
Rendre la santé accessible à tous dans les villes et les campagnes : le combat d’Abdelaali El Badaoui fondateur de l’association Banlieues Santé

Abdelaali El Badaoui, infirmier de formation, est fondateur de Banlieues Santé, une association qui lutte au quotidien contre les inégalités d’accès aux soins et contre la désertification médicale dans les territoires oubliés que sont les banlieues et les zones rurales. Son ambition : reconnecter les "décrocheurs à la santé" grâce à de nombreux projets innovants qu’il porte avec ses 1 500 bénévoles actifs. Rencontre.
Quelle est l’origine de l’association Banlieue Santé et qu’est-ce qui vous a motivé à la créer ?
Mohamed El Badaoui : L’association est née en 2018, avec l’objectif de lutter contre les inégalités sociales de santé. En partant d’un constat simple : l’écart d’espérance de vie entre ouvriers et cadres supérieurs en France est de presque 10 ans, une inégalité qui s’explique en grande partie par le manque d’accès au soin d’une partie de la population qui réside dans les territoires oubliés que sont les banlieues et les zones rurales. En créant l’association Banlieues Santé, j’ai souhaité identifier et accompagner ces « décrocheurs de santé » en angle mort des politique publiques, c’est-à-dire ceux qui n’accèdent pas aux soins ou qui y ont recours trop tardivement. Depuis 2018, nous avons développé plusieurs dispositifs pour améliorer l’accès aux soins : des centres de santé, des lieux dédiés à la santé des femmes aux pieds d’immeubles, où nous formons des habitantes à devenir ambassadrices de leur santé et de celle de leur entourage. Nous avons aussi lancé le programme "Plus Belle la Vue", qui permet aux personnes en difficulté d’obtenir une consultation ophtalmologique et un appareillage optique à moindre coût.
Où êtes-vous implantés aujourd’hui ?
M.B. : Nous ne nous limitons pas aux seuls quartiers prioritaires des métropoles. Notre objectif est d’aller à la rencontre de toutes les populations éloignées du système de soins, que ce soit en banlieue, dans les zones rurales ou tout autre territoire en difficulté. Aujourd’hui, nous sommes présents en Île-de-France, en région PACA, dans les Hauts-de-France, le Grand Est, l’Occitanie et nous développons également des actions à l’international, notamment au Maroc, en Belgique et bientôt en Angleterre et aux États-Unis. Partout où il y a des inégalités d’accès aux soins, nous voulons apporter des solutions.
Depuis 2018, quels résultats concrets avez-vous obtenus ?
M.B. : En six ans, nous avons accompagné plusieurs millions de personnes sur les questions de santé publique et de prévention. Des centaines de femmes ont été formées comme ambassadrices de la santé, et des centaines de milliers de patients ont bénéficié d’un meilleur accès aux soins. Nos actions ont un impact direct sur la vie des habitants : ils sont mieux informés, mieux accompagnés et peuvent accéder à un parcours de soins plus efficace et plus rapide.
Avec votre recul, constatez-vous une amélioration ou une dégradation de la situation sanitaire en France ces dernières années ?
M.B. : La situation s’est clairement dégradée, notamment depuis la crise du COVID-19. L’accès aux soins devient de plus en plus difficile, en raison de la pénurie de médecins, de contraintes budgétaires et d’une fracture territoriale qui s’accentue. D’un côté, on observe une prise de conscience collective et une volonté des citoyens de s’engager sur les questions de santé publique. Mais de l’autre, nous sommes encore très en retard sur la prévention, qui reste le parent pauvre du système de santé français. Il faut passer à l’échelle supérieure en matière de prévention et de médiation en santé pour éviter que les populations n’attendent la dernière minute pour consulter. Car aujourd’hui, les Français ne prennent plus le temps de s’occuper de leur santé et se retrouvent dans des situations médicales graves qui auraient pu être évitées.
Votre association prend-elle le relais de l’État dans certaines missions de santé publique ?
M.B. : L’État a la responsabilité de garantir l’accès aux soins pour tous, mais il y a toujours des trous dans la raquette. Le service public doit se réinventer, et les acteurs associatifs et privés doivent aussi jouer un rôle pour toucher les publics les plus vulnérables. Nous n’avons pas vocation à remplacer l’État, mais nous complétons son action en proposant des solutions de santé adaptées aux besoins des habitants. Il faut plus de médiation en santé, plus d’actions de terrain, et plus de synergie entre les collectivités, les associations et les professionnels de santé.
Pourquoi certaines populations sont-elles encore exclues du système de santé ?
M.B. : Il y a plusieurs facteurs : le coût des soins, la difficulté d’obtenir un rendez-vous, le manque d’informations et un certain découragement face aux délais d’attente. Quand un patient doit attendre six mois ou un an pour consulter un spécialiste, il finit souvent par renoncer aux soins. Les personnes en situation de précarité doivent gérer des priorités immédiates : se loger, se nourrir, éduquer leurs enfants… La santé passe souvent au second plan, jusqu’à ce qu’un problème grave survienne. C’est pourquoi il est essentiel de renforcer la médiation en santé et d’intégrer la prévention dans le quotidien des citoyens.
Comment fonctionne concrètement Banlieue Santé ?
M.B. : Nous avons développé plusieurs programmes d’action : Les centres de santé, qui facilitent l’accès aux soins en impliquant les habitants et les acteurs locaux. Les cafés des femmes, des lieux sécurisés où les femmes peuvent parler de leur santé, de leur bien-être et bénéficier d’un accompagnement. La médiation en santé, avec la formation d’ambassadrices pour relayer les bonnes pratiques et encourager le recours aux soins. Des actions de socio-esthétique, en partenariat avec L’Oréal, qui proposent aux femmes des soins de bien-être et d’estime de soi dans les quartiers populaires et les villages. Notre objectif est d’intégrer la santé dans le quotidien des habitants et de lever les freins qui les empêchent d’accéder aux soins.
Quelle est la structure de votre association ?
M.B. : Banlieue Santé repose sur un réseau de 800 associations partenaires, avec environ 20 collaborateurs permanents, 1 500 bénévoles actifs et plus de 4 millions de bénéficiaires depuis notre création. Nous avons la chance d’être soutenus par des collectivités comme la Ville de Paris, Marseille, des régions, des départements et l’Agence Régionale de Santé (ARS), ce qui nous permet de mener nos actions efficacement sur le terrain.
Un dernier mot ?
M.B. : Simplement rappeler que la santé est un droit fondamental, et non un privilège. Il est crucial que les acteurs publics et privés travaillent ensemble pour garantir un accès aux soins à tous, sans distinction de territoire ou de statut social. Chez Banlieue Santé, nous continuerons à nous battre pour que chacun puisse se soigner dignement et sereinement.
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