« La qualité des services publics locaux sera un enjeu clé des municipales »
Alors que la confiance envers les services publics locaux s’érode, les Français placent désormais leur qualité au cœur des préoccupations pour les municipales. François Bergère, délégué général de l’Institut de la Gestion Déléguée (IGD), analyse cette attente croissante et les défis que devront relever les collectivités, notamment autour de la gestion de l’eau et des infrastructures.
Vous sondez régulièrement les Français sur leur perception des services publics ; quelle est-elle en 2025 ?
Tout d’abord, ils restent majoritairement satisfaits : un peu plus d’un Français sur deux se déclare encore content de ses services publics locaux. Mais la tendance est clairement orientée à la baisse depuis une dizaine d’années. Surtout, quand on leur demande de se projeter, près de 80 % pensent que la situation va continuer à se dégrader : qualité du service, rapport qualité-prix, proximité… On a là un pessimisme très marqué, qui s’ajoute au climat général de tension économique et budgétaire. Conséquence directe : pour une large majorité de répondants, ces sujets de services publics du quotidien – eau, transports, énergie, déchets – devront peser lourd dans le débat des municipales. On parle souvent de sécurité comme thème numéro un, mais la qualité des services locaux va devenir un marqueur politique tout aussi décisif.
Nous entendons souvent dire que « depuis que c’est délégué au privé, c’est moins bien ». Votre enquête confirme-t-elle cette idée ?
Pas vraiment. Quand on pose la question de manière précise, les Français sont beaucoup plus pragmatiques qu’on ne l’imagine. D’abord, nous vérifions ce qu’ils comprennent de la gestion déléguée : confier l’exploitation d’un service public à une entreprise (généralement privée), mais dans un cadre contractuel strict où la collectivité garde la responsabilité et le contrôle. Une fois cela posé, les opinions sont très partagées : à peu près moitié-moitié entre ceux qui y voient une bonne chose et ceux qui y sont réticents. Ce n’est pas un rejet de principe. Et lorsque l’on demande s’il est légitime de choisir la gestion déléguée à condition que la collectivité garde la main et que cela améliore la qualité ou la performance, une courte majorité y est favorable. Autre résultat intéressant : plus de la moitié des personnes interrogées considèrent que la gestion déléguée peut être un outil pour maîtriser la dépense publique tout en continuant à investir, plutôt que d’opposer a priori public et privé. C’est une approche très pragmatique, assez transpartisane. Ce qui inquiète les Français, ce n’est pas tant le statut de l’opérateur que le résultat concret : le service rendu.
Pourquoi vous être concentré sur l’eau dans votre dernier rapport ?
Parce que l’eau concentre tous les défis actuels des services publics locaux. On a longtemps été dans une logique de développement de l’offre : construire des réseaux, sécuriser l’accès. Aujourd’hui, le sujet bascule vers la raréfaction de la ressource, la qualité et la sobriété. D’un côté, le changement climatique entraîne des épisodes de stress hydrique, des tensions sur la continuité de l’approvisionnement, des conflits d’usages. De l’autre, la qualité de la ressource est de plus en plus questionnée avec les micropolluants, les PFAS et autres contaminants. Répondre à cela suppose des investissements lourds en renouvellement de réseaux, en traitement avancé, en recherche. Or le modèle économique traditionnel de l’eau repose sur des coûts fixes élevés – les réseaux, les usines – financés par une facture très largement indexée sur le volume consommé. Problème : les volumes baissent, parce que les politiques de sobriété commencent à produire leurs effets, à raison d’environ –3 % par an pour les ménages. On se retrouve donc avec une « dette grise » d’infrastructures à financer et de nouveaux investissements à engager, tout en vendant moins de mètres cubes. C’est l’effet ciseau.
Les collectivités sont-elles vraiment prêtes à agir sur l’eau ? Que vous apprend l’étude ATEP ?
Ce qui ressort de l’étude ATEP, c’est qu’il y a une prise de conscience très nette : 96 % des collectivités considèrent la gestion de l’eau comme une priorité, et plus de 4 sur 10 ont déjà engagé des actions de gestion de l’eau à la parcelle. Sur le terrain, cela se traduit par des politiques très concrètes : réduction de l’artificialisation des sols, développement de solutions d’infiltration ou de stockage des eaux pluviales, récupération de l’eau de pluie pour l’arrosage ou le nettoyage de la voirie – 73 % des collectivités disent déjà arroser leurs espaces verts avec de l’eau de pluie. Dans les écoles, on voit se multiplier les dispositifs alimentant les chasses d’eau par des eaux récupérées sur les toitures. Mais l’étude met aussi en lumière les freins : près de la moitié des collectivités jugent difficile d’obtenir des financements pour ces projets, un tiers évoque l’entretien et la maintenance, et beaucoup manquent d’information sur les aides disponibles. Seules environ une collectivité sur deux se sent réellement bien accompagnée face aux effets du changement climatique. C’est là que nos recommandations rejoignent ce diagnostic. Il faut faire évoluer le modèle économique.
Quelles sont vos recommandations ?
Tout d’abord, renforcer la part fixe de l’abonnement pour couvrir les coûts de réseau et les investissements nécessaires, et moins dépendre du volume vendu. Autre axe de changement : expérimenter des tarifications plus fines : saisonnières, pour pénaliser les usages de confort en période de tension ; sociales, pour sécuriser un volume vital à prix accessible ; ou encore des grilles où la rémunération de l’opérateur dépend d’indicateurs de performance (taux de fuite, qualité de l’eau, continuité de service) plutôt que du seul nombre de mètres cubes. Enfin, il faudrait mobiliser davantage les outils de partenariat quand c’est pertinent, pour bénéficier aussi des capacités d’ingénierie et d’innovation des opérateurs privés, tout en basculant sur une rémunération par la personne publique en fonction des performances observées.