Jean Castex veut s’appuyer sur les territoires
Nommé Premier ministre le 3 juillet, Jean Castex reste un inconnu pour la plupart des Français alors qu’il a déjà derrière lui une carrière bien remplie dans la haute fonction publique.
En coulisses, le « Monsieur déconfinement » du gouvernement Philippe, âgé de 55 ans, a joué un rôle de premier plan durant cette période très particulière, à la tête d’un groupe de travail interministériel, façon commando, pour préparer la stratégie de déconfinement ». Pour le présenter, Edouard Philippe avait alors évoqué « un haut fonctionnaire qui connaît parfaitement le monde de la santé et qui est redoutable d’efficacité ». Délégué interministériel aux Jeux olympiques (DIJOP) et aux grands événements sportifs (DIGES) mais aussi président de l’Agence nationale du sport, ses dernières fonctions, Jean Castex a été aussi directeur de l’hospitalisation et de l’organisation des soins (ministère des Solidarités) de 2005 à 2006, puis directeur de cabinet de Xavier Bertrand, au ministère de la Santé (2006-2007) et au ministère du Travail (2007-2008). Il fut aussi conseiller aux affaires sociales à l’Elysée (2010-2011) avant d’en devenir le secrétaire général adjoint jusqu’en 2012.
Jean Castex est un haut fonctionnaire mais aussi un homme de terrain grâce à son mandat de maire (LR) de Prades (Pyrénées-Orientales, 6200 hab.) qu’il occupe depuis 2008 et pour lequel il a été largement réélu dès le premier tour le 15 mars dernier. Ancien conseiller régional du Languedoc-Roussillon, il est aujourd’hui conseiller départemental. Cette expérience d’élu local lui sera bien utile à Matignon en prouvant qu’il n’est pas juste un « techno ». Il était ainsi à peine nommé que l’APVF se réjouissait de « la nomination d’un maire de petite ville à Matignon ». Mais en ajoutant que cela « doit être l’occasion de marquer une nouvelle étape de la décentralisation ». Pas encore certain que cela sera le cas.
« Efficacité du couple ‘maire-préfet’ »
Dans une interview accordée au JDD le 5 juillet, le nouveau Premier ministre affirme vouloir aller vite en s’attaquant à tous les dossiers sensibles, dont la préparation du plan de relance ou la réforme des retraites. Il insiste sur sa volonté de dialogue et son « devoir de mobiliser et fédérer ». Jean Castex doit conclure cette semaine le Ségur de la santé. Plaidant pour « une réconciliation », il estime qu’elle « doit aussi concerner les territoires ». A la question sur un nouvel acte de décentralisation, il reste pour l’instant prudent, en évoquant que « l’Etat peut aussi exister sur les territoires ». Et d’ajouter : « Durant la crise du Covid, j’ai beaucoup plaidé pour l’efficacité du couple « maire-préfet ». C’est l’union du terrain et de l’Etat. Certes l’Etat ne peut pas tout faire. Mais il peut faire mieux en faisant autrement ».
Deux jours plus tôt, Emmanuel Macron, dans un entretien à plusieurs quotidiens de la presse régionale, s’est dit « favorable à plus de différenciations » car « cela correspond à la fois à la demande des collectivités territoriales et au besoin des territoires. Avec la différenciation, je suis prêt à faciliter les expérimentations ». Il confirme ici la préparation en cours du projet de loi « 3D » (décentralisation, différenciation, déconcentration), démarrée en début d’année puis suspendue le temps de la crise sanitaire. En écho aux propos de la ministre de la Cohésion des territoires Jacqueline Gourault, le chef de l’Etat ne se positionne pas sur de nombreux transferts de compétences préférant « des politiques concrètes » à base de clarification et de différenciation. Pas de quoi répondre à la plupart des associations d’élus dont Territoires unis (AMF, ADF et Régions de France) ou à Gérard Larcher, le président du Sénat, qui continuent de réclamer un nouvel acte de décentralisation. Le président de l’AMF, François Baroin, plaide ainsi pour un « grand texte de libertés locales ».
