Objectif : sortir un million de personnes par an de la précarité énergétique

Philippe Pottiée-Sperry
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Le collectif Stop à l’exclusion énergétique, qui regroupe une cinquantaine d’organisations et dont Zepros Territorial est l’un des partenaires, a présenté, le 18 décembre, son « scénario 1 million ».

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Objectif : faire sortir un million de personnes par an de la précarité énergétique, à partir de 2021, sachant qu’il existe près de 12 millions de Français souffrant aujourd’hui de précarité énergétique. Pour booster ce combat, le collectif veut en faire la grande cause nationale 2020, label attribué par le Premier ministre qui offre notamment une forte médiatisation. Il se dit confiant en indiquant bénéficier du soutien des ministres Emmanuelle Wargon et Julien Denormandie. L’événement du 18 décembre a proposé une série de débats avec différents acteurs et experts autour des différentes propositions formulées dans le « scénario 1 million ».

Un chantier urgent

« Nous devons agir vite et mieux, d’autant que les financements et les compétences existent mais peinent à se mettre en œuvre tellement le chantier est important », affirme Gilles Berhault, délégué général de la Fondation des Transitions et coordinateur de Stop Exclusion énergétique. Et de préciser : « La priorité est à l’accélération et à l’amplification dans une approche globale à tous les niveaux de territoire ». Le chantier apparaît d’autant plus urgent que la crise des Gilets Jaunes comme le grand débat ont révélé la situation des exclus énergétiques qui représentent plus de 20 % de la population française. Trois millions de foyers, parmi les plus pauvres, vivent dans des passoires thermiques et dans des mauvaises conditions sanitaires.« On ne peut plus séparer social et écologie, exclusions et développement économique, lance Gilles Berhault. La précarité énergétique sera un sujet prioritaire des élections municipales de mars prochain. Et elle est au cœur des débats actuels : pouvoir d’achat des retraités, précarité des étudiants… ».

10 solutions et 30 propositions

Il rappelle que des solutions existent, portées par les différents acteurs en présence (Etat, collectivités, associations, entreprises), mais manquent souvent de coordination. Articulées autour de 30 propositions, les 10 solutions préconisées dans le « scénario 1 million » reprennent pour l’essentiel ce qui existe déjà. Il s’agit donc de proposer un ensemble cohérent. Mais rien n’est figé, le collectif appelant à continuer à débattre avec ainsi une V2 du scénario, prévue pour fin janvier, début février. En introduction de la matinée, Philippe Pelletier, président du Plan Bâtiment durable, a reconnu que la mise en place du programme « Habitat Mieux » pour lutter contre la précarité énergétique a permis d’avancer mais reste encore insuffisant. « D’où l’importance de l’appel à la grande cause nationale qui est indispensable », insiste-t-il.Parmi les intervenants présents, Vincent Legrand, le directeur général de Dorémi, a posé le bon constat, montrant bien le besoin de passer à la vitesse supérieure : « Depuis des années, les programmes de rénovation énergétique ne concernent que les petits travaux. C’est de l’émiettage, insuffisant et même bien souvent contre-productif ». Dorémi est une entreprise solidaire d’utilité sociale, qui propose une solution de rénovation énergétique complète et travaille régulièrement avec des collectivités.

Rôle clé des collectivités

Les deux premières solutions proposées par le « scénario 1 million » ciblent la sensibilisation et la formation : sensibiliser et outiller les acteurs de proximité pour lutter contre l’exclusion énergétique ; accompagner la montée en compétences de 20 000 ensembliers solidaires (techniques et sociaux). Une autre solution vise à améliorer l’efficacité des outils de lutte contre l’exclusion énergétique mais aussi à accélérer leur diffusion et à en mettre en place de nouveaux. Constatant l’existence de dispositifs locaux efficaces et nombreux (FSL, aides des CCAS et des associations, fonds sociaux d’aides aux travaux de maîtrise de l’énergie...), avec un rôle clé joué par les collectivités territoriales, le collectif plaide pour les harmoniser et les créer quand ils n’existent pas. Une autre proposition vise à mobiliser les filières professionnelles pour prendre en compte les spécificités des comportements liés à certaines professions et situations (salariés des services à domicile, étudiants, agriculteurs, intermittents du spectacle…). Le collectif suggère aussi de conforter et faire connaître les initiatives des élus pour interdire les locations des logements classés F, et donc encourager les bailleurs à les rénover. On peut citer encore la proposition d’augmenter le montant du chèque énergie, en prévoyant un abondement pour les énergies renouvelables.

