Le Sénat veut doper le projet de loi « 4D »

Philippe Pottiée-Sperry
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« Il existe dans notre pays une envie de décentralisation, plus forte que jamais. C’est ce que confirment notre consultation et le sondage auprès des élus ».

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Faisant ce constat, Gérard Larcher, le président du Sénat, a estimé que le projet de loi "4D", présenté au conseil des ministres du 12 mai, « est en deçà de nos attentes ». Et d’ajouter : « La crise sanitaire a parachevé la démonstration d’un État fragilisé par ses rigidités et elle a confirmé l’agilité et la réactivité des collectivités territoriales ». Selon Françoise Gatel, présidente de la délégation aux collectivités territoriales, « le Sénat propose d’emmener le projet de loi 4D une lettre plus loin, avec le E de l’efficacité de l’action publique jusqu’au dernier km, un constat renforcé après les deux crises des gilets jaunes et du Covid-19 ». Comme le président du Sénat, elle se veut dans une position constructive : « Nous tendons une main à la ministre Jacqueline Gourault et nous espérons qu'elle nous ouvre les bras ».

Avec Françoise Gatel et Mathieu Darnaud, tous deux co-rapporteurs du projet de loi « 4D » au Sénat, Gérard Larcher a présenté, le 11 mai, les résultats de la consultation des élus locaux, réalisée sur la plateforme Internet du Sénat (3300 répondants), et du sondage de l’Institut CSA (1). Il en ressort six grandes catégories d’attentes des élus, avec la volonté affichée du Sénat de s’en servir pour modifier et enrichir le projet de loi « 4D ».

Aller plus loin dans la décentralisation

Première attente : aller plus loin dans la décentralisation mais sans « big bang territorial », insiste le Sénat. Selon CSA, 64 % des élus souhaitent faire évoluer l’organisation territoriale et 70 % souhaitent aller plus loin dans la décentralisation. La deuxième attente concerne l’adaptation des politiques publiques aux réalités territoriales par une meilleure articulation des compétences communes-intercommunalités et la différenciation territoriale. Pas moins de 94 % des élus y sont favorables (consultation sénatoriale). « Aux communes, il faut donner plus de souplesse d’organisation et moins de contraintes au sein des intercommunalités, en autorisant des transferts de compétences différenciées sur le territoire intercommunal », a estimé Gérard Larcher. De plus, 74 % des élus se disent favorables à ce que l’État puisse confier à titre expérimental des compétences différentes à des collectivités de même catégorie (sondage CSA). Et 70 % sont d’accord pour l’attribution de compétences différentes à des collectivités de même catégorie, sur la base du volontariat (consultation).

Simplifier les normes

Troisième attente : exercer les compétences au plus près des réalités du terrain par la subsidiarité. Là encore le résultat est massif : entre 72 % (consultation) et 77 % (CSA) des élus sont favorables à l’adaptation des lois nationales aux spécificités des territoires. Attente n°4 : simplifier les normes applicables aux collectivités territoriales (il en existe pas moins de 400 000 !) qui est une priorité pour 70 % des élus locaux, en particulier pour les élus municipaux et départementaux (CSA). Selon la consultation, il s’agit d’une « exigence absolue » pour 78% des élus. Elle indique aussi que plus de 90% d’entre eux se prononcent pour la création d’une instance de concertation auprès du préfet, afin de trancher et d’harmoniser les normes applicables aux collectivités. Sur ce sujet, Mathieu Darnaud plaide pour lutter contre le flux de normes, notamment en donnant plus de pouvoirs au Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) où sont représentés les élus locaux. Par ailleurs, selon le sondage CSA, la seconde priorité des élus est la suppression des doublons entre l’Etat et les collectivités (58% des réponses).

Donner plus de pouvoirs aux collectivités

La cinquième attente vise à donner plus de pouvoirs aux collectivités, notamment en matière de santé. Selon CSA, 42% des élus locaux citent l’environnement et le logement comme secteurs à « transférer davantage » aux collectivités, devant l’action sociale (39 %) et la sécurité (34 %). En matière de santé, la consultation du Sénat indique que 86 % des élus souhaitent confier la présidence du conseil de surveillance des ARS à un élu local et rééquilibrer sa composition en faveur des représentants des territoires. De même, 74 % des élus sont partisans de confier aux seuls départements le pilotage des Ehpad comme de la médecine scolaire. « Pour les départements, nous proposerons, à la fois, l’affirmation de leur compétence en matière médico-sociale et une capacité d’action renforcée en faveur de l’économie de proximité́ », a indiqué le président du Sénat.

Renforcer l’État territorial

Enfin, l’attente n°6 concerne le renforcement de l’État territorial, en particulier au niveau du département. 79% des élus locaux sont ainsi favorables à des transferts de compétences de l’État central vers l’État territorial (CSA). Pour les élus, le renforcement de la déconcentration passe avant tout par les préfectures de départements (55 %), plutôt que par les sous-préfectures (31 %) ou les préfectures de régions (12 %). Selon Gérard Larcher, « le Sénat propose de restaurer l’autorité du préfet de département. C’est un choix fort, au moment où le gouvernement veut mettre fin au corps préfectoral ».

« Améliorer » le projet de loi « 4D »

Se défendant de toute volonté d’obstruction à l’égard du projet de loi « 4D », Gérard Larcher a néanmoins bien l’intention de l’« améliorer », notamment en s’appuyant sur les 50 propositions du Sénat « pour le plein exercice des libertés locales », présentées en juillet 2020, et des trois propositions de loi qui avaient suivi. Selon le président du Sénat, « le projet de loi 4D doit permettre de construire un nouvel équilibre des pouvoirs entre l’État et les collectivités, de nature à restaurer la confiance, indispensable au fonctionnement normal d’une démocratie ». Dans la même ligne, Françoise Gatel a estimé que « face au climat de défiance dans le pays, les élus locaux ne sont pas dans le caprice mais dans l’exigence d’efficacité et de résultat ».

« Nous voulons un texte pragmatique pour donner aux élus des outils simples d’usage et efficaces pour les populations », a indiqué pour sa part le président de la commission des lois, Jean-Noël Buffet. « Le gouvernement doit entendre ce besoin de mesures complémentaires », a ajouté Mathieu Darnaud. Le Sénat commencera le 5 juillet l’examen en séance publique du projet de loi 4D, et cela devrait ensuite le tour de l’Assemblée nationale courant septembre.

Philippe Pottiée-Sperry

(1) Sondage CSA réalisé du 19 octobre au 6 novembre 2020 auprès d’un échantillon de 500 élus locaux (dont 81% d’élus municipaux et 19% d’élus départementaux et régionaux.

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