Crises énergétique et démocratique : le grand malaise des maires

Philippe Pottiée-Sperry
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Crises énergétique et démocratique : le grand malaise des maires

77% des maires inquiets de la flambée des prix de l’énergie, 50% préoccupés par la crise démocratique et la tension croissante entre citoyens. Le moral n’est pas au beau fixe ! Parmi les solutions, ils sont fortement demandeurs d’un renforcement des libertés locales avec plus d’autonomie en matière de compétences et de fiscalité.

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Une crise succède à l’autre. Après la gestion de la crise sanitaire, au centre des préoccupations des maires, lors de la précédente enquête réalisée par le CEVIPOF (Centre de recherches politiques de Sciences Po) et l’AMF en 2020, deux ans plus tard, c’est au tour de la crise énergétique amplifiée par la guerre en Ukraine de susciter de fortes incertitudes pour l’avenir des communes. 
Malgré le filet de sécurité et l’« amortisseur électricité », dispositifs mis en place par le gouvernement, les maires s’alarment des conséquences financières de la flambée de la facture énergétique, mettant même en péril l’équilibre budgétaire de plusieurs communes. 

Inquiétude financière et politique 
Pour rappel, une enquête récente de l’AMF et de la FNCCR (Fédération nationale des collectivités concédantes et régies) estime que les hausses des coûts de l’énergie oscilleraient entre 30% et 300%. Résultat : 35% des maires se déclarent très préoccupés par le renchérissement des prix de l’énergie et 42% préoccupés pour la gestion de leur commune, selon la 4ème enquête menée par le CEVIPOF et l’AMF (1). Si cette inquiétude est avant tout financière, elle est aussi politique dans les choix d’action publique à mettre en œuvre pour amortir ce surcoût. Malgré tout, seulement 18% des maires veulent augmenter les impôts. 

Réduction des dépenses publiques locales
Parmi les actions privilégiées, 90% des maires envisagent de réduire l’intensité ou l’amplitude horaire des éclairages publics, 86% à vouloir réduire le chauffage dans les installations sportives et 81% à prévoir de réduire le chauffage dans les bâtiments municipaux. 
Autre conséquence à moyen terme, les choix de dépenses publiques locales s’en trouvent affectées. Par exemple, plus d’un maire sur deux (54%) pense réduire les dépenses d’achat de fourniture et de prestations extérieures. Ils sont 40% à renoncer ou reporter les projets de recrutement de personnels et, enfin, 33% pensent diminuer les dépenses consacrées à la voirie.

Durcissement des opinions politiques 
Autre source forte de préoccupation, le contexte démocratique du pays. Quelques mois après l’élection présidentielle qui a vu Marine Le Pen arriver en tête dans plus de communes qu’Emmanuel Macron (20 462 communes contre 11 624), près d’un maire sur deux observe un durcissement des opinions politiques. La polarisation de l’espace politique en trois blocs (extrême-gauche, bloc central et extrême-droite) débouche sur une plus grande difficulté des citoyens aux opinions opposées à discuter entre eux. Un maire sur deux l’observe dans sa commune et un maire sur quatre considère que les citoyens ont de plus en plus de difficultés à dialoguer. Dans ce contexte tendu, 83% d’entre eux sont inquiets de la progression de l’abstention électorale lors des dernières élections. 
Ce durcissement, sans être la seule explication, va de pair avec le maintien à des niveaux élevés de violences physiques ou verbales envers les élus. 63% des maires (contre 53% en 2020) déclarent ainsi avoir été victimes d’actes d’incivilités (impolitesse, agressivité…). La même proportion évoque des menaces verbales ou écrites.

Forte demande de décentralisation
Sur le terrain des relations entre les communes et l’État, le président de la République a récemment affirmé sa volonté d’ouvrir un nouveau chapitre de la décentralisation. Il s’agit là d’une forte attente des maires avec près de 75% d’entre eux qui souhaitent un renforcement des libertés locales par une autonomie plus forte en matière de compétences et de fiscalité. 
Dans le détail, 78% des maires considèrent que les décisions politiques locales doivent être différentes au niveau de chaque territoire au nom de l’efficacité (contre 10% souhaitant des décisions locales uniformes sur tout le territoire au nom de l’égalité). 

Plus de libertés locales et d’autonomie financière
L’aspiration à plus de décentralisation se justifie par deux principes clés de l’action publique locale : l’efficacité et la responsabilité. En rapprochant les décisions publiques locales des besoins des citoyens, selon les spécificités des territoires, les maires expriment une forte demande de libertés locales et d’autonomie financière.
Dans leur diagnostic, 56 % d’entre eux jugent que l’État doit complétement renoncer aux compétences qu’il a décentralisées et 61% continuent de constater un trop grand nombre de doublons entre les services de l’État et ceux des collectivités. Un jugement sévère qui rejoint celui du rapport d’information sénatorial, publié en septembre dernier, où les sénateurs Agnès Canayer et Eric Kerrouche, affirmaient : « 75,2 % des élus locaux estiment que le service public de l’État s’est dégradé sur leur territoire » et « 44 % des préfets et sous-préfets partagent ce jugement ».

(1) Enquête réalisée en ligne par le CEVIPOF entre le 7 octobre et le 8 novembre 2022, et envoyée auprès de 34 950 maires. Le taux de réponse s’établit à 10,5% (3696 réponses complètes) et 13,5% si l’on tient compte des réponses incomplètes (4654). La représentativité de l’enquête est assurée par une proportion équivalente de répondants dans chacune des strates de communes.

Philippe Pottiée-Sperry
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