EXCLUSIVITÉ : Entretien avec David Marti, Maire du Creusot, Président de la Communauté Urbaine Creusot-Montceau et Vice-président de Villes de France

Danièle Licata
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David Marti, Maire du Creusot, Président de la Communauté Urbaine Creusot-Montceau et Vice-président de Villes de France

La crise sanitaire et la guerre en Ukraine ont révélé notre grande dépendance à la Chine pour les médicaments, à la Russie pour l’énergie et l’urgence à recréer un tissu industriel. La France ne retrouvera pas de croissance durable sans une véritable réindustrialisation de son territoire. Un constat qui fait consensus depuis plus de vingt mais qui n’a pas empêché l'effroyable destruction du tissu industriel français. Cette fois, il y a urgence. « Mais pour David Marti, Maire du Creusot, Président de la Communauté Urbaine Creusot-Montceau et Vice-président de Villes de France, « pour réindustrialiser, il faut avant tout la volonté politique de mettre en œuvre une véritable stratégie gagnante ». Il est l'invité de Zepros Territorial.

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ZT : La relocalisation de l’industrie ne se heurte-t-elle pas, aujourd’hui, au mur de l’inflation et de la crise du pouvoir d’achat ? 


David Marti : En matière de réindustrialisation, la notion de prix élevés, ne se pose plus aujourd’hui. Car la guerre en Ukraine a révélé notre niveau de dépendance énergétique. Elle a fragilisé aussi notre sécurité alimentaire et industrielle. Depuis la crise sanitaire et son lot de pénuries, nous avons compris qu’il y a urgence à produire sur le territoire français, et quelques soient les coûts et donc le prix. Car avec les pénuries d’énergie, de médicaments, de composants électriques…. les Français ont réalisé que la fin de l’abondance a sonné, comme l’a indiqué d’ailleurs le Président de la République lors de son intervention en août 2022. La guerre en Ukraine et la crise climatique, nous contraignent à des choix alors que l’eau et les produits de technologie manquent déjà ou vont venir à manquer et que les prix de l’énergie fossile s’envolent. Les industriels ont compris depuis longtemps que les investissements en matière d’énergie propre sont la condition indispensable pour continuer de produire sans être tributaire de l’étranger.  D’ailleurs, notre pays, grâce au nucléaire et l’énergie solaire, a la capacité de produire propre et à moindre coûts. Des investissements qui, à terme, permettront de baisser les coûts de production et par ricochet de vente.

ZT : Comment avez-vous, au Creusot, recréé les conditions de la réindustrialisation ? Quels étaient au départ de ce processus ses atouts ?

DM : C’est avant tout la volonté politique qui a permis la réindustrialisation du bassin creusotin et du bassin industriel du Creusot, à une époque où personne ne voulait entendre parler d’industrie, et où les gouvernements successifs ont fait le pari d’une France de services, de culture et d’ingénierie. Dans la continuité de mes prédécesseurs, j’ai toujours été convaincu que l’on ne peut être un grand pays sans industrie. Et nous avons prouvé qu’il est possible de réindustrialiser un territoire, parce qu’au-delà de notre détermination, nous avons créé les conditions d’une réindustrialisation réussie. D’abord, nous avons réhabilité les bâtiments industriels déjà existants, c’est un atout pour un industriel qui souhaite s’installer ; ensuite nous avons créé, sur le bassin industriel, des filières de formation pour garantir la reconversion d’ouvriers dont la qualité était reconnue. Nous avons créé une antenne universitaire, la première de l'université de Bourgogne nous avons créé un IUT, un des premiers en France spécialisé dans le génie physique, génie électrique et génie mécanique. Ce sont greffées ensuite d’autres formations très spécialisées. En parallèle, nous avons investi dans la recherche et l’innovation en favorisant les partenariats publics-privés, pour qu’émergent des industries de niches et à haute valeur ajoutée. C’est ce maillage d’industries de haute technologie à taille humaine, associées à des laboratoires et des bureaux d’études, qui ont permis de recréer les conditions d’une réindustrialisation réussie. C’est ainsi que l’industrie Snecma devenue Safran est venue créer une unité de production de moteurs d'avions, puis d’autres groupes français et internationaux lui ont emboité le pas. Aujourd’hui, nous sommes un territoire d’excellence, avec Général Electric qui fabrique des turbines ou des compresseurs sur mesure, ArcelorMittal des aciers spéciaux dont ils sont les seuls quasiment au monde à pouvoir fabriquer grâce à leur laboratoire de recherche…. Et les exemples sont encore nombreux. Aujourd’hui, nous pouvons sereinement nous projeter dans l'avenir.  Et puis enfin, je citerai deux autres atouts : la gare TDG, un déterminant pour lequel mes prédécesseurs se sont battus, et l’Armée, un de nos principaux clients qui nous permet de surmonter les cycles bas.  

