Crise du logement : les élus locaux interpellent l’Etat

Philippe Pottiée-Sperry
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Crise du logement : les élus locaux interpellent l’Etat

Face à la crise du logement qui continue de s’aggraver, les associations d’élus locaux tirent la sonnette d’alarme. Elles pointent l’inaction du gouvernement qui « regarde ailleurs ». En espérant que les conclusions du CNR Logement, présentées le 5 juin, permettront d’avancer face à l’urgence de construire.

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Logements trop chers, manque de logements sociaux, chute des permis de construire, taux d'intérêt en hausse, pouvoir d'achat des ménages en berne aggravé par l’inflation, flambée des prix des matériaux… La crise du logement s’amplifie et tous les acteurs s’alarment. Les concertations de multiplient mais sans aboutir. De plus, l’Etat a reporté la présentation des conclusions du CNR (Conseil national de la refondation) Logement, initialement prévue le 9 mai, au 5 juin prochain. Sans explication. 

Front commun
Dans ce contexte pour le moins défavorable, les élus locaux tirent la sonnette d’alarme après la lettre ouverte à Emmanuel Macron, publiée le 15 mai, par plusieurs fédérations de professionnels du logement en faveur de mesures fortes pour relancer le marché immobilier. France urbaine avait prévu de tenir une conférence de presse sur la crise du logement, le 25 mai. Finalement, quatre autres associations l’ont rejointes, histoire de peser plus pour interpeller l’Etat en représentant tous les niveaux de territoires et les différentes couleurs politiques : France urbaine, AMF, APVF (Association des petites villes de France), AMIF (Association des maires d’Ile-de-France) et Intercommunalités de France. 

« L’urgence d’agir »
« Face à la crise du logement, il faut agir vite ! Avec mes collègues, nous avons alerté d'une même voix l'État sur cette situation intenable », lance Nathalie Appéré, secrétaire générale de France urbaine, maire de Rennes et présidente de Rennes Métropole. D’autant que la situation risque encore de s’aggraver. « Les problèmes rencontrés aujourd'hui ne sont que les prémices d'une crise plus grave qui nous attend dans trois ou quatre ans. On ne rattrapera pas le retard pris ces dernières années d'un coup de baguette magique », affirme ainsi Jean-Philippe Dugoin-Clément, premier vice-président de l’AMIF et maire de Mennecy (91).
Une crainte partagée par Thierry Repentin, secrétaire général adjoint de l’AMF et maire de Chambéry (73), qui estime que cela rend « encore plus indispensable de prendre au plus vite des mesures d’urgence ». 

« Le gouvernement regarde ailleurs »
« Il existe une très forte inquiétude sur cette crise du logement dans laquelle le pays s’enfonce jour après jour et qui frappe en premier lieu les plus précaires, affirme Nathalie Appéré. Malgré les consultations diverses, nous avons le sentiment que le gouvernement regarde ailleurs ». Elle cite le cas de sa ville confrontée à la situation inédite de 26 000 demandeurs de logements sociaux : « de 18 mois d’attente en moyenne, nous sommes passés à trois ans ! Cela accélère la fragilité des familles ». Face à la baisse des permis de construire, « faire porter le chapeau aux maires, c’est quand même sacrément gonflé », s’agace-t-elle. 
« Les propositions et les leviers d’action sont connus, il n’est plus possible d’attendre pour prendre des mesures d’urgence », estime la maire de Rennes. Et d’appeler « le gouvernement à se mobiliser » : « quatre millions de mal logés, des classes moyennes et populaires qui ont de plus en plus de mal à se loger, des élus de toutes sensibilités alertent. Il est urgent d’agir ». 

