Comment les élus locaux ont vécu et géré le confinement ?

Philippe Pottiée-Sperry
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Durant la crise sanitaire, la délégation aux collectivités territoriales du Sénat a lancé une enquête auprès des élus locaux pour recueillir leurs témoignages sur les difficultés rencontrées dans la lutte contre l’épidémie et dans la gestion de l’urgence.

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Cette consultation, qui s’est tenue du 9 avril au 4 mai 2020 (réponses de 1 762 élus locaux de tous les types de territoires), avant donc la première étape de déconfinement, vise à traduire l’état d’esprit des élus locaux dans une période inédite de confinement, qui a mise à rude épreuve toutes les collectivités, quel que soit leur échelon. Aux risques sanitaires exacerbés par la circulation active du virus, se sont ajoutées les incertitudes des élus locaux placés dans une situation sans précédent. « L’esprit d’initiative et les solutions innovantes portées au niveau local ne sauraient gommer a posteriori les difficultés de l’action dans un environnement incertain », estime la délégation aux collectivités du Sénat qui vient de rendre son rapport.

Des vécus différents

Le premier enseignement est que la crise sanitaire a été vécue de manière différente. Si la taille de la collectivité a une influence importante sur la nature des difficultés rencontrées, des lignes de forces communes émergent nettement. Le confinement a ainsi été vécu par les élus locaux comme une période de gestion de la pénurie. Au-delà du manque de consignes claires et de matériels de protection, le sentiment d’abandon des collectivités a paradoxalement pu se nourrir de la présence de trop nombreux acteurs, dont les consignes apparaissaient contradictoires, souligne le rapport sénatorial. Et de pointer, en particulier, les agences régionales de santé (ARS) qui « ont brillé par leurs insuffisances, notamment lorsque la question des masques s’est installée dans le débat public ». Dans leurs rapports avec les ARS durant le confinement, 40% des élus (contre 25%) parlent d’inefficacité, mais plus d’un tiers des répondants ne se sont pas prononcés à ce sujet.

Par ailleurs, la quasi-totalité des élus locaux ont rencontré des difficultés pour assurer le fonctionnement des services publics essentiels au niveau local. Ainsi, le maintien de la continuité de ces services publics essentiels au niveau local a été source de difficultés pour 95 % des répondants. Les services aux personnes âgées (40 %), la mise en place du service minimum d’accueil dans les crèches et les écoles (32 %), le ramassage des déchets et l’assainissement (31 %), la mise en œuvre des mesures de sécurité sanitaire (31 %) et le maintien de l’ordre et le respect des mesures de confinement par la police municipale (26 %) ont été les services les plus touchés sur l’ensemble du territoire.

Jugement plus clément sur l’Etat local

Au cœur de la crise sanitaire, les élus locaux ont regretté les défaillances organisationnelles de l’État au plus haut niveau. Les maires n’ont pu disposer d’informations claires et cohérentes que tardivement, parfois par les médias, alors qu’ils étaient en première ligne pour répondre aux interrogations de leurs habitants. Au niveau local néanmoins, l’État a globalement été présent pour les associer à la mise en œuvre de l’état d’urgence sanitaire mais également pour les accompagner dans l’application des mesures de santé publique. Les préfets de département ont été les interlocuteurs quotidiens des élus locaux, dont le travail de coordination a été salué. Ainsi, 48% des élus estiment que leur collectivité a été bien associée à la mise en œuvre de l’état d’urgence sanitaire par l'État contre 40% qui pensent le contraire. De même 60% estiment que la coordination avec les services de l'État relevant du réseau préfectoral a été efficace (contre 27% inefficace).

A la question sur les difficultés essentielles rencontrées dans le domaine de la gestion de l’urgence sanitaire, deux réponses arrivent loin en tête : le manque de matériels de protection et de tests de dépistage (36% des réponses) et le manque de directives claires et cohérentes de la part de l'État (17%). La difficulté à faire respecter le confinement n’est citée que par 5% des répondants.

