Covid-19 : une limitation des pouvoirs de police du maire après l’ordonnance CE Sceaux ?

Philippe Pottiée-Sperry
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Arrêté rendant obligatoire le port du masque dans l’espace public

Le juge des référés du Conseil d’Etat a rendu, le 17 avril dernier, l’ordonnance en référé n° 440057, Commune de Sceaux, dans laquelle il donne sa position s’agissant de l’étendue des pouvoirs de police générale du maire en cas de concurrence avec une autorité de police spéciale.

Dans le présent cas, la commune de Sceaux a pris, le 6 avril dernier, un arrêté rendant obligatoire le port du masque dans l’espace public sur son territoire. La Ligue des droits de l’homme, a alors saisi le juge des référés du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, considérant, d’une part, que le maire n’est pas compétent pour prendre une telle mesure, d’autre part, que cette dernière constitue une atteinte grave et manifestement disproportionnée à un certain nombre de libertés fondamentales, dont la liberté d’aller et venir. Par une ordonnance n° 2003905 du 9 avril 2020, le juge a suspendu l’exécution de l’arrêté contesté en se fondant, notamment, sur l’incompétence du maire.

La commune a donc saisi le Conseil d’Etat d’une demande d’annulation de l’ordonnance du juge des référés du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise. Le Conseil d’Etat a finalement statué le 17 avril 2020, pour rejeter la requête de la commune de Sceaux, considérant notamment que :

« la police spéciale instituée par le législateur fait obstacle, pendant la période où elle trouve à s’appliquer, à ce que le maire prenne au titre de son pouvoir de police générale des mesures destinées à lutter contre la catastrophe sanitaire, à moins que des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable et à condition de ne pas compromettre, ce faisant, la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l’Etat ».

Concurrence des pouvoirs de police entre le maire et l’Etat

Nous sommes là en présence d’un cas assez classique de concurrence des pouvoirs de police entre le maire, qui détient des pouvoirs de police administrative générale sur le fondement de l’article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), et l’Etat et son représentant dans le département, qui détient des pouvoirs de police spéciale en vertu d’une loi spécifique. Les deux autorités sont alors autorisées à intervenir sur des fondements légaux différents.

La solution classique consiste alors à faire primer l’autorité de police spéciale, le maire ne pouvant intervenir dans ce domaine que dès lors qu’il prend une mesure plus contraignante, qui est en outre justifiée par des circonstances locales particulières. On reconnaît là le fameux arrêt Commune de Néris-lès-Bains (CE, 18 avril 1902, req. n° 04749).

Dans certains cas, le juge a même restreint encore davantage les modalités d’intervention du maire, en instituant des pouvoirs de police administrative spéciale exclusive. Alors, le maire ne peut intervenir qu’en cas de « péril grave et imminent », et non pas seulement en cas de « circonstances locales particulières ». C’est ainsi, notamment, que le juge administratif a écarté l’intervention du maire dans de nombreuses affaires relatives au droit de l’environnement (sur la question des ondes ou des cultures OGM) : s’ils pouvaient établir des circonstances locales particulières, ils n’avaient pu faire état d’un péril grave et imminent, de sorte que leurs arrêtés de police administrative générale avaient été annulés. Cette limitation supplémentaire des pouvoirs du maire est notamment justifiée par l’impératif de cohérence du droit positif sur l’ensemble du territoire dans ces domaines précis.

L’intérêt de la présente affaire résidait donc tant dans la solution dégagée par le Conseil d’Etat, que dans sa motivation. A cet égard, on remarque que ce dernier a posé un double verrou à l’intervention du maire :

-en premier lieu, elle doit être justifiée par « des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable » ;

-en outre, elle ne doit pas « compromettre, ce faisant, la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l’Etat ».

Ces conditions cumulatives sont les plus restrictives jamais imposées pour justifier l’intervention du maire en cas de concurrence de police avec une autorité investie de pouvoirs de police spéciale. Le Conseil va donc plus loin que dans les affaires liées aux polices spéciales de l’environnement.

Mouvement général de limitation des pouvoirs du maire

Cette décision, particulièrement restrictive pour les maires, s’inscrit naturellement dans un contexte particulier, où le régime juridique de l’état d’urgence sanitaire limite déjà les pouvoirs de police du maire.

En effet, l’article 3 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire dispose que :

« le représentant de l’Etat dans le département est habilité à adopter des mesures plus restrictives en matière de trajets et déplacement des personnes lorsque les circonstances locales l’exigent ».

Il découle très clairement de ces dispositions que, dans les cas où le maire peut être habilité à intervenir au titre de ses pouvoirs de police administrative générale et en vertu du principe jurisprudentiel dégagé dans l’arrêt Commune de Néris-les-Bains, c’est finalement le préfet qui est l’autorité de police administrative compétente.

Dès lors, une question se pose : cette solution du Conseil d’Etat, privant les maires d’une partie de leurs compétences de police administrative générale, aura-t-elle une portée limitée dans le temps et liée à l’état d’urgence sanitaire, ou bien est-elle annonciatrice d’une position plus pérenne ?

Si l’alinéa 9 de l’ordonnance commentée replace l’utilisation des deux critères dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, nul doute que le Conseil d’Etat se situe là dans un mouvement général de limitation des pouvoirs du maire en cas de concurrence des polices.

Par Thomas Chevandier, avocat au cabinet Seban & Associés

Philippe Pottiée-Sperry
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