Mobilité inclusive : le chaînon manquant des politiques publiques
Alors que 5 à 7 millions de Français peinent à se déplacer, l’étude 2025 du Laboratoire de la Mobilité Inclusive dévoile un paysage sous tension : un secteur vital, mais financé au compte-gouttes. Pour répondre à l’urgence sociale, il faudra changer d’échelle — et vite.
On les appelle parfois « les invisibles de la mobilité ». Des milliers de Français pour qui le simple fait de se rendre à un entretien d’embauche, à une formation ou même à un service administratif relève du défi. Pour la première fois, le Laboratoire de la Mobilité Inclusive (LMI) met des chiffres précis derrière cette réalité. Son étude « Quel financement pour la mobilité inclusive ? » (novembre 2025) dresse le portrait d’un secteur indispensable… et pourtant extrêmement vulnérable.
Aujourd’hui, 200 000 personnes sont accompagnées chaque année par environ 350 structures – souvent des associations – disséminées dans tout le pays. Ces acteurs permettent à des publics fragiles d’accéder à l’emploi, aux soins, ou simplement à l’autonomie.
Mais leur force de frappe reste dérisoire : l’ensemble du secteur pèse 150 millions d’euros, « l’équivalent de quatre ou cinq kilomètres de tramway », note l’étude. Un contraste brutal avec l’ampleur des besoins.
La fragilité n’est pas qu’économique. Elle est aussi administrative : 42 % du financement provient de collectivités locales, 19 % de l’État, 10 % de fonds européens. Résultat : des guichets multiples, des règles changeantes… et 14 % du temps des salariés consacrés uniquement à trouver de nouveaux financements.
« Cette étude apporte enfin l’éclairage chiffré qui manquait pour situer la place de la mobilité inclusive dans le paysage des politiques publiques », explique Francis Demoz, délégué général du LMI.
Un paysage où la bonne volonté des acteurs ne compense plus les limites structurelles.
Tripler le nombre de bénéficiaires : le prix d’un véritable plan Marshall
Car le constat est sans ambiguïté : pour répondre réellement à la précarité mobilité, le LMI estime qu’il faudrait tripler le nombre de personnes accompagnées, soit passer de 200 000 à 600 000 bénéficiaires par an.
La marche financière ? 300 millions d’euros supplémentaires, en plus des 150 millions actuels. Une somme importante à l’échelle du secteur, mais modeste comparée aux enjeux sociaux et économiques.
Le rapport propose un scénario très concret, fondé sur une logique de partage de l’effort :
• 50 M€ via une réaffectation partielle du versement mobilité,
• 50 M€ prélevés sur les amendes routières, au titre de la prévention,
• 50 M€ grâce à un nouveau programme CEE,
• 50 M€ issus d’une mobilisation renforcée des entreprises dans leur stratégie RSE,
• 50 M€ apportés par les fonds européens (FSE, FEDER).
« Pour réduire durablement la précarité mobilité, il faut sécuriser les financements existants et engager un effort massif, à la hauteur des besoins », résume Francis Demoz.
La feuille de route est claire : passer de micro-financements éparpillés à une véritable politique publique structurée.
Intégrer la mobilité inclusive au cœur des stratégies locales
L’étude rappelle enfin une évidence trop souvent oubliée : la mobilité n’est pas un service technique, mais un droit social. Et ce droit ne peut plus être laissé aux seuls acteurs associatifs. Le LMI appelle donc les collectivités à intégrer systématiquement la mobilité inclusive dans leurs DSP de transports, dans leurs plans de mobilité, dans les politiques d’insertion et dans les grands appels à projets nationaux. « Ce travail crée les conditions d’un passage à l’échelle et place des propositions concrètes dans le débat public », souligne Pierre Taillant, économiste à l’ADEME.
À quelques mois des municipales, le message du LMI résonne avec force : un territoire qui n’investit pas dans la mobilité inclusive prend le risque de laisser sur le bord de la route une partie de ses habitants… et une partie de son avenir.