Des municipales hors du commun
Dans le contexte inédit de la crise sanitaire, avec plus de trois mois entre les deux tours, la séquence des municipales est enfin close, sauf en Guyane où le scrutin a été annulé en raison de la recrudescence de l’épidémie.
La génération des maires 2020 restera marquée par ce contexte si particulier avec de fortes responsabilités dans la gestion économique et sociale de la crise.
Une abstention record
Le scrutin est marqué par un taux d’abstention record pour des municipales, dû à la crise sanitaire et à une défiance civique, surtout au second tour. La loi du 22 juin 2020 permettant à un même électeur de disposer de deux procurations, contre une seule habituellement, n’aura pas suffi à enrayer le mouvement. Selon un sondage Sopra-steria pour France TV, Radio France, LCP et Public Sénat, 43% des Français citent le risque sanitaire comme première raison de leur abstention. Celle-ci a atteint 55,36 % au premier tour (contre 36,4% en 2014) et 58,4% au second tour le 28 juin (contre 37,87 %). Michèle Lutz (LR) a été réélue maire à Mulhouse, ville durement touchée par le Covid-19, mais avec une abstention historique de 75,38% ! De nombreux observateurs analysent le 28 juin comme « une défaite du civisme ».
Une vague verte
Organisé dans 4922 communes (16,5 millions d’électeurs), le second tour s’est traduit par une vague verte dans les grandes villes avec des victoires très symboliques à Lyon (Grégory Doucet à la ville et Bruno Bernard à la métropole, respectivement à droite et à gauche sur la photo), Strasbourg (Jeanne Barseghian), Bordeaux (Pierre Hurmic) – ville remportée par la droite au premier tour depuis 1947 -, Besançon (Anne Vignot), Tours (Emmanuel Denis), Poitiers (Léonore Moncond'huy, âgée de 30 ans), Annecy (François Astorg) où le maire sortant Jean-Luc Rigaut, président de l’AdCF, est battu, Colombes (92)… Marseille bascule également mais se retrouve dans une situation compliquée : l’écologiste Michèle Rubirola l’emporte à la tête de la coalition de gauche du Printemps Marseillais mais avec une majorité relative nécessitant des alliances pour le troisième tour. A Grenoble, Eric Piolle (EELV) est réélu. Martial Foucault, directeur du Centre de recherches politiques de Science Po (Cevipof), a estimé sur LCP, qu’« EELV peut revendiquer sa plus grande victoire. Elle a réussi à s'affranchir de cet handicap institutionnel du mode de scrutin majoritaire à deux tours ». Tout en reconnaissant « une poussée verte indéniable », Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à Paris 2, nuance cette victoire « très forte dans les grandes villes mais qui n'irrigue pas l'ensemble du pays ».
PS et LR résistent
La majorité présidentielle ne peut revendiquer que la forte victoire du Premier ministre Edouard Philippe au Havre avec 58,8% des voix. A droite, LR revendique la victoire dans plus de la moitié des villes de plus de 9000 habitants. Elle perd Bordeaux mais parvient à conserver Toulouse face à EELV (Jean-Luc Moudenc, également président de France urbaine, est réélu). La droite gagne notamment Lorient, qui était PS depuis 1965. De même, François Grosdidier (LR) remporte Metz dirigée jusqu’alors par le PS. A la Seyne-sur-Mer (Var), le maire sortant Marc Vuillemot (PS), président de Ville et Banlieue, est battu par Nathalie Bicais (DVD). Jusqu’alors communiste, Aubervilliers est remportée par Karine Franclet (UDI). Par ailleurs, de nombreuses villes, grandes et moyennes, restent à droite : Nice, Aix-en-Provence, Saint-Etienne, Amiens, Orléans, Nîmes, Limoges, Mulhouse, Colmar, Argenteuil… A noter également la victoire de Patrick de Carolis (divers centre), journaliste et ancien président de France Télévisions, à Arles.
