue, quelle déception pour tous les acteurs engagés dans les territoires mais aussi pour les citoyens qui apportent leur lucidité, mais aussi, leur supplément d’âme.

A l’évidence, l’efficacité de l’action publique doit faire l’objet d’un vrai débat. Il faudra bien un jour trancher ce débat des compétences entre l’Etat et les collectivités et sortir des critiques, justifiées par les chiffres, sur notre « sur administration ».

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Philippe Pottiée-Sperry
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