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Gratuité totale des transports, une fausse bonne idée ?

Philippe Pottiée-Sperry
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La mission d’information sénatoriale sur « La gratuité des transports collectifs : fausse bonne idée ou révolution écologique et sociale des mobilités » a rendu fin septembre son rapport, dans une version provisoire, adopté à l’unanimité.

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Sur ce sujet sensible à l’approche des élections municipales de mars 2020, qui alimente déjà certains programmes, le rapport estime que « la gratuité totale des transports ne constitue ni une fausse ni une bonne idée en soi. Si elle ouvre la voie à une révolution sociale des mobilités, son bilan écologique est jusqu’à présent mitigé ». Un constat qui rejoint celui du rapport du Gart (Groupement des autorités responsables de transport), rendu public le 2 octobre, lors des dernières Rencontres nationales du transport public qui se sont tenues à Nantes.

29 communes et intercos interrogées

La mission sénatoriale a interrogé toutes les collectivités qui pratiquent la gratuité totale des transports collectifs, soit 29 communes ou intercommunalités. 12 l’ont adoptée depuis le début des années 2010. Leurs objectifs et arguments varient selon le contexte local : optimiser le service, assurer le libre accès de tous aux transports, limiter l’usage de la voiture ou encore renforcer l’attractivité du centre-ville. Près de la moitié de ces collectivités comptent moins de 15 000 habitants. Avec 200 000 habitants, la communauté urbaine de Dunkerque est la plus grande à avoir fait ce choix. Elles ont en commun deux spécificités : disposer de réseaux de bus (et non de modes de transports lourds) sous-utilisés et d’une répartition particulière du financement des transports (avec de faibles recettes de billettique et un versement transport élevé).

Un bilan écologique mitigé

Le mérite de la gratuité totale réside dans sa simplicité en permettant à tous de bénéficier de l’offre de transport sans aucune démarche. Toute autre méthode ou tarification, même solidaire, ne présente pas la même facilité. Par exemple, les « gratuités » partielles pour les jeunes constituent, en réalité, un remboursement, ce qui ne supprime pas la nécessité de faire l’avance des frais. Sur le plan écologique, le bilan de la gratuité apparaît mitigé. Certains observateurs insistent sur le report modal de la voiture, d’autres sur l’échec relatif résultant du report des modes actifs, notamment du vélo, pour le bus. Les parts de la voiture et des modes actifs sont trop dissemblables pour qu’on puisse en tirer de conclusion définitive car si la part de la voiture diminue peu c’est avant tout parce qu’elle représente l’essentiel des trajets dans les collectivités qui sont passées à la gratuité.

Opposition des associations d’usagers

Autre constat : la plupart des collectivités ont finalement préféré une « tarification solidaire fine ». Au terme de ses travaux, la mission sénatoriale estime que « la gratuité pouvait constituer une réponse à ce besoin mais qu’elle ne pouvait à elle seule tenir lieu de politique des transports. Au contraire, le gage d’une tarification réussie réside dans une politique de l’offre adaptée ». Attention donc à la fausse bonne idée ! Dans le débat, les associations d’usagers sont très opposées à cette idée. Ainsi, la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut) se déclare « contre la gratuité totale et pour la gratuité pour ceux qui en ont besoin », privilégiant un développement de l’offre de transports. De même, les usagers lui préfèrent généralement une amélioration de l’offre, même si elle est payante (davantage de lignes de bus, fréquence plus élevée...).

Complexité dans les grandes agglomérations

La gratuité totale reste difficilement envisageable dans les métropoles dotées de modes de transports lourds (trains, RER, métro) comme Paris, Lyon ou Bordeaux. Pour ces réseaux dont la fréquentation est déjà très élevée, l’importance des recettes issues de la billettique serait difficile à remplacer (245 M€, soit 25 % des recettes totales du SYTRAL à Lyon en 2016), et il serait d’autant plus difficile d’accroître l’offre proposée aux usagers. Pour sa part, la ville de Paris a conclu à la difficulté de mettre en œuvre la gratuité totale dans un contexte de quasi-saturation du réseau existant. Les réflexions menées ont néanmoins servi à développer l’offre de tarification solidaire de la ville, avec la mise en place de la gratuité pour les enfants de moins de 11 ans, effective depuis cette rentrée.