De nombreuses initiatives locales

Face aux difficultés, « les élus locaux ont fait le choix de l’action », indique le rapport sénatorial. Le fonctionnement des services publics essentiels a été adapté aux exigences de sécurité sanitaire, non sans difficultés, notamment dans les communes les plus peuplées. Plus la taille de la commune est importante, plus la concentration de services croît et plus le nombre de difficultés est élevé. Mais surtout, les collectivités se sont substituées à l’État en matière d’équipements de protection et d’information de la population sur les mesures d’urgence, en allant parfois au-delà de leurs compétences habituelles. Ainsi, 78 % des collectivités de plus de 10 000 habitants ont indiqué avoir acheté des équipements de protection à leur initiative. Ce taux reste élevé (54 %) y compris dans les communes de moins de 1 000 habitants. Une césure entre les communes de plus de 10 000 habitants et celle de moins de 1 000 se dessine cependant dans les autres domaines d’intervention, qu’il s’agisse de la mise à disposition de locaux (44 % contre 15 %), de la contribution de la police municipale au respect du confinement (42 % contre 8 %) ou de la mise en œuvre d’actions de soutien au système hospitalier (39 % contre 9 %). L’unique champ d’action où les prises d’initiatives ne varient que très peu en fonction de la taille (61 % contre 60 %) est le domaine où les actions requièrent le moins de moyens : le renseignement de la population sur les mesures d’urgence prises par l’État.

Sans surprise, les initiatives locales ont été plus nombreuses là où les moyens étaient les plus importants, ce qui n’est pas sans questionner l’égalité entre les territoires, soulignent les sénateurs. Les élus locaux ont tiré divers enseignements du confinement. Une meilleure anticipation constitue leur première recommandation. En particulier, ils souhaitent une décentralisation de la gestion des stocks de masques et des autres équipements de protection, afin que les collectivités puissent apporter une réponse plus rapide que celle de l’État, ce qui n’est pas sans effet sur le pilotage national de la santé publique.

Demande d’une vraie logique partenariale

Concernant les relations entre l’État et les collectivités en période de crise sanitaire, ils plaident pour une amélioration de la communication avec les différents acteurs de l’État, mais également pour une véritable logique partenariale. Une réflexion d’ensemble sur l’articulation entre les différents échelons de planification permettrait d’intégrer les retours d’expérience de la crise sanitaire, afin d’améliorer la prévention et la lutte contre la propagation de nouveaux virus. Si plus d’un tiers des recommandations dépasse la simple gestion de crise, telle que la revalorisation des moyens de l’hôpital public, une refonte de l’architecture organisationnelle ne semble pas être la priorité des élus locaux, préférant l’amélioration des circuits existants.

Les deux premières préconisations des élus locaux portent sur la nécessité, d’une part, d’anticiper et d’établir des protocoles (20 %) et, d’autre part, de favoriser une décentralisation des stocks de masques et autres équipements essentiels (20 %). La gestion des stocks de sécurité devrait selon eux être déléguée par l’État aux collectivités, principalement aux communes, même si les départements et les régions sont vus comme un niveau pertinent.

Sans attendre de réforme nationale, les élus locaux entendent appliquer à eux-mêmes cette nécessaire refonte des dispositifs de planification sanitaire, en premier lieu par l’intégration du risque de pandémie dans leurs plans communaux de sauvegarde (PCS). Certains répondants plaident pour que ces plans soient réalisés au niveau intercommunal voire départemental.

Confiance forte envers le maire

Par ailleurs, le rapport sénatorial rappelle qu’au plus fort de la crise sanitaire, les maires ont su conserver la confiance des Français. Elle s’est maintenue à des niveaux élevés, rassemblant jusqu’à trois Français sur quatre, d’après une enquête du Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences Po), ce qui tranche avec la méfiance qui n’a cessé de s’installer à l’égard de l’exécutif. Au moment de la neuvième vague du sondage du Cevipof (22-24 mai), alors que la confiance dans le maire s’affiche à près de 75 %, celle vis-à-vis du gouvernement et du président de la République rassemble seulement un peu plus du tiers des répondants (35 et 37 % respectivement).

Si les Français ont toujours su qu’ils pouvaient compter sur les maires, les élus locaux ont quant à eux parfois eu l’impression d’être seuls, au plus fort de la pandémie, et de ne pas toujours pouvoir compter sur l’État. Comme a pu le regretter le maire d’une commune de moins de 1000 habitants du Haut-Rhin, « il est assez désagréable de se sentir isolé, voire abandonné, dans son coin à gérer au mieux la crise... ».

Autre témoignage du maire d’une commune de moins de 10 000 habitants du Vaucluse : « Je regrette que la communication relative à la fourniture des masques ne soit pas suffisamment claire (au niveau national), de telle sorte que les administrés se retournent vers les maires qui prennent, ou non, la décision de fournir des masques à la population, ce qui est source d’iniquité territoriale alors qu’il s’agit d’une question de santé publique ».

Philippe Pottiée-Sperry

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