Améliorer la coordination entre les acteurs

Enfin, le scénario mise beaucoup sur l’action collective et la transversalité en appelant à favoriser la création de « coalitions d’acteurs » dans les territoires pour lutter contre l’exclusion énergétique. Cela devrait passer par le décloisonnement des initiatives et l’arrêt du fonctionnement en silos des différents acteurs publics et privés. Un chantier pour le moins complexe ! Dans cet esprit, Gilles Pennequin, du Cerema, plaide pour créer un nouveau métier dans les territoires qui serait « un chef de projet précarité énergétique, avec les moyens de l’Etat et des collectivités, et la mission de fédérer tous les acteurs ». Pour sa part, Jacques Rosemont, directeur de projet et responsable du plan d’action développement durable à la Banque des territoires (Caisse des dépôts), plaide aussi pour « améliorer la coordination entre les acteurs, notamment pour mieux utiliser les fonds existants ». De plus, il pointe le risque de dévoyer la volonté de simplification qu’est la création d’un guichet unique, en multipliant de telles initiatives…

Besoin de mobiliser tout le monde

Parmi les politiques présents durant la matinée d’échanges du 18 décembre, Boris Vallaud, député (PS) des Landes, a estimé que « le défi climatique est aussi un défi social. Oui nous devons et pouvons sortir un million de personnes par an de la précarité énergétique ». A ce sujet, il regrette que sa proposition de loi destinée à créer une prime pour le climat et de lutte contre la précarité énergétique ait été retoquée par le gouvernement. « Le rythme actuel de rénovation énergétique nous amènera à la neutralité carbone en 2080. C’est beaucoup trop tard, s’insurge le député. Il faut que cela soit fait pour 2050. D’où l’idée de notre proposition de loi pour simplifier et amplifier les choses avec une seule prime ».Pour sa part, Bruno Léchevin, délégué général de l’ONG Pacte Finance-Climat et ancien président de l’Ademe, constate que malgré la succession de nombreux plans dédiés, la précarité énergétique est toujours bien présente « Il y a des toujours des aides, comme par exemple le chèque énergie, mais qui ne sont pas à la hauteur des enjeux », constate-t-il. Et de réclamer un abondement important de ces aides et une « réelle simplicité qui n’est toujours pas au rendez-vous ». Il considère aussi que l’objectif de rénover 500 000 logements reste trop modeste alors qu’il faudrait passer à « près de 800 000 ». A l’instar de tous les autres intervenants, Bruno Léchevin juge que « faire de la lutte contre la précarité énergétique la grande cause nationale 2020 permettrait vraiment de booster le mouvement et de mobiliser tout le monde ». Pierre-Jean Coulon, membre du CES européen, souhaite que dans la foulée, 2021 soit consacrée année de la grande cause européenne énergétique, en insistant sur l’importance du chiffre de 100 millions d’Européens qui vivent aujourd’hui dans la précarité énergétique.

« Une bombe sociale à retardement »

Du côté des élus locaux, Xavier Lemoine, maire (DVD) de Montfermeil, plaide pour « un dispositif rapide et massif car la fracture énergétique constitue une bombe sociale à retardement ». Partageant le même constat, Stéphane Troussel, le président (PS) du département de la Seine-Saint-Denis, juge « urgent de créer un grand service public de la rénovation énergétique. Il faut aussi baisser massivement le reste à charge pour les ménages ». Xavier Lemoine défend la nécessité d’avoir « des tiers de confiance pour permettre aux personnes de souscrire un emprunt afin de réaliser les travaux nécessaires de rénovation énergétique ». Et cela avec des schémas différents selon les territoires compte tenu de leurs spécificités et des acteurs présents ou non. Pour sa part, Franck Billeau, directeur du réseau EcoHabitat qui est une association oeuvrant dans les Hauts-de-France, s’alarme du « problème majeur du reste à charge ». « Les aides actuelles restent insuffisantes pour des personnes qui ne peuvent pas s’endetter et au final on ne peut donc pas les aider », pointe-t-il. « Il faut aboutir à un reste à charge le plus bas possible, prolonge Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre. C’est dommage que la proposition de loi de Boris Vallaud n’ait pas pu aboutir car elle tendait justement vers cela ».Sévère sur les « injonctions paradoxales de l’Etat », Stéphane Troussel dénonce « la contradiction entre un appel à la mobilisation des collectivités sur le chantier de la rénovation énergétique et l’affirmation de la DGFIP que ces dépenses rentrent dans nos dépenses de fonctionnement, limitées à une hausse de 1,2% annuelle par les contrats imposés par l’Etat ». Philippe Pottiée-Sperry
Philippe Pottiée-Sperry
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