A gauche, Mathieu Klein, président (PS) du département de Meurthe-et-Moselle, remporte Nancy, ville dirigée par la droite depuis 1947. A Lille, Martine Aubry gagne seulement avec 227 voix d’avance face à Stéphane Baly (EELV). Le PS remporte aussi Périgueux (Delphine Labails). Il reconquiert Quimper avec Isabelle Assih qui bat le maire sortant Ludovic Jolivet. De même, Thierry Repentin redevient maire de Chambéry en battant le sortant Michel Dantin (LR). A Saint-Denis, la ville passe du PC au PS avec Mathieu Hanotin. Par ailleurs, les socialistes conservent de nombreuses grandes villes : Paris, Rouen, Brest, Nantes, Rennes, Le Mans, Clermont-Ferrand, Dijon, Avignon….
Pour sa part, le Rassemblement national (RN) remporte Perpignan, ville de plus de 100 000 habitants.
3ème et 4ème tours
Dans les 4922 communes pourvues le 28 juin, la première réunion du conseil municipal, avec l’élection du maire et des adjoints, se tiendra entre le 3 et le 5 juillet. Pour les conseils communautaires dans les 1103 intercommunalités pas encore installées, le délai de convocation a été réduit à trois jours francs permettant une installation dès le 10 juillet (date limite le 17 juillet). Ensuite, celle des comités de syndicats mixtes devra se faire avant le 25 septembre. Autres dates limites : le 31 juillet pour adopter le budget (l’AMF demande le report fin juillet du vote des taux de fiscalité directe locale, prévu le 3 juillet) ; le 30 septembre pour voter les délibérations sur les indemnités des élus ; le 30 octobre pour pouvoir réunir le conseil en audio ou visioconférence (dérogation due à la crise sanitaire).
Les leçons du premier tour
Petit retour en arrière. Au premier tour, les partis traditionnels avaient déjà réussi à confirmer leur ancrage municipal à la différence de LREM. La percée verte était déjà sensible. Dans les communes de plus de 15 000 habitants, pourvues le 15 mars, 407 sont de droite et 229 de gauche. Une analyse de la Fondation Jean Jaurès constate « une très forte stabilité des exécutifs municipaux, au profit des deux partis principaux de l’ancien monde, LR et PS ». « Depuis 1977, la moyenne des conseils et des maires élus dès le premier tour se situe autour de 84% des communes, note pour sa part le directeur du Cevipof. Nous sommes à 86% cette année ».
Les conseils municipaux des 30 143 communes (86% du total), pourvus le 15 mars, sont installés depuis fin mai. Dans 95% des communes, ils comptent moins de trente élus. Le délai d’attente de plus de deux mois fut difficile avec parfois des tensions entre élus et battus. Seules 152 intercommunalités (12% du total) ont pu être installées car la totalité de leurs communes membres n’avaient pas été renouvelées au premier tour. Parmi les 640 000 conseillers municipaux installés fin mai, deux tiers sont nouveaux, selon le ministère de l’Intérieur. Sur 30 143 communes, 19 879 maires sortants ont été réélus le 15 mars et donc maires le plus souvent (les chiffres définitifs des nouveaux élus ne sont pas encore connus). La parité s’améliore avec près de 44% de femmes parmi les élus municipaux.
Des maires mal élus ?
Avec 20 points de participation de moins qu’en 2014, les nouveaux maires issus des municipales de 2020 risquent-ils d’être des maires mal élus ? Certains soulignent une légitimité plus fragile, avec des risques de remises en cause durant l’exercice du mandat. Il reste trop tôt pour mesurer l’ampleur du phénomène. « Les maires sont moins exposés à ce type de critique que les élus nationaux, mais le niveau de participation a été si bas que cela peut créer de vraies tensions », reconnaît Martial Foucault, directeur du Cevipof, dans une interview accordée à Ouest France. Et de citer les 18% des maires élus au premier tour par moins de 25% des électeurs inscrits ! Ce contexte inédit a conduit de nombreux candidats battus à saisir les tribunaux administratifs au motif de la non sincérité du scrutin en pleine crise sanitaire. Fin mai, plus de 3000 recours avaient été déposés !
Philippe Pottiée-Sperry