, mis à jour le 12/09/2025 à 11h11

« Redonner confiance aux élus locaux, c’est vital pour notre démocratie »

Jérôme Baloge
président de SMACL Assurances
Maire de Niort
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" La loi 3DS a introduit des obligations que bien peu de conseils municipaux maîtrisent à 100 % "

Avec près de 2 500 élus locaux qui pourraient être poursuivis d’ici la fin du mandat, le rapport 2025 de l’Observatoire SMACL alerte sur la judiciarisation de l’action publique et pression qui s’exerce sur les décideurs locaux. Pour Jérôme Baloge, président de SMACL Assurances et maire de Niort, cette insécurité juridique pèse lourd sur l’engagement public et la vitalité démocratique locale. Dans l’entretien accordé à Zepros Territorial, il plaide pour une reconnaissance accrue du rôle des élus locaux, soutenant l’idée d’un véritable statut, d’un renforcement de la décentralisation et d’une clarification des responsabilités entre l’État et les collectivités. Rencontre.
 

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Zepros territorial : Le rapport 2025 de l’Observatoire SMACL révèle une augmentation de 17 % des poursuites engagées contre les élus. Ce constat vous semble-t-il inquiétant ?

Jérôme Baloge : Oui, clairement, car la judiciarisation devient structurelle. Le chiffre – 2 500 élus susceptibles d’être poursuivis – parle de lui-même. Cela représente une hausse de 17 % par rapport à la précédente mandature. Ce n’est pas un phénomène marginal. Ce qui est particulièrement préoccupant, c’est que cette judiciarisation s’installe dans la durée, qu’elle tend à se banaliser. Mais il faut relativiser ces chiffres : seulement 0,55 % des élus locaux sont mis en cause pénalement, et deux tiers d’entre eux ne sont finalement pas condamnés. Cela veut dire que dans une grande
partie des cas, les procédures engagées n’étaient pas fondées. Car, il faut bien comprendre qu’on peut être condamné sans intention malveillante, juste pour une erreur de procédure. Le Code pénal, et notamment l’article 432-12 sur la prise illégale d’intérêts, est appliqué de manière extrêmement stricte. Le rapport le souligne bien : beaucoup d’élus agissent en pensant servir l’intérêt général et se retrouvent mis en cause. Et, même sans condamnation, le mal est fait. Ce décalage est déstabilisant et profondément décourageant. Et ce qui m’inquiète surtout, ce sont les conséquences.
Même lorsqu’un élu est innocenté, les dommages réputationnels, personnels, voire politiques sont irréversibles même si dans la majorité des cas, les poursuites relèvent de manquements de forme et d’un droit public devenu de plus en plus complexe, et non pas de faits de corruption. Il ne s’agit pas de nier la nécessité de sanctionner les abus, bien sûr, mais cette judiciarisation galopante crée un climat délétère.

Peut-on dire que cette insécurité pénale a un effet paralysant sur l’action publique locale ?
Oui, c’est exactement cela. Le poids du risque pénal entraîne une prudence excessive, une frilosité dans la prise de décision. Et c’est tout le paradoxe : on exige des élus qu’ils soient agiles, réactifs, innovants… mais on les expose à des procédures pénales lourdes pour des manquements de forme. Cela nourrit un climat de méfiance, un recul de l’engagement. On finit par hésiter à voter une délibération, à soutenir une initiative, par peur de se tromper. Et c’est grave pour la démocratie. Car derrière cette judiciarisation, c’est l’esprit d’initiative, la capacité à expérimenter, à adapter l’action publique au terrain et l’action publique elle-même, qui est en danger. 

Cette judiciarisation croissante vous inquiète-t-elle en tant qu’assureur, mais aussi en tant que maire ?

Les deux dimensions sont liées. En tant qu’assureur, nous voyons bien que les sollicitations augmentent. Il y a une demande croissante de garanties, d’accompagnement, de formations. Mais en tant que maire, je le vis aussi de l’intérieur.
Le climat est anxiogène. Les élus ne sont pas des professionnels du droit. Ils exercent souvent leur mandat en plus d’une activité professionnelle ou familiale. Et ils se retrouvent confrontés à un droit administratif qui se complexifie sans cesse. Or, les erreurs d’interprétation, les imprécisions dans la procédure peuvent entraîner des conséquences graves. Ce n’est pas une dérive isolée, c’est une tendance lourde. Et elle mine profondément l’engagement local.

La complexité du droit est donc un facteur central de cette judiciarisation ?

Exactement. La loi 3DS, pour ne citer qu’elle, a introduit des obligations que bien peu de conseils municipaux maîtrisent à 100 %. Et ce n’est pas par négligence. C’est simplement que les textes changent, que leur interprétation évolue, que les élus ne disposent pas toujours de l’ingénierie ou de l’expertise nécessaire pour les appliquer dans les règles. Cela pose la question de la formation, bien sûr, mais aussi de la simplification. Nous avons besoin d’un droit plus clair, plus lisible, qui tienne compte des réalités de terrain.

Faut-il aller jusqu’à une réforme du cadre pénal applicable aux élus ?