Dans le nouveau gouvernement, annoncé le 6 juillet, affichant les territoires parmi ses premières priorités, pas de changement de casting pour autant. Jacqueline Gourault est ainsi reconduite ministre de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Auprès d’elle, Nadia Hai devient ministre déléguée chargée de la Ville. Pour sa part, Sébastien Lecornu, auparavant en charge des collectivités territoriales, devient ministre des Outre-mer. Au total, le gouvernement Castex 1 compte 16 ministres, 14 ministres délégués et un secrétaire d'Etat (Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement rattaché au Premier ministre). Une liste complémentaire de secrétaires d'Etat doit être annoncée très prochainement.
L’écologie, « une obligation »
Après la vague verte aux municipales dans les grandes villes, Jean Castex estime que l'écologie n’est « pas une option » mais « une obligation » dans son interview au JDD. Le nouveau Premier ministre entend s’appuyer sur une méthode qui consiste à « accélérer à partir des territoires et des expériences qui marchent ». Et de préciser : « nous allons lister avec les acteurs locaux tout ce que l’on peut faire immédiatement : lutte contre les fuites dans les réseaux d'eau, contre l'artificialisation des terres, pour l'isolement thermique, les toitures photovoltaïques, le nettoyage des rivières, les pistes cyclables, la lutte contre le gaspillage, les circuits courts, le bien-être animal… ».
Ce dossier stratégique de l’écologie est confié à Barbara Pompili, nommée ministre de la Transition écologique et numéro 2 du gouvernement. La députée LREM de la Somme, qui succède à Elisabeth Borne (nouvelle ministre du Travail et de l’Emploi), est une ancienne élue écologiste membre d’EELV, plusieurs fois pressentie pour ce ministère. Présidente depuis 2017 de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire à l’Assemblée nationale, elle fut aussi secrétaire d’Etat à la Biodiversité durant un peu plus d’un an sous le quinquennat de François Hollande, de février 2016 à mai 2017. Spécialiste de l’écologie au sein de la majorité, Barbara Pompili fait notamment partie de l’association "En Commun" regroupant une cinquantaine de députés LaREM de sensibilité sociale et écologique. A ses côtés, Emmanuelle Wargon devient ministre déléguée au Logement (elle était auparavant secrétaire d’Etat auprès de la ministre de la Transition écologique et solidaire), et Jean-Baptiste Djebbari ministre délégué aux Transports (un portefeuille qu’il occupait déjà auparavant). Jusqu’alors chargé du Logement et de la Ville, Julien Denormandie devient ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation.
Amélie de Montchalin à la fonction publique
A noter aussi la nomination d’une ministre de plein exercice sur la fonction publique, qui n'est plus rattaché à Bercy, mais avec un drôle d’intitulé : Amélie de Montchalin, ministre de la Transformation et de la fonction publique. Secrétaire d'État chargée des Affaires Européennes dans le précédent gouvernement, elle fut aussi députée LREM de l’Essonne, membre de la commission des finances. Amélie de Montchalin n’est pas particulièrement connue pour ses connaissances en matière de fonction publique. Olivier Dussopt quitte donc ses fonctions (il était secrétaire d’Etat auprès de Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des comptes publics, qui devient ministre de l’Intérieur) pour une promotion en devenant ministre délégué chargé des Comptes publics, auprès de Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance. Autres ministres aux côtés du patron de Bercy : Agnès Pannier-Runacher (industrie) et Alain Griset (PME). Auprès d’Elisabeth Borne, ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion, Brigitte Klinkert, présidente (DVD) du département du Haut-Rhin, devient ministre déléguée chargée de l’Insertion. Pour sa part, Brigitte Bourguignon, députée LREM et présidente de la commission des Affaires sociales à l’Assemblée nationale, est nommée ministre déléguée chargée de l’Autonomie.
Le premier conseil des ministres du nouveau gouvernement s'est tenu le 7 juillet à 15 h. Côté calendrier, Emmanuel Macron donnera une interview télévisée le 14 juillet, et quelques jours plus tard cela sera une déclaration de politique générale de Jean Castex devant les députés.
Philippe Pottiée-Sperry