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« Territoires de montagnes : collaborer ou mourir »

Danièle Licata
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Directeur de CITADIA & Even Conseil (Groupe SCET)

« La survie des territoires de montagnes repose sur notre capacité à collaborer et à penser à long terme à l’échelle de la vallée une stratégie de résilience » avertit Timothée Hubscher, Directeur Planification & Résilience des territoires - Groupe SCET. Explications.

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Zepros Territorial : En pleine saison hivernale, l’avenir du modèle économique des territoires de montagne se fait de plus en plus incertain…  

Timothée Hubscher : En effet,  ces dernières années, les appels à sortir du modèle économique actuel se sont multipliés. Les territoires de montagne, avec les territoires littoraux, sont les premières victimes du réchauffement climatique. Les températures grimpent plus vite, avec une augmentation supérieure à 2°C dans les Alpes et les Pyrénées depuis l’ère pré-industrielle, soit 0,6°C de plus que sur le reste du pays. Ces changements perceptibles obligent déjà les acteurs à faire preuve d’une formidable adaptabilité. La commune de Chamonix-Mont-Blanc doit aujourd’hui modifier ses itinéraires de randonnées, certains étant devenus trop risqués en raison d'éboulements, ou encore déplacer des refuges ou des bivouacs.

Comment les stations s’adaptent-elles aux effets du changement climatique ?

Toutes ont déjà entamé une réflexion sur leur adaptation aux effets du changement climatique. Car des emplois sont en jeu, et alors que les montagnards observent déjà des vallées mourir, personne ne veut être le prochain sur la liste. Pourtant, les investissements dans des infrastructures condamnées à l’obsolescence d’ici 30 à 40 ans se poursuivent. Les projets immobiliers touristiques luxueux à destination de populations étrangères continuent de se multiplier alors que ces mêmes territoires voient déjà augmenter le nombre de lits froids et de friches. Un cas emblématique : le projet immobilier porté par la société de Tony Parker dans le Vercors. Ce manque de vision s’explique en grande partie par une tentative de résoudre les problèmes par soi-même, à l’échelle de la station. Or, en redoutant de définir une stratégie de résilience territoriale qui risque de se faire au profit d’autres territoires voisins, les stations mettent en péril leur viabilité à long terme. Si le nombre d’actifs continuent d’augmenter dans des zones déjà soumises à un risque accru à la suite du réchauffement climatique, les acteurs pourraient se retrouver face à des territoires non assurables. Il y a trois ans, la tempête Alex a coûté plus de 200 millions au marché de l’assurance dans les vallées de la Roya, la Tinée et la Vésubie. Et alors que les réparations n’étaient pas terminées, la tempête Aline est repassée par là en octobre dernier. Le risque est réel. C’est ce qui se passe aux Etats-Unis. State Farm, le plus grand assureur de Californie, a déjà annoncé qu’il n’assurerait plus de nouveaux propriétaires dans l’ensemble de la Californie, face au risque accru avec le dérèglement climatique.

Quelle solution préconisez-vous ?

Les acteurs de montagne, dans leur recherche de solutions face au dérèglement climatique, doivent dès aujourd’hui réinvestir la notion d’interdépendance des communes d’une vallée, qui existe déjà, preuve, l’eau fournit un parfait exemple. Au niveau d’une vallée, la quantité disponible dans les communes en aval dépend des consommations en amont. Jusqu’ici les montagnards pouvaient croire qu’ils ne manqueraient jamais d’eau. Mais le recul spectaculaire des glaciers, avec une disparition de 70% du volume de 1850 dans les Alpes, préfigure des tensions à venir sur cette ressource vitale. 

Comment mettre en place cette interdépendance entre vallées ?
Si la collaboration semble dès lors la seule piste envisageable pour réussir à mettre en œuvre des changements dont on parle depuis déjà bien longtemps, force est de constater qu’ils tardent à venir par crainte pour un certain nombre d’élus de mettre leur territoire en retrait.
Certes, la collaboration existe depuis longtemps sur ces territoires, avec de nombreux partages d’expérience comme en témoigne le maire de Bourg Saint Maurice*. Il faut désormais aller plus loin ! 
A l’échelle de la vallée, une nouvelle organisation des territoires doit naitre pour repenser en profondeur l’économie locale, au-delà du simple remplacement du ski. De cette collaboration émergera un projet territorial fédérateur, permettant de ne plus dépendre uniquement de l’économie du ski, qui dans son modèle actuel aggrave les risques. Pour atteindre une gouvernance partagée, il faudra passer par une analyse fine du système d’acteurs à l’échelle de la vallée. Alors, ensemble, toutes les parties prenantes publiques et privées pourront se mettre d’accord sur le sens, le « pour quoi » et le « comment » pour ensuite déterminer la gouvernance de projet et le « qui fait quoi ». La survie des territoires de montagne repose sur notre capacité à collaborer et à penser à long terme, à l’échelle de la vallée, une stratégie de résilience.
*Dans une interview restranscrite dans Montagne et Littoraux : En première ligne face au dérèglement climatique, un livre blanc réalisé par Timothée Hubscher, Pierre Albert, Thomas Lamand et Anne-Catherine Ottevaere (Groupe SCET).
 

Danièle Licata
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