Aides accrues aux entreprises mais fronde des maires contre les commerces fermés
Le gouvernement a présenté, le 29 octobre, le « modalités de fonctionnement » du nouveau confinement prévu jusqu’au 1er décembre. Concernant les entreprises, la plupart des établissements recevant du public sont fermés : bars, restaurants, commerces, salles polyvalentes, salles de conférence, salles de spectacle et cinémas, salles de sport, parcs d’attraction…
Les commerces et restaurants pourront néanmoins « continuer de fonctionner pour les activités de livraison et de retrait de commande ». La liste des commerces « essentiels » reste la même que pour le premier confinement : commerces alimentaires, stations-services et garages, laveries, marchands de journaux et tabacs, opticiens, équipement informatique... Elle s’est tout de même un peu élargie en incluant aussi les commerces de gros, les jardineries ou les magasins de matériaux. Le ministre de l’Economie et des finances, Bruno Le Maire, a détaillé les nouvelles mesures de soutien aux entreprises qui sont plus fortes qu’au printemps.
Un fonds de solidarité renforcé
Le fonds de solidarité, mis en place par l’Etat et les régions, dès le début de la crise sanitaire pour aider les TPE/PME et les travailleurs indépendants, se voit boosté par le gouvernement qui y consacre 6 Md€ supplémentaires. En pratique, le dispositif est fortement élargi. Il passe ainsi d’une aide maximum de 1500 € par mois aux TPE de moins de 10 salariés (touchées par un arrêté de fermeture administrative) à 10 000 €. Elle pourra être versée à toutes les entreprises jusqu’à 50 salariés. De plus, des entreprises de secteurs très touchés par la crise (tourisme, événementiel, culture, sport, hôtellerie, restaurant...) pourront également bénéficier de l’aide de 10 000 € en cas de perte de 50% de leur chiffre d'affaires. Pour celles restant ouvertes, mais néanmoins fortement impactées par la crise, elles pourront toucher l’aide mensuelle initiale de 1500 €. Là aussi elles doivent compter moins de 50 salariés et justifier d’une perte d’au moins 50% de leur chiffre d'affaires. De même, tous les travailleurs indépendants sont éligibles au fonds de solidarité et aux mêmes conditions que les TPE. A cela s’ajoutent des exonérations de cotisations sociales pour ces différentes catégories d'entreprises.
15 Md€ d’aides par mois de confinement
Autre mesure : l’élargissement des prêts garantis par l'État (PGE) jusqu’au 30 juin 2021 (et non plus le 31 décembre 2020). De plus, des prêts directs de l'État (jusqu'à 50 000 €) pourront être octroyés aux entreprises n'accédant à aucun prêt bancaire. En outre, Bruno Le Maire a indiqué qu’il voulait introduire dans le projet de loi de finances pour 2021 un crédit d’impôt pour « inciter les bailleurs à annuler une partie de leurs loyers ». Il serait de 30% du montant des loyers perdus. Le coût de l’ensemble de ces aides aux entreprises a été chiffré par le ministre de l’Economie à 15 Md€ par mois de confinement : 6 Md€ pour le fonds de solidarité, 7 Md€ pour le chômage partiel, 1 Md€ pour les exonérations de charges, 1 Md€ pour les loyers.
Colère des commerçants et des élus
« Je comprends la colère des commerçants. C’est un vrai coup dur », a reconnu Bruno Le Maire dans une interview au Parisien. « Nous apportons à ces commerces et entreprises fermés un soutien économique massif et total, encore plus puissant que lors du premier confinement ». Malgré sa réalité, le discours passe mal. En particulier, la fermeture de certains commerces « non essentiels » n’est pas bien acceptée. A l’unisson, les associations de maires s’en font les porte-voix en jugeant anormale la situation pour les commerçants de proximité en craignant la mort des centres-villes déjà mis à rude épreuve. L’AMF a ainsi fait part de « l’incompréhension de nombreux maires » face aux « mesures de fermeture qui visent certains commerces » en affirmant son désaccord sur la définition des « commerces de première nécessité » et en citant notamment les librairies ou les salons de coiffure qui devraient pouvoir en faire partie. Et de demander au gouvernement « de revoir rapidement cette définition et de l’élargir, dès lors que les conditions de sécurité sanitaire permettent de préserver la santé des commerçants, de leurs salariés et de leurs clients ».
Demande de dérogations prises par les préfets
« En autorisant des grandes surfaces à vendre des produits « non essentiels » au prétexte qu’elles vendent également des produits alimentaires, l’Etat s’ingère gravement dans le principe de libre-concurrence du commerce, en entraînant une rupture d’égalité de traitement », s’insurge pour sa part l’AMIF (association des maires d’Ile-de-France). Jugeant la « situation inacceptable », elle « demande en urgence que cette injustice soit réparée, alors même que la grande distribution ne connaît pas le même traitement ». Avec d’autres associations, elle a saisi, le 30 octobre, Bruno Le Maire et Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires. L’AMIF plaide pour que des dérogations puissent être prises par les préfets, comme l’a proposé le Sénat. De la même façon, l’APVF (petites villes), dont le président Christophe Bouillon, vient d'écrire au Premier ministre pour l'alerter, se dit « favorable à ce que les préfets - qui sont les plus aptes à apprécier l’évolution de la situation sanitaire - puissent avoir la possibilité, si la situation le permet, de rouvrir les commerces "non essentiels" dans leur département ». Jean Castex reçoit beaucoup de courriers en ce moment car France urbaine lui en a aussi envoyé un le 31 octobre. L'association des élus urbains « demande au gouvernement de travailler ensemble et rapidement à une solution permettant de prendre en considération cette demande légitime d’équité de traitement. L’Etat peut compter sur les élus des métropoles, grandes agglomérations et grandes villes pour un dialogue responsable ».
