TRIBUNE. Numérique : l’heure des choix responsables et durables
Injonction paradoxale ou hasard de calendriers ? Le Sénat vient tout juste d’adopter la proposition de loi visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique, quand dans le même temps, le Gouvernement ambitionne à grands renforts de financements et d’appels à projets de dématérialiser 100% des démarches administratives d'ici 2022.
Le numérique, vecteur de « zéro papier », est souvent présenté comme une solution écologique. Le terme de dématérialisation est trompeur car il y a bien exploitation et création de matière. Derrière la transformation numérique de nos organisations se cachent ainsi des impacts environnementaux et sociaux que nous devons saisir en pleine conscience et responsabilité.
La crise sanitaire a drastiquement accéléré le mouvement en termes de déploiement des outils informatiques et des usages numériques. Or, selon The Shift Project, le numérique serait déjà responsable de 4% des émissions de gaz à effet de serre au niveau national (7% en 2040 !), alors que seulement 20% des démarches administratives sont aujourd’hui dématérialisées.
Le numérique est assurément un allié pour améliorer la performance des administrations et la qualité du service rendu aux citoyens. Mais poursuivre l'objectif d’une dématérialisation à 100% nécessitera de revoir les stratégies numériques publiques (voire même de les créer !) afin d’assurer leur soutenabilité au sens économique, social, démocratique et environnemental.
Empreinte carbone du numérique
Dès lors que les deux tiers de l'empreinte carbone du numérique proviennent des terminaux (ordinateurs, smartphones…), en grande partie lors de leur fabrication, les acteurs publics doivent veiller à limiter le systématisme des dotations en : améliorant la qualification des besoins et le sourcing, jouant sur l'allongement de la durée de vie et la réparabilité des matériels, favorisant leur réemploi au bénéfice des usagers fragiles et des associations locales (filières d’économie circulaire).
Le tiers restant des pollutions émanant des millions de données publiques stockées dans les data center, il convient de réguler les dispositifs de sauvegarde et l’accès au cloud, en privilégiant les infrastructures locales, moins polluantes.
Mais s’engager dans la nécessaire sobriété numérique implique de profonds changements dans les usages des agents publics : réduire l'usage excessif des mails (un arbre absorbe 20 kg de CO2 par an tandis que 666 mails avec un fichier de 1 MO les produisent), revoir la collecte et l'hygiène des données (41% des données collectées ne sont pas utilisées pour des analyses), développer leurs compétences numériques et les sensibiliser à la cybersécurité pour renforcer la résilience du service public.
Démocratisation nécessaire
La démocratisation du numérique reste encore un défi. Pour prévenir et résorber les fractures numériques, qui sont à la fois territoriales, sociales, générationnelles… les employeurs publics doivent accompagner la transition numérique auprès de leurs agents comme de leurs usagers. Et par-delà l’effet de mode du « greenwashing », cela peut entraîner des changements fondamentaux dans les stratégies numériques historiques !
Longtemps présenté et perçu comme un progrès, accompagnant la modernisation des administrations, le numérique n’a pourtant pas encore tenu toutes ses promesses. Dématérialiser trop vite et trop fort, c’est prendre le risque de l’éparpillement des ressources, de l'illisibilité des processus, des doubles circuits papier-numérique et de logiciels qui ne communiquent pas entre eux. Là où l’expérience utilisateur (UX) n’est pas ou insuffisamment prise en compte dans les projets numériques, il n’est malheureusement pas rare d’observer complexification, désengagement des agents et coûts cachés, sans parler de l’impact néfaste sur la relation usagers, notamment les plus fragiles.
Or, toute dématérialisation d’une démarche administrative doit consacrer un « plus », complétant l’intervention et l’interaction humaines, consubstantielles du service public. C’est bien cette ambition, et elle seule, qui doit guider la définition des projets entrant dans une stratégie numérique publique responsable conciliant amélioration du service rendu, qualité de vie au travail et réduction de l’empreinte carbone.
Emilie Agnoux, DGA RH, transformation, observatoire de Grand Paris Sud Est Avenir ; Aude Fournier, DGA partenaire et ressources du Département du Nord ; Johan Theuret, DGA chargé du Pôle ressources de Ville et Métropole de Rennes
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