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La Cour des comptes sévère sur la refonte de la fiscalité locale
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Dans ce contexte très mouvant, « tous les niveaux de collectivités voient leur panier fiscal profondément modifié », juge la Cour des comptes dans le second fascicule de son rapport annuel sur les finances publiques locales, rendu public le 23 novembre (premier fascicule publié en juin). Le changement profond de la fiscalité locale conduit à une « perte de lien fiscal avec le territoire », pointent les magistrats financiers. Dans le détail, « le remplacement de la taxe d'habitation (pour les EPCI) et de la taxe foncière sur les propriétés bâties (pour les départements) renforce la perte de lien fiscal avec le territoire ». Ce jugement sévère vaut aussi pour les régions, qui « ne disposent plus de ressources directement rattachées à l'activité économique locale ». S’agissant des départements, ce n’est pas mieux avec le renforcement de « l'inadéquation entre les ressources et les compétences ».
Des constats partagés par l’AMF
La Cour rappelle que « le remplacement d’impôts locaux par des fractions d’impôts nationaux, des dotations ou des prélèvements sur recettes entraîne une rigidification des ressources et tend à réduire les marges de manœuvre des collectivités ». Partageant pleinement ce constat, l’AMF estime que la suppression de la TH « remet durablement en cause le contrat social entre les élus et les habitants ». Selon elle, l’analyse de la Cour valide ses remarques formulées lors du dernier congrès des maires. Et d’enfoncer le clou : « La nationalisation de la taxe d’habitation sur les résidences principales illustre le recul de la décentralisation puisque 33% des recettes de fonctionnement du bloc communal sont déterminées par l’Etat désormais ».
Affirmant partager aussi les autres constats de la Cour des comptes, l’AMF, ayant été consultée pour avis, indique qu’elle avait alerté sur les difficultés des communes et intercos relatives à la réforme de la fiscalité locale, au plan de relance et à l’investissement. Le président de l’AMF, David Lisnard, souhaite ainsi « que l’exécutif tire les enseignements de ce rapport et mette en œuvre un vrai pacte financier État-collectivités sur des bases fiables, donc permettant une relation de confiance ».
Une situation qui s’améliore en 2021
La situation des collectivités devrait cependant s'améliorer en 2021, avec notamment une stabilité des transferts financiers de l'État à périmètre constant. La Cour prédit un redémarrage important des investissements locaux cette année, compte tenu également des nouvelles mesures exceptionnelles de soutien ou le prolongement de mesures existantes et des bonnes perspectives en matière de fiscalité locale et économique. Parmi ces mesures, on peut citer les 10,5 Md€ en faveur des collectivités, prévus dans le plan de relance. L’analyse des comptes provisoires des collectivités tend à confirmer cette tendance et suggère un rebond de l’investissement local en 2021, prédisent les magistrats financiers. A l’appui de leur prévision, ils citent aussi l’Insee qui table sur une reprise de l’activité économique (+ 6,6 % à la fin du troisième trimestre 2021) dont bénéficieraient les collectivités, notamment à travers un panier de recettes désormais plus sensibles à la conjoncture, en dépit des incertitudes concernant l’évolution de la situation sanitaire.
Des doutes sur les CRTE
Le soutien de l'État à la relance s'accompagne d'une nouvelle démarche de contractualisation avec les collectivités, à travers des contrats de relance et de transition écologique (CRTE), de périmètre intercommunal, et des accords de relance départementaux et régionaux. Les 843 CRTE, dont l’échéance de signature a été repoussée fin 2021, portent sur le mandat municipal (2020-2026). Présentés comme l’opportunité de refonder la politique contractuelle de l’État, ils ont vocation à remplacer progressivement les dispositifs de contractualisation existants, de droit commun ou thématiques, portés par l’État et ses opérateurs. « L'ambition de globalisation et de pluri-annualité de cette démarche se heurte à plusieurs risques liés, en particulier, à l'articulation des différents contrats et à la persistance d'appels à projet ministériels », prévient la Cour des comptes.
