ZFE : l’inquiétude grandissante

Philippe Pottiée-Sperry
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ZFE : l’inquiétude grandissante

Professionnels, usagers, élus locaux, le calendrier d'application des zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m) suscite de plus en plus d'inquiétudes. Les élus tirent la sonnette d’alarme pour ne pas en faire des zones d’exclusion territoriale et sociale. Le gouvernement a lancé une concertation pour mieux coordonner la mise en place des ZFE-m et accompagner les collectivités.

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Le sujet ne cesse de monter avec une inquiétude grandissante sur la perspective des zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m). Elles ont été créées par la loi « LOM » de 2019 et renforcées par la loi « Climat » de 2021, ayant fixé un cadre juridique et des obligations. Leur objectif : interdire progressivement les véhicules les plus polluants dans les centres urbains.
Il faut rappeler le contexte. Chaque année, la pollution de l’air par les particules fines occasionne 40 000 décès, selon Santé publique France. Dans les grandes agglomérations, les transports génèrent plus de la moitié des émissions d’oxydes d’azote. Le nouveau cadre légal vise donc à améliorer la qualité de l’air mais ce sont les agglos qui définissent le périmètre et la réglementation de la ZFE-m. 

43 grandes agglos concernées
Aujourd’hui, les ZFE-m sont en cours de déploiement dans 11 métropoles. D’ici le 31 décembre 2024, 32 ZFE-m supplémentaires seront créés dans les agglos de plus de 150 000 habitants. Soit un choc à grand échelle pour les Français, en particulier pour les plus modestes comme ceux des zones péri-urbaines et rurales. Partout où elles commencent à être mises en œuvre, elles sont sources de vives inquiétudes et d’incompréhensions.
Constat : l’impact des ZFE-m reste encore très mal connu de la population. A cela s’ajoute un manque de lisibilité dû à de fortes différences de mise en œuvre d’un territoire à l’autre. De plus, les aides locales, lorsqu’elles existent, varient beaucoup. 

Une mission sénatoriale
Une mission menée par deux députés à l’automne dernier pointait déjà « des questions majeures d’acceptabilité et de justice sociale, qu’il faut anticiper dès à présent ». Les sénateurs s’y sont mis à leur tour en ayant lancé, le 8 mars, une mission « Flash » pour ne pas faire des ZFE « des zones à forte exclusion ». 
Cette mission sénatoriale pointe le manque de communication et de pédagogie sur la mesure, l’insuffisance de l’offre alternative aux véhicules thermiques, le risque de creusement des inégalités sociales voire de fractures territoriales, l’absence de moyens de contrôle. « Autant d’angles morts qui cristallisent les tensions et font de cette mesure une "bombe sociale à retardement" », estiment les sénateurs. Indépendamment de leur appartenance politique, de nombreux élus locaux et nationaux élèvent la voix et dénoncent la très faible acceptabilité de cette mesure.

Acceptabilité sociale
La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat rappelle ses mises en garde formulées dès l’examen du projet de loi « Climat ». Elle avait alors formulé plusieurs propositions pour accompagner sa mise en œuvre et garantir sa plus grande acceptabilité sans en amoindrir l’ambition : TVA à 5,5 % sur les transports collectifs, plus grande liberté dans la définition, au niveau de chaque territoire, du schéma de restriction de circulation… Seule la création d’un prêt à taux zéro pour l’acquisition de véhicules peu polluants avait été maintenue, dans une version expérimentale. 
« Nos mises en garde deviennent aujourd’hui réalité », s’alarme la commission sénatoriale qui entend aller à la rencontre des élus locaux, des riverains et professionnels concernés par la mesure, mais également des principaux acteurs de la décarbonation du transport routier. Au programme également l’étude d’autres modèles européens pour identifier « des propositions réalistes et équilibrées conciliant amélioration de la qualité de l’air dans nos agglomérations et acceptabilité sociale ».

Campagne nationale de communication
Le contexte actuel montre toute l’importance de faire beaucoup plus sur la communication et l’accompagnement aux personnes les plus défavorisées, sans oublier d’associer les communes périphériques, dont les habitants seront eux aussi fortement impactés. Le gouvernement a annoncé plusieurs mesures et lancé une concertation pour mieux coordonner la mise en place des ZFE-m et accompagner les collectivités.
Un webinaire d’information pour les élus locaux, organisé le 16 février dernier par l’AMF avec des représentants de l’Etat, a montré la diversité des questionnements. Edouard Manini, coordonnateur national pour le déploiement des ZFE-m, a indiqué qu’une campagne d’information et de communication nationale, dont l’élaboration associe les élus locaux, doit se tenir l’été prochain. Architecte-urbaniste en chef de l'Etat, Edouard Manini, en place depuis fin janvier, a travaillé en services déconcentrés et en collectivités. Il a également été conseiller auprès du maire et du président de la métropole de Strasbourg en charge notamment de ces sujets.

