Mise en place des ZFE : un rejet massif des Français

Philippe Pottiée-Sperry
Image
Mise en place des ZFE : un rejet massif des Français

Selon une consultation du Sénat, pas moins de 86% des particuliers et 79% des professionnels sont opposés à la mise en place des zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m). Seulement 8% des habitants de communes rurales y sont favorables. La mission sénatoriale sur les ZFE-m tiendra compte de ces résultats dans son rapport qu’elle doit remettre mi-juin.

Partager sur

Le sujet très sensible des zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m) cristallise l’inquiétude voire la colère des professionnels, des habitants (quand ils sont au courant) et des élus locaux. En ligne de mire : un dispositif hyper-complexe, avec un accompagnement de l’Etat jugé insuffisant. Les restrictions progressives de circulation risquent de transformer les ZFE en zones d’exclusion des plus précaires et des ruraux. 
Depuis plusieurs mois, les initiatives se multiplient pour tenter d’éteindre l’incendie. Le gouvernement a lancé une concertation avec toutes les parties prenantes autour de plusieurs groupes de travail (harmonisation des dispositifs, acceptabilité sociale et territoriale, logistique…). Les conclusions doivent être rendues d’ici cet été. 

« Une bombe sociale à retardement »
De son côté, le Sénat a lancé le 8 mars, une mission d’information sur l’acceptabilité des ZFE-m. Rappelant ses mises en garde sur le dispositif dès l’examen, en juillet 2021, de la future loi « Climat », elle pointe le manque de communication et de pédagogie sur la mesure, l’insuffisance de l’offre alternative aux véhicules thermiques, le risque de creusement des inégalités sociales et territoriales, l’absence de moyens de contrôle. « Autant d’angles morts qui cristallisent les tensions et font de cette mesure une "bombe sociale à retardement" », prévient la mission sénatoriale. 
Pour prendre le pouls des Français, elle a mené, du 17 avril au 14 mai, une consultation en ligne auprès des particuliers et des professionnels. Elle a recueilli pas moins de 51 346 réponses complètes, soit un record inédit pour ce type de consultation (le précédent record était de 23 000 réponses sur le sujet des 80 km/h). Elles proviennent surtout des particuliers (93% des réponses contre 7% des professionnels). 48% des répondants particuliers habitent dans une métropole et 52% dans une commune péri-urbaine ou rurale. 

Une forte opposition
Le rejet des ZFE-m est sans appel : 86% des particuliers (79% des professionnels) se disent opposés au déploiement des ZFE-m dont 69% sont « tout à fait opposés ». 
« La forte participation et l’ampleur du rejet démontrent les fortes inquiétudes sur le déploiement des ZFE-m », a constaté Philippe Tabarot, rapporteur de la mission et sénateur (LR) des Alpes-Maritimes, le 25 mai, lors de la présentation des résultats. Tout en précisant bien qu’il ne s’agit pas d’un sondage représentatif de la population mais d’une consultation. Il rappelle également que le dispositif créé par la loi « LOM » de 2019 vise avant tout à améliorer la qualité de l’air, qui est « un impératif de santé publique compte tenu des plus de 40 000 morts par an et des trois condamnations de l’Etat ». 

Fractures territoriales
Plus un répondant réside loin du centre de l’agglomération, plus il est défavorable à la mise en place de la ZFE-m. Ainsi, seulement 8% des répondants ruraux (et 12% de ceux des communes péri-urbaines) sont favorables au dispositif contre 23% de ceux résidant au centre-ville de la métropole, ce qui reste tout de même très minoritaire ! Dans les commentaires remontés lors de la consultation, les répondants qualifient notamment les ZFE-m de mesures « anti-banlieusardes » ou « anti-provinciales ». 
Par ailleurs, les étudiants (28%) et les cadres (25%) sont plus favorables au dispositif que la moyenne (14 %). En revanche, les artisans et commerçants (15%), les employés (11 %), les retraités (7%) et les ouvriers (4 %) le sont beaucoup moins. Ce constat n’empêche pas un rejet largement majoritaire du dispositif par l’ensemble des catégories socio-professionnelles.

Creusement des inégalités sociales
Dans les inquiétudes exprimées, certains commentaires évoquent clairement un risque de creusement des inégalités sociales : « il s’agit d’une mesure technocratique qui crée une rupture d’égalité d’accès au centre de ville selon que vous soyez aisé ou non », « c’est de l’exclusion sociale pure », « il y a une discrimination flagrante entre les différents citoyens ; il y a ceux qui ont les moyens de suivre la technologie requise et les autres » ; « un sentiment d’injustice, quand le travail est concentré en métropole mais insuffisamment rémunérateur pour avoir accès à l’acquisition d’un logement en métropole, mais aussi à un véhicule propre ».

Coût trop élevé des véhicules propres
La consultation souligne aussi les principaux obstacles à l’acceptabilité des ZFE-m. Arrive largement en tête le coût trop élevé des véhicules propres (77% et 58% des professionnels). 42% des répondants particuliers ont un véhicule classé Vignette Crit’air 3, 4, 5 ou non classé et pourraient, à terme, être concernés par les restrictions de circulation dans certaines ZFE. 75% disent ne pas disposer d’informations assez précises et, surtout, 83% (jusqu’à 93% des ruraux) estiment ne pas avoir d’alternative à la voiture individuelle. Conséquence : 83% n’envisagent pas de changer de véhicule du fait de la mise en place de la ZFE-m. « C’est un échec pour l’une des premières finalités du dispositif », constate Philippe Tabarot. Concernant les professionnels, 70% d’entre eux jugent insuffisantes les aides pour acquérir un véhicule propre. 
Dans les autres obstacles à l’acceptabilité figurent l’accessibilité insuffisante de la métropole depuis les zones péri-urbaines et rurales (51%), la mise en œuvre trop rapide des restrictions de circulation (47% et 36% des professionnels), le manque de pertinence du classement Crit’air (47% et 29%). L’insuffisance de l’offre de transports en commun n’arrive qu’en 5ème position (42%). 

Rapport remis mi-juin
Le rapport de la mission d’information sénatoriale doit être remis mi-juin. Attendant ce moment-là pour évoquer les propositions, Philippe Tabarot concède juste qu’il faudra « probablement un peu desserrer les délais » de la mise en place des ZFE-m. « Quelles que soient leurs couleurs politiques, les métropoles les plus volontaristes ont déjà été obligées de revenir sur le calendrier », constate-t-il. Le sénateur pointe « la désynchronisation entre le calendrier d’application et les mesures alternatives aux véhicules polluants ». 
S’agissant du casse-tête de la mise en œuvre du contrôle des mesures de restriction, suscitant souvent des inquiétudes voire l’opposition des collectivités (les maires de Toulouse ou de Nice ont dit ne pas vouloir donner instruction à leurs polices municipales de verbaliser les contrevenants, jugeant que c’est à l’Etat de le faire), Philippe Tabarot attend l’audition du ministre de l’Intérieur par la mission d’ici les prochains jours. Il reconnaît néanmoins « qu’en l’absence de contrôle, les ZFE-m risquent de ne pas servir à grand-chose car la pédagogie ne suffira pas ». Enfin, sur l’harmonisation des règles, chaque ZFE-m ayant une forte latitude de fonctionnement, « la question se pose », reconnaît-il. 

Philippe Pottiée-Sperry
Partager sur

Inscrivez-vous gratuitement à nos newsletters

S'inscrire