Inégalité entre grande distribution et petits commerçants
Pour sa part, Villes de France (association des villes moyennes) appelle le gouvernement à « ne pas mettre un coup de frein à l’ambitieux programme Action Cœur de Ville » et à « réviser sa position sur l’ouverture des commerces en centre-ville pour trouver des solutions permettant, soit de rouvrir ces activités essentielles, soit à minima que les rayons des produits « non essentiels » des grandes et moyennes surfaces soient fermés ». Dénonçant elle aussi « une profonde inégalité qui s’exacerbe entre la grande distribution et les petits commerçants et producteurs locaux », l’AMRF (maires ruraux) appelle à « soutenir fermement un tissu économique rural déjà fragilisé par le premier confinement et dont la trésorerie ne permettra pas d’affronter ce second confinement ». De plus, à l’image de ce qu’elle a fait en mars-avril en reversant 250 000 € à des petits commerçant grâce à l’opération menée avec Bouge ton Coq, « l’AMRF souhaite que soient généralisées les innovations citoyennes et économiques pour répondre à cette crise, manière aussi d’expérimenter un droit à la différenciation pour être au plus près des situations locales ».
Multiplication des arrêtés pris par des maires
A ces réprobations s’ajoutent de nombreux arrêtés pris par des maires pour autoriser l’ouverture des commerces de proximité, allant là contre la décision du gouvernement. « Puisque l'on peut acheter des livres à peu près partout sauf en librairie, je prendrai demain [1er novembre] un arrêté municipal pour autoriser les librairies dijonnaises à rester ouvertes si elles le souhaitent », a indiqué François Rebsamen, le maire de Dijon. Il rejoint ainsi une liste de plus en plus longue d’élus qui s'opposent à la fermeture de certains commerces « non essentiels ». A Châlons-sur-Saône (Saône-et-Loire), Beaune (Côte-d'Or), Aubusson (Creuse), Brive-la-Gaillarde (Corrèze), Migennes (Yonne), Montauban (Tarn-et-Garonne), Perpignan (Pyrénées-Orientales), Fresnay-sur-Sarthe (Sarthe), Decize (Nièvre), Yssingeaux (Haute-Loire) ou encore Faches-Thumesnil (Nord), des arrêtés ont été pris pour permettre à certains commerçants de reprendre leur activité. Dans leur viseur : les plateformes de vente en ligne.
Des arrêtés municipaux « illégaux »
Le maire de Rodez a pris son arrêté, le 31 octobre, au motif que « la situation occasionne une pratique déloyale contraire au principe constitutionnel de concurrence libre et non faussée ». Pour sa part, Olivier Fabre, le maire de Mazamet, doit en signer un le 2 novembre, en indiquant que « la formulation de l’arrêté sera un peu différente de ceux qui ont été publiés pour lui donner le maximum de chances de pouvoir être mis en œuvre ». Dans ce contexte, Jean-Luc Moudenc, le maire de Toulouse, a indiqué qu’il ne s’alignerait pas sur cette position en dénonçant des « arrêtés poudre aux yeux ». « J'ai pour ligne de conduite de ne jamais produire des actes illégaux », a-t-il indiqué à La Dépêche du Midi. Dans un entretien accordé à Actu Toulouse, le 31 octobre, il a annonce qu'il allait interpeller le Premier ministre pour demander la réouverture des petits commerces, tout en confirmant qu'il ne prendrait pas d'arrêté municipal autorisant ces derniers à rouvrir. Sur la même ligne, François Grosdidier, maire de Metz, estime que les maires prenant des arrêtés de réouverture des commerces pendant le confinement sont « irresponsables ».
Comme l’AMF, Jean-Luc Moudenc réclame une révision de la notion de commerce de première nécessité. Si le gouvernement ne change pas de position, tous les arrêtés municipaux « illégaux » seront déférés par les préfets devant les tribunaux administratifs et cassés, avec un risque de verbalisation pour les commerçants restés ouverts.
Fin de non recevoir de Jean Castex
Malgré cette mobilisation, le Premier ministre a donné une fin de non recevoir à ces différentes demandes, le 1er novembre au soir sur TF1, au nom de la gravité de la situation sanitaire. Le même jour, les ministres Bruno Le Maire et Elisateth Borne avait qualifié d'«
irresponsables » les arrêtés municipaux pris par certains maires. Pour seule réponse, Jean Castex a indiqué qu’un décret serait publié le 3 novembre pour obliger les grandes surfaces à fermer les rayons qui correspondent aux activités des commerçants fermés. De plus, il a promis de les « appuyer » financièrement et rappelé que la situation sanitaire serait réévaluée mi-novembre avec éventuellement la possibilité de réouvrir les commerces.
Philippe Pottiée-Sperry
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