Oui, c’est indispensable. Il vaut mieux distinguer ce qui relève de la faute délibérée, de l’enrichissement personnel, de ce qui relève de l’erreur administrative ou du manque de formation. La prise illégale d’intérêts, par exemple, est trop souvent retenue sans intention frauduleuse. Nous avons besoin d’un droit plus proportionné, plus juste. Et en parallèle, il faut renforcer la prévention : diffuser des guides pratiques, mettre en place des dispositifs de contrôle interne, renforcer l’accompagnement juridique des élus, dès leur prise de mandat.

Comprenez-vous que certains renoncent à se représenter ?

Bien sûr. On observe une érosion des vocations, un record de démissions.L’engagement devient de plus en plus exigeant, et en même temps, les moyens diminuent. L’élu local est aujourd’hui au carrefour de toutes les attentes : il doit
répondre aux enjeux environnementaux, sociaux, économiques, souvent avec des marges de manœuvre qui se réduisent. Il doit aussi gérer l’intercommunalité, les services partagés, les projets collectifs… Cela exige du temps, de la compétence, etbeaucoup d’énergie. Quand, en plus, on ajoute l’insécurité juridique, le découragement n’est pas étonnant.

Comment répondre à des attentes citoyennes toujours plus fortes avec des moyens restreints ? 

C’est l’autre paradoxe. Les citoyens attendent beaucoup des maires – et ils ont raison. Le maire reste l’élu préféré des Français, celui en qui on place le plus de confiance. Mais cette confiance ne suffit pas : il faut des moyens. Or, les collectivités sont de plus en plus considérées comme des variables d’ajustement budgétaire. Entre les ponctions sur la fiscalité locale, les prélèvements sociaux, la stagnation des dotations, on affaiblit leur capacité à agir. Les 5 milliards d’euros évoqués dans le projet de loi de finances sont un signal qui m’inquiète en tant que maire. Cela revient à affaiblir les
services publics de proximité, à remettre en cause l’égalité territoriale. Ce n’est pas
acceptable.

Ce recul de l’action publique locale a-t-il un impact sur la vitalité des territoires ?

Évidemment. Les communes et intercommunalités assurent les services essentiels : petite enfance, éducation, mobilité, urbanisme, culture, sport… Si elles ne peuvent plus financer ces missions, c’est la vie quotidienne des citoyens qui se dégrade. Et au-delà, c’est le lien social, la cohésion, la confiance démocratique qui sont mis à mal. Le local, c’est le socle de la République. Il faut le renforcer, pas l’affaiblir.

La montée des incivilités et des violences envers les élus vous inquiète-t-elle également ?

Oui, profondément. On observe une désinhibition de la parole, une agressivité croissante à l’encontre des élus. Cela va des invectives sur les réseaux sociaux aux agressions physiques. Cette violence s’ancre dans une société fracturée, où tout porteur de l’institution est remis en cause. Et les élus locaux, parce qu’ils sont accessibles, visibles, en sont les premières cibles. Il faut renforcer la protection fonctionnelle, mais aussi mieux accompagner les élus : soutien psychologique, formation à la gestion des conflits, réseaux de solidarité. Ce n’est pas normal que l’engagement public devienne un sport de combat.

Faut-il alors repenser le rôle du maire dans notre démocratie ?

Oui. Le maire incarne l’action de proximité, la réactivité, la médiation. Je considère qu’il faut renforcer son rôle, lui donner les moyens d’agir. Cela passe par une décentralisation assumée, notamment sur le logement, la mobilité, la transition écologique. Mais cela suppose aussi un vrai statut : reconnaissance du temps consacré, protection sociale, formation, reconnaissance des responsabilités. Le maire n’est pas un super-bénévole. C’est un acteur de la République à part entière.

Vous plaidez également en tant qu’élu pour une décentralisation accrue de la politique de l’habitat. Pourquoi 

Parce que les besoins sont différents d’un territoire à l’autre. Il faut permettre aux élus de concevoir et de piloter des stratégies locales de l’habitat. Trop souvent, lespolitiques du logement sont décidées à Paris, sans tenir compte des réalités locales. Une vraie décentralisation permettrait d’accélérer les réponses, d’adapter les dispositifs, de mobiliser les fonciers plus efficacement. C’est un enjeu d’efficacité, mais aussi de justice sociale.

Enfin, comment faire face à la double crise du logement et de la vacance commerciale ?

Les deux sont liés. Quand un centre-ville perd ses commerces, il devient moins attractif, les logements se vident, le bâti se dégrade. C’est un cercle vicieux. Il faut inverser la dynamique. Cela passe par des politiques coordonnées : soutien aux commerces de proximité, lutte contre l’habitat indigne, rénovation des logements vacants, attractivité des centralités… Et surtout, cela passe par la confiance : faire des élus locaux les pilotes de ces politiques. Redonner du pouvoir d’agir aux maires, c’est aussi redonner de la vie à nos territoires.
 

Danièle Licata, rédactrice en chef Zepros Territorial, décrypte enjeux publics et collectivités. Forte de 20 ans en presse économique, elle rend accessibles les sujets complexes avec passion et engagement.
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