
Les collectivités doivent reprendre le contrôle de leurs données

À l’heure où 92 % des données européennes sont hébergées par des entreprises américaines, la souveraineté numérique devient un impératif pour les collectivités locales. William Méauzoone, cofondateur de Leviia, spécialiste français du stockage sécurisé, alerte sur les risques de dépendance et plaide pour des alternatives souveraines, accessibles et adaptées aux besoins des acteurs publics. Rencontre.
92 % des données des Européens sont hébergées par des entreprises américaines. Pourquoi est-ce un problème, même lorsqu’elles sont physiquement stockées en Europe ?
Parce que ce n’est pas l’emplacement physique qui compte, mais la loi à laquelle obéit l’entreprise qui les héberge. Or, une entreprise américaine, même si ses serveurs sont en France, reste soumise aux lois extraterritoriales comme le Cloud Act ou le FISA. Cela signifie que le gouvernement américain peut accéder à ces données, sans décision de justice, sans notification. On est donc face à un vrai problème de souveraineté et de sécurité nationale.
Ce risque est-il suffisamment pris au sérieux par les collectivités ?
De plus en plus. Nous constatons un réel changement de mentalité. Les responsables informatiques des mairies, agglos, départements ou régions sont confrontés à des cyberattaques, à des blocages de systèmes entiers. Cette prise de conscience est bien là. Ce qui reste difficile, c’est le passage à l’acte. Par habitude, manque de budget, ou crainte du changement, certains hésitent encore à rompre avec les outils des géants américains.
Mais est-il possible de migrer vers des solutions françaises ? À quel prix ? Et pour quelles garanties ?
Absolument, et c’est précisément ce que nous proposons chez Leviia. Nous avons développé un équivalent souverain à Google Drive ou Microsoft OneDrive, 100 % français, avec des serveurs hébergés en France, protégés par le droit français. Nous ne faisons qu’un seul métier : le stockage et la collaboration, et nous le faisons bien.
Côté prix, nous sommes concurrents directs des solutions américaines, à périmètre fonctionnel équivalent. Il est tout à fait possible de construire une suite collaborative avec plusieurs acteurs français spécialisés, comme cela se fait déjà dans le secteur privé.
Quels freins freinent encore le passage à des solutions souveraines ?
Le confort d’usage. On connaît Google ou Microsoft, on a ses habitudes. Or, dans le monde public, avec peu de ressources humaines et financières, tout changement est un projet en soi. Cela suppose de former les agents, accompagner le changement, planifier une migration. Mais nous voyons aujourd’hui des collectivités de toutes tailles qui franchissent le pas. Il faut du temps, mais la dynamique est enclenchée.
Avez-vous des exemples concrets ?
Oui, et nous en sommes fiers. Nous hébergeons notamment le drive de la région Île-de-France, utilisé par les 550 000 lycéens, enseignants et personnels administratifs. L’objectif était d’éduquer à l’usage de solutions souveraines dès le plus jeune âge. Ce projet montre que l’on peut allier performance, respect de la vie privée et souveraineté.
Vous évoquez aussi un enjeu industriel : les données publiques alimentent aujourd’hui des IA étrangères ?
Exactement. Prenons l’exemple du secteur médical. Microsoft a obtenu la gestion des données de santé de toute l’Europe. Avec ces données, ils entraîneront une intelligence artificielle médicale. Dans quelques années, cette IA sera vendue aux hôpitaux européens… à prix d’or. Or ces données ont été produites ici, par nos médecins. On finance donc, indirectement, des produits que l’on devra ensuite acheter. C’est une forme d’espionnage industriel, parfaitement légal grâce aux lois américaines.
Vous dites que ce modèle s’est construit grâce à la commande publique américaine. Peut-on faire de même en France ?
On le devrait ! Les géants américains ont été boostés par des politiques industrielles très claires. En France, nous n’avons ni obligation, ni politique incitative pour favoriser l’achat public local. Résultat : 85 à 90 % de la commande publique informatique va à des entreprises américaines. Nous avons en France les solutions, les compétences, les talents. Il ne manque que la volonté politique.
Sur le même sujet




