Covid-19 : un plan d’urgence de 4,5 Md€ pour les collectivités
A peine 24h après les annonces de la seconde phase du déconfinement, le Premier ministre a présenté un plan de soutien d’urgence pour les collectivités, le 29 mai, selon lui, « d’une ampleur inédite ».
Il était accompagné des ministres concernés (Jacqueline Gourault, Sébastien Lecornu et Olivier Dussopt) mais aussi de Jean-René Cazeneuve, président de la délégation aux collectivités de l’Assemblée nationale à qui il avait confié une mission sur les conséquences financières du Covid-19 sur les collectivités. Dans la même journée, il y a eu trois réunions différentes avec les représentants de bloc communal (communes et intercommunalités), des communes d’outre-mer et des départements. Le plan de soutien de 4,5 Md€ concerne donc toutes les collectivités, sauf les régions qui devront attendre une réunion avec Edouard Philippe, courant juin. Pas de quoi satisfaire Renaud Muselier, le président de Régions de France, qui dénonce « l’exclusion des régions des mesures adoptées », y voyant « une provocation ».
La mission Cazeneuve chiffre à pas moins de 7,5 Md€ les pertes de recettes fiscales pour l’ensemble des collectivités sur l’année 2020 : 3,2 Md€ pour le bloc communal, 3,4 Md€ pour les départements et 0,9 Md€ pour les régions. Des montants qui devraient encore grimper durant l’année. Mais aussi en 2021. Dans le détail, les impôts les plus touchés sont la taxe de séjour (- 40%), les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) (- 25%), le versement mobilité (- 25%), l’octroi de mer (outre-mer) (-15%).
Compenser les pertes de recettes fiscales et domaniales
Le plan prévoit tout d’abord la création d’un mécanisme de compensation des pertes de recettes fiscales et domaniales pour le bloc communal pour un montant total estimé de 750 Md€. En pratique, leurs recettes ne pourront pas être inférieures en 2020 à la moyenne des trois derniers exercices (2017-2018-2019). « C’est la première fois qu’un tel mécanisme de garantie est utilisé », a affirmé Edouard Philippe. Ce dispositif a été proposé Jean-René Cazeneuve dans son rapport. Il devrait concerner entre « 12 000 et 14 000 » communes et intercommunalités, a précisé le Premier ministre. Et d’ajouter : « C’est pour elles l’assurance d’un montant minimal de recettes extrêmement précieux pour faire face à la crise ».
Priorité aux communes touristiques et d’outre-mer
Le dispositif visera en priorité les communes touristiques et les communes d’outre-mer (110 M€ de garanties de recettes fiscales), particulièrement impactée par la crise. « Cette garantie bénéficiera aussi aux régions d’outre-mer, à hauteur de 40 à 50 M€ », a indiqué le Premier ministre. Aux garanties de recettes fiscales pour les communes ultra-marines s’ajouteront des compensations pour leurs pertes sur les produits de l’octroi de mer et de la taxe sur les carburants.
En direction de l’outre-mer s’ajoute également l’initiative « Outre-mer en commun », annoncée quelques jours plus tôt et dotée d’un montant d’un Md€ de l’Agence française de développement (AFD) pour les collectivités et entreprises ultramarines. Différents prêts permettront d’accompagner des programmes d’investissements publics. Pour Mayotte sera expérimenté, au second semestre, un dispositif de prêt de préfinancement du FCTVA pour les communes leur permettant d’amorcer plus facilement leurs projets d’investissement, avec le soutien financier du ministère des Outre-mer. Une extension aux autres départements et régions d’outre-mer sera envisagée en 2021 « si les résultats de l’expérimentation sont concluants ».
Satisfaction des associations d’élus
Parmi les premières associations d’élus à réagir, l’APVF (Association des petites villes de France) a « salué » ces annonces gouvernementales « pour soutenir les collectivités locales et amortir le choc violent qu’elles subissent » qui vont « globalement dans le bon sens ». Mais de demander aussi d’intégrer à la compensation « les baisses importantes de recettes tarifaires (restauration, transports et garderies scolaires et périscolaire etc.) ». Pour sa part, l’association Villes de France, tout en jugeant que ces annonces « vont dans le bon sens », estime que « retenir comme base de calcul des recettes des trois dernières années peut réduire significativement l’impact de cette mesure ».
Pour l’APVF, la compensation doit également tenir compte de la dimension sociale de l’intervention des communes (précarité, aides aux personnes âgées…). Les petites villes rappellent ici leur préconisation de créer « une dotation exceptionnelle et temporaire ‘Covid-19’, traitée en dehors de la norme de dépense pilotable et indépendante de la DGF ».
Saluant également les annonces gouvernementales, l’Assemblée des communautés de France (AdCF) insiste néanmoins sur « l’importance des pertes de recettes tarifaires subies par les communes et intercommunalités sur leurs services et équipements publics (musées, piscines, cantines, centres de congrès…) ». Elle plaide ainsi pour établir « un bilan précis » des pertes de ressources occasionnées par les fermetures administratives mais aussi des économies qui ont pu en découler.
