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Philippe Pottiée-Sperry

« Réhumaniser l’administration est une priorité démocratique »

Eric Ferrand, médiateur de la ville de Paris
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Interview Eric Ferrand médiateur de la ville de Paris

Sur toutes sortes de sujets, en cas de litige avec un service de la ville ou sans réponse de sa part, un administré peut faire appel au médiateur de la ville de Paris. Entretien avec Eric Ferrand, titulaire du poste depuis 2014. Il insiste sur l’importance de recevoir physiquement les personnes et d’éviter les réponses administratives froides vécues comme du mépris.

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En quoi consiste la médiation ? 
Relevant d’une tradition anglo-saxonne, elle consiste à rechercher un règlement amiable pour tout litige d’une personne avec l’administration. En France, la médiation ne fait pas partie de notre culture et reste méconnue. Les collectivités peuvent avoir le sentiment que les médiateurs institutionnels indépendants vont remettre en cause les réglementations et les décisions locales. Le maire se sent à juste titre proche de ses administrés et avoir un tiers jouant la mouche du coche peut être vécu comme déstabilisant. 

Paris est la première ville à s’être dotée d’un médiateur. Pourquoi ? 
Le poste de médiateur a été créé à Paris dès 1977 mais il était occupé par un adjoint au maire. Un problème car il était lié à l’exécutif. Bertrand Delanoë a reproduit le modèle mais en constatant vite la limite de l’exercice. Un statut du médiateur, personnalité qualifiée et totalement indépendante de l’exécutif et de l’administration, a été voté à l’unanimité en 2008. Claire Brisset, ancienne défenseure des enfants, a été la première à occuper le poste. J’ai pris sa suite en étant nommé par la maire de Paris en 2014. 
Le médiateur est chargé d’entendre les administrés qui rencontrent des litiges ou des incompréhensions avec les services de la ville mais aussi les établissements publics, les bailleurs sociaux ou les Sem. Il peut être saisi gratuitement par tout usager. Notre service est unique en France car nous recevons les personnes. 

Comment recevez-vous les administrés ?
A Paris, le choix a été fait de recourir à des bénévoles pour proposer un contact direct. Nous mettons l’accent sur l’écoute et la rencontre avec l’administré, suivies d’une procédure écrite avec l’administration. La plupart des médiateurs sont institutionnels et ne rencontrent donc pas les plaignants. Dès ma prise de fonction, j’ai senti l’importance d’un contact physique avec les personnes qui fait de plus en plus exception avec une dématérialisation croissante et un accueil téléphonique devenu rare. J’ai donc fait appel à des bénévoles qui sont souvent des retraités. Un réseau de 50 bénévoles est ainsi présent dans 37 points de rencontre dont les mairies d’arrondissement, les points d’accès aux droit ou certains centres sociaux. Deux tiers des requêtes passent par eux qui proposent des rendez-vous avec du temps. Aucun autre médiateur ne dispose d’autant de capacités pour rencontrer les administrés. 

Combien de personnes sont-elles reçues ? 
Seulement 5% de notre public font partie des CSP+. Si nous ne recevions pas les personnes souvent en difficulté, elles n’auraient aucun lieu pour parler de leur problème ! Les motifs des requêtes concernent avant tout le logement mais aussi les déplacements et la verbalisation ou encore les prestations sociales. En 2022, pas moins de 6300 entretiens ont été réalisés. 200 demies journées de permanences sont assurées chaque mois. En 2022, nous avons géré près de 4000 dossiers. Concernant les réponses, 70% sont favorables ou en partie favorables. 
Toutes les propositions que nous formulons proviennent du réel. Le confinement a révélé des problèmes qu’on ne voyait pas jusqu’alors. 

Quel est l’état d’esprit du public qui vous saisit ? 
Il redoute bien souvent d’écrire à une administration et de ne pas avoir de réponse. Nous cherchons donc à réduire le fossé qui existe entre l’administré et les pouvoirs publics. Il s’agit d’une question démocratique. Je considère que toutes les demandes sont recevables. 20% ne relèvent pas de notre compétence mais nous nous faisons un devoir de leur répondre, en leur indiquant au moins vers qui se tourner avec parfois un courrier d’accompagnement de notre part. Notre volonté est de ne laisser personne au bord de la route.
Les cas nous étant soumis sont souvent révélateurs de problèmes jamais vraiment exprimés. L’administration estime que certains d’entre eux ne concernent que quelques personnes. Mais cela peut être des signaux faibles à prendre en compte pour ne pas susciter des frustrations et des colères. Je me bats pour qu’on regarde tous les dossiers et pour essayer d’en tirer une doctrine. Une réglementation doit se heurter au réel. Il faudrait instaurer une clause de revoyure, par exemple au bout de six mois. Notre culture d’évaluation ne s’appuie pas assez sur le réel. 

