Les collectivités inégales face à la gestion RH de la crise sanitaire

Philippe Pottiée-Sperry
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Continuité des services publics locaux pendant le premier confinement, difficultés dans la gestion RH des agents, mesures de sécurité et de protection des agents, organisation des services, versement de la prime exceptionnelle « Covid »… Présentée le 20 mai, une vaste enquête sur la crise sanitaire et ses impacts en matière de gestion des ressources humaines (RH), réalisée par l’AMF, le CNFPT, la FNCDG, l’ADF et Régions de France, balaye large.

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Effectuée pour compléter le baromètre HoRHizons 2020 publié en mars dernier, elle porte sur la période du premier confinement (17 mars – 11 mai 2020). Premier constat : les collectivités ont été au rendez-vous. « Elles se sont fortement mobilisées avec une organisation mise en œuvre au pied levé. Cela montre bien leur adaptabilité », estime Murielle Fabre, coprésidente de la commission FPT et Ressources humaines de l’AMF.

Continuité des services publics locaux

« La continuité de service a été totalement assurée. Les collectivités ont tenu le pays », poursuit François Deluga, coprésident de la commission FPT et RH de l’AMF et président du CNFPT. L’enquête montre ainsi que très peu de collectivités ont évoqué des difficultés liées à la continuité de leurs activités. La forte implication des agents avait déjà été soulignée par un rapport du Sénat publié le 10 juillet 2020. Concernant la mise en place de plans de continuité d’activité (PCA), destinés à maintenir les missions essentielles pour le maintien du service public et désigner les agents nécessaires, 65% des collectivités en ont adopté un, dont 23% ne l’ont fait qu’au moment de l’annonce du confinement. Derrière ce chiffre se cachent de fortes différentes entre catégories de collectivités. Ainsi, les départements et les régions avaient tous adopté un PCA, très souvent avant l’annonce du premier confinement. À l’inverse, peu de PCA existaient dans les communes et intercos avant la crise sanitaire : 42% pour les communes, 37% pour les communautés de communes (CC) et 45% pour les communautés d’agglomération (CA). Si les CA ont largement adopté un plan de continuité lors du premier confinement, 31% des communes et 27% des CC n’en avaient toujours pas élaboré au moment de la réalisation de l’enquête. Sans surprise, la création de cellules de gestion de crise (élus et cadres dirigeants territoriaux) a surtout concerné les collectivités de plus de 50 000 habitants.

Les services d’état civil dans les communes ont continué d’exercer très majoritairement leurs fonctions en présentiel, tout comme les agents des services techniques, de la comptabilité et des finances. S’agissant des mesures de sécurité et de protection, 86% des collectivités ont mis des masques à disposition de leurs agents quotidiennement et 83% ont imposé de le porter dans les bureaux

Obstacles rencontrés dans la gestion des agents

Les principaux obstacles rencontrés par les collectivités dans la gestion des agents sont le manque d’anticipation (43 %) et d’équipements (41 %) avec l’absence de matériel de protection (masques ou gel hydroalcoolique). Le manque de recul et d’anticipation a été ressenti par toutes les collectivités, un peu moins souvent dans les très grandes collectivités de plus de 1000 agents et les petites communes. Cependant, l’absence d’équipements de protection, masques et gel hydroalcoolique a concerné toutes les collectivités. A noter que ce sont les intercos qui ont le plus mis en avant leurs difficultés en matière de gestion des ressources RH comme la perte de contact avec certains agents (76% des CA l’ont évoquée et 47% des CC). Les difficultés d’organisation des services ont concerné 15% des collectivités, et davantage celles de taille moyenne.

Si les collectivités ont dû adapter leur document unique d’évaluation des risques professionnels pour tenir compte des risques apparus avec le Covid-19 et prendre les mesures de prévention selon les risques, seulement 3% des répondants ont engagé une réflexion sur les risques psychosociaux liés au contexte sanitaire (peur de la contamination, angoisse de l’isolement…). Toutefois, cette démarche a été engagée dans plus de la moitié des régions et départements (58%) et dans un quart des CA.

Droit de retrait peu invoqué

Le droit de retrait a été assez peu invoqué par les agents : seulement 8% des collectivités ont été concernées. Il a été plus souvent invoqué dans les communes que dans les intercos. Ce sont surtout des agents travaillant dans les structures petites et moyennes (moins de 100 agents) qui ont fait usage de ce droit. L’invocation du droit de retrait a pratiquement toujours recueilli un avis favorable de la part de la collectivité (à 86%). Seulement 6% des collectivités ont demandé une reprise des fonctions. Ces collectivités sont notamment des communes de plus de 5000 habitants et des collectivités de plus de 100 agents. « Ce faible taux de retrait a montré que les collectivités ont fait le job pour que leurs agents travaillent dans de bonnes conditions », souligne Olivier Richefou, président du département et du CDG de la Mayenne. Selon lui, cela montre bien que « la santé des agents a été au cœur des préoccupations des employeurs ».