Soutenir les maires bâtisseurs
Maire de Boussy-Saint-Antoine (91) et vice-président de l’APVF, Romain Colas insiste sur la nature « globale » de la crise du logement qui touche tous les échelons de collectivités. Il insiste sur « les effets pervers de la suppression de la taxe d’habitation sur la politique du logement en n’incitant pas à construire ». Et de pointer aussi « les injonctions contradictoires du ZAN » (zéro artificialisation nette). Romain Colas rappelle ici la récente étude du Sénat, selon laquelle 75% des maires jugent que les nouvelles obligations du ZAN vont baisser la production de logements. 
Souhaitant disposer d’outils permettant « un choc de l’offre », le vice-président de l’APVF défend plus de moyens pour les EPF (établissements publics fonciers) ou une forte augmentation du Fonds friches, contenu dans le Fonds vert, qui « est loin d’être suffisant ». Selon lui, « l’Etat doit soutenir les maires bâtisseurs ». « L’acte de construire est devenu aujourd’hui un risque politique », regrette Jean-Philippe Dugoin-Clément. 

Réformer la fiscalité foncière
Sur la même position, Thierry Repentin plaide pour « réhabiliter l’acte de construire » et « accompagner les communes qui construisent du logement et encore plus celles construisant du logement social ». Face aux nouvelles exigences réglementaires (ZAN, réglementation environnementale RE2020, interdiction progressive des passoires thermiques…), « auxquelles nous adhérons », il rappelle qu’elles sont « lourdes et parfois contradictoires » et « entrainent mécaniquement des surcoûts ». En conséquence, le secrétaire général adjoint de l’AMF défend « un nouveau modèle économique de l’acte de construire » avec une révision de la fiscalité. 
« Ce modèle doit être construit avec les maires et tenir compte de considérations locales comme la nécessaire adaptation des zonages », estime le secrétaire général adjoint de l’AMF. 
Pour augmenter la construction de logements, France urbaine plaide pour une réforme de la fiscalité foncière afin de « faire cesser la rétention des terrains constructibles ». Et d’estimer que l’objectif du ZAN « doit pouvoir respecter l’indispensable ambition écologique tout en répondant à la diversité des besoins en logements de nos concitoyens ».

Un soutien financier de l'Etat
Insistant sur le consensus des élus au sujet du logement, Nathalie Appéré dit son accord sur plus de décentralisation en la matière mais pas à n’importe quel prix. « Il s’agit d’une question de solidarité nationale et l’Etat a un rôle à jouer en étant prescripteur et régulateur », affirme la maire de Rennes. Comme ses collègues, elle demande donc un soutien financier de l'Etat. Parmi ses différentes propositions, France urbaine défend donc une décentralisation des politiques du logement « à la stricte condition que les moyens financiers soient garantis ». L'État conserverait notamment la politique de l’hébergement d’urgence, « en tant que garant de la solidarité nationale, de la cohésion sociale ».
« Il faut trouver une recette pérenne dans les dotations de fonctionnement pour financer les logements mais aussi les services publics qui doivent les accompagner », complète Jean-Philippe Dugoin-Clément. Le premier vice-président de l’AMIF juge « indispensable d’accompagner financièrement les maires qui développent la construction de logements et de leur apporter des garanties sur les ressources dont ils pourront disposer sur le long terme pour pouvoir accueillir dignement les nouveaux habitants ».

Renforcer les AOH
Jérôme Baloge, maire de Niort, président de la CA du Niortais et vice-président Habitat d’Intercommunalités de France, défend la position de son association en faveur de la montée en puissance des autorités organisatrices de l'habitat (AOH). Un statut créé par la loi « 3DS » en faveur des intercommunalités « Cet outil décentralisateur opérant a montré son efficacité », estime-t-il en demandant « la simplification et le renforcement » des AOH. 
Sur la même position, France urbaine propose d’élargir les compétences et responsabilités des collectivités reconnues AOH, notamment en matière de lutte contre la précarité énergétique et l’habitat indigne ou de régulation et maîtrise du foncier. En matière de rénovation énergétique, elle plaide pour « mieux articuler les guichets d’aides nationaux et locaux et donner davantage de marges de manœuvre aux élus locaux, face à la trop grande complexité de dispositifs constamment modifiés ».

Philippe Pottiée-Sperry
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