Une gratuité le plus souvent partielle

Au final, la solution retenue dans la plupart des réseaux de transports collectifs est une gratuité partielle. Plusieurs systèmes coexistent : la gratuité pour des populations particulières (jeunes, seniors, invalides, militaires, personnes sans emploi), la gratuité liée à des événements temporaires (réveillon de la Saint-Sylvestre, pics de pollution), la gratuité liée à l’utilisation de certaines lignes du réseau ou suivant certains créneaux horaires. Les collectivités ont souvent choisi une gratuité solidaire. Mais il faut pour cela trouver des financements alternatifs aux recettes issues de la billettique. « Proposer une augmentation du taux de versement transport pourrait fragiliser le système de financement vertueux des transports collectifs français », estime la mission sénatoriale. Et de citer la piste de taxation des plus-values immobilières liées aux infrastructures de transport.

Priorité à l’augmentation de l’offre

Comme l’a expliqué Guillaume Gontard, sénateur (CRCE) de l’Isère et rapporteur de la mission, « le rapport traduit un point d’équilibre entre aspirations à une mobilité écologique pour tous et préservation des grands équilibres de politique de transports collectifs, qui a fait ses preuves. En tout état de cause, la gratuité n’a qu’une capacité limitée à engager une transformation en profondeur de la société et de l’espace. Elle doit nécessairement s’inscrire dans un projet global ». Pour Michèle Vullien, sénatrice (UC) du Rhône et présidente de la mission, « la gratuité totale est possible lorsque la demande est inférieure à l’offre de transports – c’est la caractéristique commune à toutes les villes ou agglomérations qui l’ont mise en œuvre. Dans la situation inverse, c’est-à-dire dans la très grande majorité des cas, la demande est supérieure à l’offre et la priorité est évidemment d’augmenter l’offre. Pour mettre en œuvre la gratuité intégrale, il faudrait résoudre une équation financière très difficile : perte de recettes et hausse des dépenses sans paupériser les autorités organisatrices de la mobilité ».

Huit recommandations

La mission sénatoriale formule huit recommandations en s’efforçant de « dépassionner le débat qui souffre trop souvent de positions de principe et d’idées préconçues ». Tout d’abord elle appelle à intégrer les territoires ruraux et péri-urbains dans la réflexion pour ne pas créer une sensation de rupture et de distorsion entre les territoires. Il existe aujourd’hui 330 autorités organisatrices des transports, qui couvrent 25 % du territoire et les trois quarts de la population.Autre proposition : créer un observatoire de la tarification des transports. Par ailleurs, il faudrait penser la gratuité totale comme un outil d’une politique globale et veiller à sa soutenabilité à long terme. Au chapitre financier, la mission veut éviter tout risque de paupérisation des autorités organisatrices des transports, qui vont devoir faire face à des investissements importants, en particulier pour financer des matériels plus écologiques. Elle recommande ainsi le retour à une TVA à 5,50 % sur les services de transports de voyageurs mais aussi d’élargir la réflexion sur les modes de financement de la mobilité écologique de demain.

Le Gart opposé à la gratuité totale

Dans son rapport, le Gart estime que la gratuité totale « peut être pertinente dans certains réseaux où les recettes tarifaires sont très faibles » mais qu’elle « ne peut pas être généralisable à l’ensemble des territoires ». Conséquence : le Gart n’encourage pas cette pratique. Il rappelle ainsi que « même gratuit pour l’usager, le transport public ne l’est pas pour la collectivité qui, en se privant des recettes des usagers, devra compenser cette perte ». Les entreprises et les administrations sont les principaux contributeurs au travers du versement transport lequel apporte 47 % du financement, tandis que les collectivités locales, les usagers et l’État y participent, respectivement, à hauteur de 35 %, 17 % et 1 %. Au final le Gart plaide pour « promouvoir la mise en place de tarifications sociales davantage basées sur les revenus plutôt que sur le seul statut des individus ».Philippe Pottiée-Sperry
Philippe Pottiée-Sperry
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