L’ordonnance sur le trait de côte inquiète les élus
Un cinquième du littoral français souffre de l’érosion côtière. L’ordonnance sur l’aménagement des territoires exposés au recul du trait de côte a été publiée au JO du 7 avril. Très inquiets, les élus locaux déplorent notamment le transfert de charges et de responsabilité de l’État vers les communes pour gérer ce risque.
Prévue par la loi « Climat » du 22 août 2021, l’ordonnance sur « l’aménagement des territoires littoraux exposés au recul du trait de côte », présentée par la ministre de la Transition écologique au conseil des ministres du 6 avril, a été publiée dès le lendemain au Journal officiel.
Pas moins d’un cinquième du littoral français est soumis à l’érosion côtière. Un phénomène amplifié aujourd’hui par le changement climatique, avec la hausse du niveau des mers et de l’intensité des phénomènes climatiques extrêmes comme les tempêtes. Elle se traduit par un risque de submersion progressive du littoral menaçant les espaces naturels mais aussi les zones urbanisées. D’ici 2100, au moins 50 000 logements seront concernés. Ce changement est certain et les outils de protection, comme les digues, longtemps utilisés n’ont qu’une efficacité limitée face à ce phénomène.
Bail réel d’adaptation à l’érosion côtière
Fort de ce constat, le gouvernement juge nécessaire la recomposition des territoires littoraux concernés en anticipant la relocalisation progressive de l’habitat et des activités affectés par l’érosion. La loi « Climat » prévoit plusieurs dispositions pour mieux appréhender le phénomène de recul ou renforcer l’information des acquéreurs et des locataires. Destinée à compléter ce dispositif, l’ordonnance crée un nouveau type de bail réel d’adaptation à l’érosion côtière qui pourra être conclu entre un bailleur public et un preneur sur des ouvrages et bâtiments, situés dans les zones exposées au recul du trait de côte, pour une durée entre 12 et 99 ans. Objectif : permettre la poursuite de certaines activités, liées au tourisme ou à l’économie du littoral.
Cet outil comprend un mécanisme de résiliation anticipée, selon l’évolution de l’érosion, si la sécurité des personnes et des biens ne peut plus être assurée. Pour prendre en compte les conditions d’acquisition du bien et pouvoir financer les opérations de renaturation à terme, le preneur s’acquitte d’un prix à la signature du bail et d’une redevance pendant sa durée. Le prix de cession du bail est encadré pour prévenir des situations où les droits réels seraient cédés à une valeur disproportionnée au regard de la durée de vie résiduelle du bien.
Des dérogations à la loi littoral
Afin de sécuriser et encadrer les conditions dans lesquelles la puissance publique pourra acquérir les biens exposés au recul du trait de côte, l’ordonnance définit une méthode d’évaluation de la valeur de ces biens à privilégier, à horizon de 30 ans. Par ailleurs, il sera possible de déroger à certaines dispositions de la loi littoral, notamment l’obligation de construire en continuité de l’urbanisation existante, lorsque cela empêche la mise en œuvre d’une opération de relocalisation de biens ou d’activités menacés dans des espaces moins soumis au recul du trait de côte.
Ces dérogations ne peuvent intervenir que dans le cadre d’un contrat de projet partenarial d’aménagement (PPA) visant la recomposition du territoire d’une commune exposée au recul du trait de côte. Elles sont uniquement mobilisables lorsque les constructions, ouvrages ou installations menacés ne peuvent pas être relocalisés au sein ou en continuité de l’urbanisation existante, après accord du représentant de l’Etat dans le département ou du ministre chargé de l’urbanisme, et après avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites. Ces dérogations ne peuvent pas être accordées en cas d’atteinte excessive à l’environnement ou aux paysages. Les contrats de PPA sont déjà expérimentés sur trois communes pilotes (Lacanau, Gouville-sur-Mer, Saint-Jean-de-Luz), qui bénéficient à ce titre d’un financement de 10 M€ du plan de relance.
A noter qu’un projet de décret prévoit que 119 premières communes devront s’adapter au risque d’érosion côtière, notamment en établissant une « carte locale de projection du recul du trait de côte » à 30 et 100 ans, avec à terme la possibilité d’une obligation de démolition.
Fortes inquiétudes des élus locaux
Les élus locaux expriment une vive inquiétude envers cette ordonnance comme l’a montré la délibération du 25 mars dernier sur ce texte du Conseil national d’évaluation des normes (CNEN) avec un avis défavorable. En effet, si les trois membres représentant l’État ont donné, sans surprise, un avis favorable, en revanche, les huit membres représentant les élus ont prononcé un avis défavorable. En ligne de mire : une saisine en « extrême urgence » et l’absence d’évaluation par le ministère de la Transition écologique sur les conséquences financières de la réforme sur les budgets des collectivités.
Les élus du CNEN ont déploré le transfert de charges et de responsabilité de l’État vers les communes en matière de gestion du risque lié au recul du trait de côte. Ils estiment aussi que celui-ci doit être relativisé au regard des travaux scientifiques discordants. De plus, les maires des communes littorales s’alarment de l’application du droit de préemption, en rappelant que dans certaines communes des quartiers entiers seront concernés.