Que faudrait-il changer selon vous ? 
La réhumanisation de l’administration doit vraiment devenir une priorité démocratique. La médiation y contribue en proposant des espaces d’écoute et de recours. Ayant besoin avant tout d’être écoutées, les personnes ne doivent pas avoir l’impression d’être méprisées. Il y a urgence car ce ressenti ne cesse de s’accroître et peut constituer une fabrique à mécontentements ! Constituant un baromètre, la médiation n’en demeure pas moins un combat de tous les instants, notamment pour changer le langage et les réponses des administrations. Nous obtenons de petites victoires lorsqu’elles indiquent qu’un recours est possible auprès du médiateur en cas de difficulté ou de litige. C’était l’une de nos demandes et cela n’allait pas de soi pour elles ! 

Observez-vous plus de tension et d’agressivité ? 
Le phénomène existe beaucoup plus depuis la crise sanitaire. Les bénévoles évoquent une hausse de l’agressivité et les courriers sont de plus en plus véhéments. Du mécontentement et de l’agressivité peuvent aussi exister lorsqu’on explique qu’il n’y a pas eu de dysfonctionnement de l’administration sur un dossier. 
Néanmoins, le contact et l’échange permettent de faire baisser la pression. Rencontrer la personne, c’est 50% de la résolution du problème. Elle ressent de l’humain et pas du techno, comprend ce qu’on lui dit, bien loin de tous les acronymes et formulations incompréhensibles des courriers et lettres types. La machine administrative peut constituer un rouleau compresseur avec son langage et sa raideur. Le contact humain explique tout le succès de notre dispositif que je souhaite encore amplifier. Toutes les administrations, nationales ou locales, devraient proposer des services de réclamation recevant le public. 

Les services de la ville vous acceptent-ils ? 
Progressivement, ils s’habituent à nous. Mais il faut de la ténacité ! Culturellement, les services ne sont pas très ouverts au regard d’une personne indépendante. Je pense au cas, en 2018, de la réforme à Paris du système de stationnement, notamment résidentiel. Pour ce dernier, il fallait comme justificatif la taxe d’habitation mais beaucoup de personnes n’en avaient pas comme les gardiens, les directeurs de collège ou d’hôpital… Mes échanges avec l’administration ont été très compliqués car elle ne voulait rien changer. Au final, non sans mal, j’ai obtenu gain de cause en allant voir directement la maire de Paris. Une nouvelle délibération a été prise par la ville. 

Quel est votre rôle concernant le comité d’éthique de la police municipale ? 
Paris a créé, en février 2022, un comité d’éthique de la police municipale dont nous assurons le secrétariat. Chaque fois qu’une personne nous écrit sur un problème avec cette police, je la reçois systématiquement même si je ne suis pas membre du comité d’éthique. Là aussi, cela permet d’humaniser et de désamorcer les situations. 
Par ailleurs, nous travaillons aussi avec le tribunal administratif. Depuis le 1er janvier 2017, son président peut proposer une médiation sur certains sujets. A ce jour, nous avons déjà eu 80 dossiers. 

Votre modèle est-il transposable ? 
Oui. Ce besoin de médiation concerne toutes les collectivités et même les plus petites communes. Par exemple, Tulle [15 000 habitants, Corrèze] possède depuis des années un médiateur qui fonctionne bien. Un médiateur permet d’avoir une écoute qui n’est pas forcément celle du maire. Disposer d’un tiers permet à l’administré d’être plus libre dans son expression. Cela fait aussi remonter des problèmes à la connaissance du maire et de l’équipe municipale. Ce baromètre du ressenti de la population est essentiel.
 

Une association des médiateurs des collectivités

Créée en 2013 par Claire Brisset, ancienne Défenseure des enfants et alors médiatrice de la ville de Paris, l’association des médiateurs des collectivités territoriales (AMCT) se veut un lieu de formation et d’échanges de pratiques. Elle en regroupe près de 60 présents dans des grandes villes, des départements et des régions. Eric Ferrand a été l’un des présidents de l’AMCT. Depuis 2020, le titulaire du poste est Christian Leyrit, médiateur du département de la Charente-Maritime et préfet de région honoraire. Il fait partie du nouveau Conseil national de la médiation (arrêté du 25 mai 2023).
En savoir plus sur www.amct-mediation.fr

Philippe Pottiée-Sperry
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