Le bloc communal, premier investisseur public
Une autre partie du rapport de la Cour des comptes se penche sur l'analyse des comptes de gestion des communes et EPCI, en s’appuyant notamment sur les rapports des chambres régionales des comptes concernant 49 communes et 56 EPCI. Le bloc communal (communes et intercos) constitue le premier investisseur public (37 % des acquisitions nettes d'actifs non-financiers), devant l'État et ses opérateurs (33 %). Les dépenses annuelles d’investissement des communes et intercos sont passées de 36,8 Md€ en 2014 à 43,2 Md€ en 2019. Cette même année, elles représentent 67 % de l’ensemble des investissements des collectivités et des EPCI. La Cour observe que les variations du cycle de mandat 2014-2019 (192,7 Md€ de dépenses d'investissement cumulées) ont été plus accentuées qu'auparavant, et que des divergences territoriales persistent : les dépenses d'investissement par habitant sont plus faibles parmi les agglomérations de 20 000 à 50 000 habitants, et plus importantes parmi celles de plus de 300 000 habitants – où l'investissement progresse le plus rapidement.
Une gestion du patrimoine à améliorer
Par ailleurs, la Cour des comptes aborde le sujet de l'investissement local via la gestion patrimoniale. La conservation et le maintien en l'état du patrimoine nécessitent un effort d'entretien et de renouvellement. Il constate des progrès en matière de maintenance et de surveillance des risques de dégradation, comme par exemple la conservation des ouvrages d'art (ponts et tunnels) et de réseaux d'eau et d'assainissement (stations d'épuration). Mais les besoins de renouvellement devraient s'accélérer au cours de la prochaine décennie et faire apparaître une « dette grise » pesant sur les collectivités pour renouveler leur patrimoine. À l'inverse, certains choix d'investissement (centres aquatiques, voirie ou parcs de stationnement) se révèlent encore souvent disproportionnés au regard des moyens financiers des collectivités et des besoins des habitants.
Enfin, la qualité de la gestion des parcs immobiliers apparait disparate. La mise en œuvre de politiques immobilières, en particulier dans les plus grandes collectivités, mérite d’être développée, estiment les magistrats financiers. Les collectivités demeurent cependant tributaires des prévisions de démographie scolaire qui conditionnent les choix d’adaptation du réseau d’écoles. Les démarches de maîtrise des consommations d’énergie se sont généralisées et constituent désormais une composante à part entière de la gestion des parcs immobiliers. Les meilleures pratiques se retrouvent parmi les collectivités ayant développé un suivi et des indicateurs.
Fiabilité des comptes locaux
Dans le contexte de forte évolution des finances locales, la démarche de renforcement de la qualité comptable se poursuit. « L’exigence constitutionnelle de fiabilité des comptes des administrations publiques est indispensable à la transparence et à la qualité de leur gestion », insiste la Cour. Deux démarches en cours vont rapprocher le secteur public local des règles applicables à l’ensemble du secteur public. L’expérimentation de la certification des comptes de 25 entités volontaires l’amène à proposer quatre modèles : la certification, les attestations particulières, l’examen limité et la synthèse de la qualité des comptes. La Cour note deux points d’attention : le calendrier d’adoption des comptes, qui risque de ne pas permettre d’intégrer certains ajustements et d’éviter la formulation de réserves, le risque de divergence entre différents jeux de comptes (comptes administratifs, comptes de gestion et états financiers). Par ailleurs, le rapprochement avec les règles de gestion de l’ensemble du secteur public se traduit par l’expérimentation du compte financier unique (CFU), qui doit se substituer, à horizon 2024, au compte de gestion produit par le comptable et au compte administratif produit par l’ordonnateur. « Cette unification constituera un progrès en termes de restitution des comptes, même si une version consolidée (un CFU par entité et non par budget) apparaît souhaitable », estime la Cour des comptes.
Philippe Pottiée-Sperry
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