Les réunions d’instances paritaires à distance n’ont concerné que 4% des collectivités. Très peu de communes en ont organisé, leurs instances étant souvent celles du centre de gestion. A contrario, régions, départements, CA et communes de plus de 50 000 habitants ont utilisé les dispositions prévues par l’ordonnance du 27 mars 2020, principalement pour l’organisation des comités techniques et des CHSCT. Par ailleurs, pour les collectivités affiliées au centre de gestion, pour le secrétariat des CAP et CCP et des instances médicales, employant moins de 50 agents et dépendant du comité technique (CT) et du CHSCT du CDG, les dispositions de l’ordonnance ont été majoritairement utilisées : plus de 80% des CDG ont organisé au moins une réunion d’instances médicales ou paritaires à distance (visioconférence, audioconférence, procédure écrite par échanges de mails ou dispositif mixte). Cela concerne majoritairement les réunions de CT ou de CHSCT et les comités médicaux.

Peu de télétravail dans les petites communes

L’enquête révèle une disparité de situations allant du tout télétravail au tout présentiel, en passant par des situations de travail mixtes, combinant télétravail et présentiel : 25% des collectivités ont vu la totalité de leurs agents rester en présentiel ; 35% ont maintenu plus de 75% de leurs agents sur site ; 10% ont placé plus de la moitié de leurs effectifs en télétravail ; 3% ont demandé à tous leurs agents de travailler à distance. Les communes de moins de 5000 habitants et les CC sont les moins nombreuses à avoir instauré le travail à distance, ce qui s’explique par la nature des métiers exercés dans ce type de collectivité. En effet, la moitié des communes de moins de 2000 habitants n’a placé aucun agent en télétravail. Le taux d’agents en télétravail augmente ainsi en fonction de la taille de la collectivité : 15% des structures inférieures à 50 agents ont mis en place le télétravail contre 32% pour les collectivités ayant entre 50 et 100 agents et 40% pour les structures de plus de 350 agents.

Complexité de gestion des ASA

D’un point de vue RH, les consignes évolutives et la complexité des dispositifs d’autorisations spéciales d’absence (ASA) ont été difficiles à gérer. Au 1er septembre, 4% des collectivités avaient maintenu des agents en ASA « personne vulnérable ». Cela représentait moins de 20% de leurs agents. Un autre motif d’ASA a été mis en œuvre pendant le premier confinement, pour les agents aux fonctions non essentielles ne pouvant pas les exercer du fait du confinement et de l’impossibilité de télétravail. La moitié des collectivités a été confrontée à cette situation, qui correspond notamment aux postes dédiés à l’accueil du public. Pour 14% des communes, cette situation a concerné plus de la moitié de leurs agents. Dans les collectivités employant plus de 100 agents, plus de 40% des agents ont été placés en ASA au moins un jour.

Par ailleurs, 18% des collectivités ont imposé la prise de jours de congés ou de jours de RTT durant le premier confinement. Ce chiffre grimpe à 50% pour les CA, les départements et les régions. En revanche, seulement 16% des communes l’ont imposé. La durée moyenne des congés imposés a été de 5 jours (56% des collectivités concernées). 21% des collectivités en ont imposé moins, 23% davantage, entre 6 et 10 jours

29% des collectivités ont versé une prime « Covid »

Seules 29% des collectivités ont délibéré pour instituer une prime exceptionnelle « Covid », essentiellement versée aux agents « particulièrement mobilisés ». Le montant moyen de cette prime équivaut à 488 €, avec des variations allant de 40 à 1000 €. Sans surprise, ce sont surtout les plus grandes collectivités qui l’ont mise en place, compte tenu de leurs capacités financières. Ainsi, les trois quarts des CA (55% des CC), des départements et des régions l’ont fait contre seulement 28% des communes (23% de celles de moins de 2000 habitants mais 100% de celles de plus de 50 000 habitants). Les communes et les CC sont les collectivités dont les primes sont les plus souvent restées en deçà des plafonds réglementaires. Les départements ont versé les primes moyennes les plus élevées, sans doute en raison de la forte mobilisation de leurs services sociaux et médico-sociaux.

Quand la collectivité a instauré une prime « Covid », la plupart des services en a bénéficié : services techniques, secrétaires de mairie (68%), services de l’état civil (60%), finances (50%), ressources humaines (45%), écoles (38%) et police municipale (23%).

Impact financier important

L’impact financier le plus souvent cité est le versement de la prime exceptionnelle (29% des réponses). Viennent ensuite le paiement des heures supplémentaires (17%), l’achat de matériel informatique (13%), le remplacement des agents placés en ASA (10%)... Certains éléments ont atténué les dépenses de fonctionnement : le non-paiement d’heures supplémentaires notamment du fait de la non organisation d’événements (5%) ou le non renouvellement de certains contrats (4% des collectivités).

« Le coût financier de la gestion RH de la crise est important pour les collectivités, souligne François Deluga. Il y a eu un effet de ciseau avec une augmentation des dépenses et une perte de recettes. Sur ce sujet, il faut pouvoir avoir un débat objectif sur le coût réel de la crise avec le gouvernement. D’autant que le sujet reste d’actualité, en particulier avec les personnels mobilisés sur la campagne de vaccination ».

Philippe Pottiée-Sperry

(1) Enquête menée du 21 octobre au 18 décembre 2020 auprès de toutes les collectivités et ayant obtenu 4022 réponses complètes.

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