Alarme sur le versement mobilité
Villes de France demande que le versement mobilité soit également abordé « rapidement car les premiers impacts concrets se font déjà sentir ». Et de s’alarmer du risque d’une « baisse très importante qui menace l’équilibre financier des réseaux au moment même où il s’agit de développer l’offre de mobilité durable ». « Les pertes de versement mobilité se chiffrent aux alentours de 25% et la chute des recettes tarifaires peut atteindre 50% ! », a témoigné François Rebsamen, maire de Dijon et représentant de France urbaine lors de la réunion du 29 mai. Même inquiétude exprimée à l’AdCF qui souligne « le financement des transports publics dangereusement fragilisé par les fortes baisses du versement mobilité et des recettes tarifaires mais aussi des surcoûts de fonctionnement liés aux mesures de protection sanitaire ». Avec le Gart, l’AdCF appelle à « des réponses spécifiques et urgentes à ce problème propre aux autorités organisatrices des mobilités ». « Quand on évoque le problème des transports, il faut avoir en tête que les pertes de versement mobilité se chiffrent aux alentours de 25% et que la chute des recettes tarifaires peut atteindre 50% ! », a témoigné François Rebsamen, maire de Dijon et représentant de France urbaine lors de la réunion du 29 mai.
Par ailleurs, l’AdCF rappelle que les impacts de la crise sur les recettes fiscales du bloc local seront surtout ressentis en 2021 compte tenu des règles de différé en année n+1 des impôts économiques locaux (CVAE, CFE…) perçus par les intercommunalités. Et de demander que « des précisions soient rapidement apportées sur les règles de compensation qui s’appliqueront à l’avenir afin de permettre aux collectivités d’élaborer leurs plans pluriannuels d’investissement en disposant d’une visibilité suffisante ».
Un Md€ pour les investissements verts
Comme le demandaient les associations d’élus, une annexe spécifique sera créée dans les budgets locaux afin de prendre en compte le caractère exceptionnel des dépenses liées au Covid-19. Certaines dépenses de fonctionnement inscrites sur cette annexe pourront être lissées dans le temps et être financées par l’emprunt.
Pour faire face aux dépenses exceptionnelles dues à la crise, le Premier ministre a aussi rappelé la suspension des « contrats de Cahors » (limitation des dépenses de fonctionnement des collectivités à 1,2 % par an) et la prise en charge par l’Etat de 50% du coût des masques achetés par les collectivités depuis le 13 avril.
Autre mesure annoncée par le gouvernement, en faveur du bloc communal : l’abondement à hauteur d’un Md€ de la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL). Il faudra « privilégier les investissements verts », a tenu à préciser Edouard Philippe. La DSIL passe ainsi de 0,6 Md€ à 1,6 Md€. L’APVF se dit favorable à la mise en place d’une DSIL exceptionnelle dès lors que ce dispositif ne remet pas en cause sa proposition d’un remboursement unifié de FCTVA (en année n+1 ou mieux, en année n) « pour libérer des capacités supplémentaires d’investissement ». Pour faciliter l’investissement public, l’APVF plaide aussi pour relever les plafonds des marchés publics de 40 000 à 100 000 € HT.
Départements : une avance sur les produits des DMTO
A l’issue de la réunion du Premier ministre avec les départements, Sébastien Lecornu, ministre chargé des Collectivités, a indiqué qu’ils « pourront solliciter des avances sur les produits des DMTO (droits de mutation à titre onéreux), ressources très cycliques sans doute amenées à baisser en 2020. L’Etat ouvrira 2,7 Md€ à cet effet ». Mais il ne s’agit là que d’avances.
Tout en saluant le dispositif proposé par l’Etat, « une réponse immédiate qui permettra d’assurer nos missions et d’amortir les effets à court terme de cette crise », François Sauvadet, le président du département de la Côte d’Or, ajoute qu’« il faut néanmoins ouvrir la discussion sur les solutions à plus long terme ». L’ancien ministre de la Fonction publique pointe l’effet ciseau subi par les départements, entre la baisse des recettes fiscales et la hausse des dépenses sociales, et estime ainsi que « le département est l’échelon territorial le plus impacté. J’alerte le gouvernement sur la forte augmentation de la pauvreté et de la précarité parmi nos concitoyens ».
Le PLFR 3 présenté le 10 juin
Toutes les mesures d’urgence du plan gouvernemental seront contenues dans le projet de loi de finances rectificative N°3 (PLFR 3), présenté au conseil des ministres dès le 10 juin, qui visera plus particulièrement les secteurs en difficulté. Le volet collectivités locales s’inspirera en grande partie des propositions de Jean-René Cazeneuve. L’idée est d’aller vite avec une adoption du texte au plus tard courant juillet.
Par ailleurs, les associations d’élus continuent de réclamer le report voire la suppression de la réforme de la taxe d’habitation. Sur ce point, le gouvernement reste sur la même position et ne semble pas prêt à bouger. Par ailleurs, le 28 mai, le président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, a présenté ses propositions pour reconstruire une politique de l’offre qui devrait passer, selon lui, par « une baisse rapide des impôts de production ». Un chiffon rouge pour les associations d’élus qui refusent catégoriquement leur remise en cause.
Enfin, les travaux de la mission Cazeneuve doivent se poursuivre encore quelques semaines « pour affiner l’évaluation des conséquences de la crise sur les budgets locaux et pour proposer des solutions afin que les collectivités puissent stabiliser durablement leur situation financière et se mobiliser aux côtés de l’Etat dans l’effort de relance », précise le gouvernement.
Philippe Pottiée-Sperry