Fractures territoriales et sociales 
Les élus locaux alertent sur les risques de fracture territoriale entre zones urbaines, périurbaines et rurales. Risques également de fractures sociales pour les habitants ne pouvant pas se procurer un véhicule « propre » mais aussi pour une part de ceux des zones périphériques qui seraient interdits de circuler dans les grands centres urbains. Des dérogations sont possibles mais restent très encadrées. 
Dans ses demandes, l’AMF insiste sur la nécessité d’une concertation et d’une recherche d’équilibre entre les territoires. Cela passerait également par plus de souplesse et de liberté données aux collectivités. « Une des priorités est de parvenir à faire accepter les ZFE », affirme Sylvain Laval, coprésident de la commission Transports de l’AMF, maire de Saint-Martin-le-Vinoux et vice-président de la métropole de Grenoble. 

« Ecouter plus les maires »
« Il faut écouter plus les maires qui côtoient un peuple qui souffre beaucoup actuellement et s’inquiète des ZFE », a estimé, lors du webinaire organisé par l’AMF, Jean-Charles Moriconi, maire de Pollestres et vice-président de la communauté urbaine de Perpignan. Pour sa part, Dominique Gambier, maire de Déville-lès-Rouen, intégrée à la ZFE de la métropole de Rouen, dénonce « une démarche précipitée et rigide » Et de plaider pour « un moratoire sur la mise en place des ZFE sinon on va vers de très grandes difficultés ». Pour tenter de rassurer les élus, Chantal Derkenne de l’Ademe précise que « le calendrier des restrictions, selon les vignettes Crit’air, ne n’applique qu’aux collectivités dépassant les seuils de pollution ». 
A noter que l’Ademe a publié un guide pour aider les élus à élaborer et mettre une ZFE-m.

Des groupes de travail jusqu’en juin 
Face aux inquiétudes, Édouard Manini confirme la volonté du gouvernement « d’écouter et d’entendre l’ensemble des parties prenantes, dont les représentants de collectivités, et de parvenir à un dispositif si nécessaire ajusté en lien avec le comité de concertation, les élus et les acteurs économiques et sociaux ». Après le premier Comité ministériel sur les ZFE-m, organisé par le gouvernement fin octobre, un comité de concertation doit débuter ses travaux courant mars avec plusieurs groupes de travail. Au programme : l’harmonisation des dispositifs, l’acceptabilité sociale et territoriale, la logistique…. 
Ils réunissent des représentants des collectivités, des associations, des entreprises et des artisans, des acteurs du transport routier ou de l’Etat. Ces travaux, avec des points d’étape régulier, doivent rendre leurs conclusions d’ici cet été. Objectif : formuler des propositions d’adaptation concrètes pour accélérer l’amélioration de la qualité de l’air et préciser les aides comme les types d’accompagnement en faveur des collectivités. « L’objet du comité de concertation est de savoir si les dispositifs existants doivent être ajustés », précise le coordonnateur national pour le déploiement des ZFE-m.

Une enveloppe du Fonds vert fléchée sur les ZFE
La réunion de lancement du comité de concertation s’est tenue le 12 janvier. Christophe Béchu, le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, a indiqué que le Fond vert permettrait par exemple aux collectivités de financer des parkings relais ou des panneaux de signalisation. Un autre volet de mesures concerne le renforcement des aides aux habitants des ZFE-m à se doter d’un véhicule « propre ». 
Edouard Manini insiste sur l’enveloppe du Fonds vert fléchée sur les ZFE (150 M€ pour financer des études d’analyse préalable, des évaluations ou des infrastructures). « Il y a beaucoup de projets subventionnables dans ce cadre qui peuvent atteindre un taux d’aide jusqu’à 80% », précise la Direction générale de l'Énergie et du Climat. Covoiturage, autopartage, transports collectifs, vélo, communication, études… « Le champ des aides est très large, ajoute Edouard Manini. « Les lignes budgétaires sont fongibles et à la main des préfets », met-il en avant, en conseillant aux élus de se rapprocher rapidement des préfectures.

Philippe Pottiée-Sperry
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