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Déserts médicaux : la solution de la délégation des tâches aux professionnels de santé

Philippe Pottiée-Sperry
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Déserts médicaux : la solution de la délégation des tâches aux professionnels de santé

Selon deux enquêtes, les Français comme les infirmiers sont largement favorables au développement du partage des actes de soins entre les médecins traitants et les autres professionnels de santé (infirmiers, pharmaciens, kinés...). Une évolution des mentalités face à l’aggravation du contexte de désertification médicale.

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Les difficultés d’accès aux soins s’accroissent sur tout le territoire, touchant à la fois les communes rurales mais aussi les zones périurbaines et les grandes villes. Les chiffres sont alarmants : 87% du territoire en désert médical et six millions de Français sans médecin traitant, dont 600 000 en ALD (affection longue durée). La levée du numerus clausus mettra des années pour donner des effets sachant qu’il faut dix ans pour former un médecin ! 
« Il n’y a pas de solution miracle unique aux déserts médicaux », reconnaît François Braun, le ministre de la Santé et de la Prévention. Il l’a encore répété lors du dernier Forum Santé du congrès des maires, le 23 novembre. Parmi les solutions mises en place, où les élus locaux jouent un rôle de plus en plus important, figure le gain de temps médical. Cela se traduit notamment par les assistants médicaux (encore trop peu nombreux) permettant aux médecins de ne plus s’occuper des tâches administratives (jusqu’à 10% de temps médical gagné). 

L’urgence d’une réforme
Autre piste importante : la délégation des tâches vis-à-vis des autres professionnels de santé. A ce sujet, l’Ordre national des infirmiers (ONI) vient de réaliser un sondage très instructif avec OpinionWay (1), concernant l’opinion des Français aux principes de partage de compétences en l’absence de médecins traitants. De plus, l’ONI a interrogé près de 50 000 infirmiers sur leur perception de la situation et les solutions à apporter. 
Les deux enquêtes aboutissent à des constats communs sur la gravité de la situation ou le soutien à la délégation de tâches. « Je suis frappé par les points de convergence entre ces deux populations », constate Patrick Chamborédon, le président de l’ONI mais aussi du Comité de liaison des institutions ordinales (CLIO). Sa branche santé, qui regroupe les sept ordres des professionnels de santé, dont les médecins, les infirmiers, les kinés ou les pharmaciens, a remis à François Braun, le 12 octobre dernier, un texte commun sur les délégations de tâches, retenant le principe du transfert des compétences et du premier recours.

Forte inquiétude des Français
Le sondage fait apparaître une vraie inquiétude des Français sur l’accès aux soins. 87% pensent que les difficultés d’accès aux professionnels de santé peuvent mettre en danger leur santé ou celle de leurs proches. De plus, 89% sont inquiets pour eux et leurs proches à l’idée que l’offre de soins se dégrade à l’avenir. 
Par ailleurs, 81% jugent de plus en plus difficile d’obtenir un rendez-vous avec un professionnel de santé en cabinet et en examens et 79% d’être pris en charge rapidement par un service d’urgence en cas de nécessité. 

Accord massif sur la délégation de tâches
Face à cette situation, pas moins de 90% des Français de disent favorables, dans les déserts médicaux, quand le patient ne peut accéder à un médecin traitant, à permettre à d’autres professionnels de santé que le médecin traitant de prendre en charge et orienter un patient. 82% sont ainsi prêts à pris en charge par ces professionnels (infirmiers, pharmaciens, kinés…). 
De plus, 89% sont d’accord pour développer le partage de soins entre les médecins traitants et les autres professionnels de santé dans l’intérêt des patients. 

Confiance forte envers les infirmiers
Considérant à 95% que les infirmiers sont des acteurs de santé de proximité indispensables dans les territoires, et à 94% qu’ils sont compétents, ils sont largement favorables à ce qu’ils exercent de nouvelles missions, dès lors que le médecin traitant est informé. Dans le détail des actes de soin au quotidien qui pourraient être concernés : la prescription d’antidouleurs (accord de 84% des Français), le renouvellement d’ordonnances pour des ALD (81%), l’établissement de certificats d’aptitude à la pratique sportive (78%)…
Même soutien pour la prescription d’examens complémentaires : radio en cas de (suspicion de) fracture (accord de 88%), bilan sanguin (88%), échographie pour une femme enceinte (85%)…

Renforcer le rôle des élus locaux
Autre enseignement du sondage : 88% des Français veulent renforcer le rôle des élus locaux dans l'organisation du système de santé dans chaque territoire en collaboration avec les professionnels de santé. De même, 95% souhaitent que soient prises des mesures pour faciliter l'installation des professionnels de santé dans les régions où ils sont peu nombreux, en s’appuyant sur les élus locaux (aide à la recherche de locaux et de logement, places en crèche…). 

Demande de partage des compétences
Comme les Français, les infirmiers sont largement favorables aux principes de partage des compétences, en l’absence de médecin traitant, constate l’enquête réalisée par l’ONI (2). 84% sont ainsi favorables au développement du partage des actes de soins entre les médecins traitants et les autres professionnels de santé. De plus, 86% des infirmiers sont partisans d’autoriser d’autres professionnels à prendre en charge et orienter un patient quand il ne peut pas accéder à un médecin traitant.
Par ailleurs, 89% des infirmiers (contre 77% en mai 2022) affirment que leurs patients sont préoccupés par la difficulté d’accès aux établissements de soins et aux professionnels de santé, 88% (contre 79%) qu’il y a beaucoup de fermetures de lits et de services en établissements, 78% (contre 75%) que l’accès aux services d’urgence pour leurs patients est restreint ou difficile.

Réforme en profondeur du décret-socle
Selon les infirmiers, la solution passe par une réécriture en profondeur du décret-socle, qui encadre les actes à exercer. 97% jugent urgent que le gouvernement tienne son engagement d’actualiser le décret qui encadre les compétences infirmières. 
Dans le détail, ils souhaitent le développement des compétences infirmières en matière de lutte contre les addictions (94%), davantage de responsabilité en matière de prévention et d’éducation thérapeutique sans prescription médicale (94% contre 70% en 2022), l’accès direct des patients aux infirmiers (92% contre 59%), le fait de conférer aux infirmiers la mission de coordination du parcours patient (88%)…
Conforté par les résultats de ces enquêtes, l’Ordre national des infirmiers appelle les professionnels de santé et les élus à se saisir de l’urgence, par la modification de la loi et la réécriture du décret infirmier. « Les patients l’attendent, les infirmiers y sont prêts ! Chaque jour de retard dans ces évolutions est un jour de perdu ! », lance Patrick Chamborédon, le président de l’ONI.


(1) Sondage OpinionWay réalisé du 16 au 17 novembre 2022 auprès d’un échantillon de 1003 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.

(2) Consultation réalisée du 18 au 22 novembre 2022 auprès de l’ensemble des infirmiers inscrits à l’Ordre national des infirmiers (49 434 infirmiers réponses). 

Philippe Pottiée-Sperry
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