ZT : La transition écologique est un atout supplémentaire pour le territoire ?

DM : Bien sûr, mais les industriels implantés sur le territoire ont pris très tôt conscience de la nécessité de protéger l’environnement alors même que l’on ne parlait pas encore d’urgence climatique. Aujourd’hui, il est vrai que les aides, régionales, nationales dans le cadre de France 2030 ou de Territoires d'industries, ou communautaires encouragent d’autant plus les industriels à accélérer la transition. Sans compter que la politique RSE que mènent les entreprises est devenue un véritable levier d’attractivité des jeunes talents aussi important que le salaire. Et notre territoire a besoin de talents.

ZT : Quels sont les freins à la réindustrialisation que vous rencontrez ?

La technocratie. Il a fallu faire preuve d’une très grande détermination pour affronter des fanatiques, voire des intégristes environnementaux au sein des services de l’État ou de la Région. Pourtant, on peut œuvrer à l’implantation d’industries tout en respectant l’environnement, en créant par exemple des zones de compensation à l’identique. C’est ce que nous faisons. Par ailleurs, nous nous sommes engagés sur la rénovation énergétique des bâtiments publics et du parc des logements sociaux, nous subventionnons la pratique du vélo électrique. Nous, ce que l’on veut, c’est protéger à la fois l’environnement et développer l’activité dans une démarche 100 % inclusive. 
L’autre frein, qui est notre point faible d’ailleurs, c’est le logement. Certes, en matière de logements sociaux, nous nous sommes bien dotés et la réhabilitation que nous avons engagée il y a plusieurs décennies, tire à sa fin. En revanche, pour attirer des salariés qualifiés ou des ingénieurs, il faut pouvoir offrir un parc de logements privés de qualité. Malheureusement, le bâti existant a vieilli et n’est plus adapté aux critères d’aujourd’hui. En matière de construction neuve, nous sommes contraints par le PLUi, et il nous faut faire des acquisitions de requalification, or tout ce processus prend du temps. C’est pourquoi nous avons actionné plusieurs leviers : 2 OPAH, une démarche BIMBY (Build in my backyard), le traitement d’ilots urbains dégradés en centre-ville, la mise à disposition d’un foncier idéalement situé après démolition d’un ancien lycée pour des projets immobiliers neufs.

ZT : Pensez-vous que les programmes nationaux sont des leviers suffisants et bien ciblés pour accélérer la réindustrialisation ?

Tous les programmes comme Territoire d'industrie ou les Fonds verts sont utiles. Bien ciblés et suffisants, je ne suis pas certain. Avec le Fond vert, par exemple, on a l'impression que le Gouvernement crée un nouveau dispositif doté de fonds supplémentaires. Pourtant, ce sont les mêmes fonds qui prennent une autre nomination avec des critères d’éligibilité aux subventions, différents. On finit par plus vraiment suivre. Cela dit, on ne peut pas négliger que ces financements aident les industriels à produire mieux et plus propre. Pour autant, il faut aller plus loin, car si l’on veut faire de la France un grand pays d’industries et lui permettre de rattraper le retard pris vis-à-vis de ses voisins européens comme l’Italie, l’Allemagne ou même l’Espagne, il faut créer des leviers plus puissants. Car dans ces pays voisins, la concrétisation d’un projet industriel ne prend que quelques mois alors qu’en France on compte en années. En d’autres termes, il faut simplifier au risque de voir les industriels étrangers s’installer ailleurs qu’en France. 
 

Danièle Licata
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