Persistance d’une forte fracture numérique

Philippe Pottiée-Sperry
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Numérique : persistance d’une forte fracture territoriale

Une étude de l’UFC-Que Choisir est sans appel : un Français sur cinq privé d’un « véritable » très haut débit et 45 départements touchés par la fracture numérique. L’association demande la création d’un « droit opposable à un accès à Internet de qualité ». Pour sa part, le Sénat va examiner, le 2 mai, une proposition de loi pour garantir la qualité des raccordements aux réseaux THD en fibre optique.

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Alors que le gouvernement se réjouit du « formidable succès » du plan France Très Haut Débit (THD), l’UFC-Que Choisir ne partage pas ce satisfecit. « Les résultats sont au rendez-vous », a encore déclaré Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de la Transition numérique et des Télécommunications, le 12 avril, devant la commission des Affaires économiques du Sénat. Selon lui, grâce au plan THD « la France est en tête en Europe sur le déploiement de la fibre », tout en reconnaissant « certains problèmes sur la qualité de la fibre ». 

« Déploiement anarchique de la fibre »
Dans son étude rendue publique le 18 avril, l’association de consommateurs montre que non seulement près de 12 millions de consommateurs n’ont toujours pas accès au « véritable » très haut débit, mais qu’en plus « le déploiement anarchique de la fibre optique ne résout pas la situation, voire aggrave le problème ». Elle demande ainsi à l’Etat de renforcer au plus vite la régulation du secteur et les droits des consommateurs, notamment en établissant « un droit opposable à un Internet de qualité pour tous ».
 
Dix ans du plan France THD
Le plan France Très Haut Débit, lancé en 2013, prévoyait que tous les Français puissent bénéficier d’un accès à Internet en THD (débit supérieur à 30 Mbit/s) à la fin 2022 et que 80% de la population soient éligibles à une connexion Internet en fibre optique. Si les chiffres officiels montrent que l’objectif a été atteint, l’UFC-Que Choisir oppose les siens : pour 17,2 % des foyers (11,8 millions de personnes) l’accès au THD n’est possible qu’en souscrivant des offres utilisant des technologies hertziennes (4G fixe, THD radio) ou satellitaires. « Or, il s’agit de technologies de second ordre par rapport aux offres utilisant les réseaux filaires traditionnels (fibre, VDSL, câble) », pointe l’association.

« Un très haut débit au rabais »
Son inventaire des offres du marché met montre des offres non filaires rationnées en termes de volume de données utilisables, voire ne proposent pas de services courants comme l’accès à la télévision. En outre, avec ces technologies, les débits peuvent s’effondrer en fonction des conditions météorologiques ou du nombre d’utilisateurs utilisant simultanément Internet. Les usages permis par le THD sont même parfois impossibles (visioconférences, jeux en ligne…), qui est plus de 50 fois plus élevée par le satellite que via la fibre optique. 
« Bref, ces offres ne sont qu’un très haut débit au rabais », dénonce l’UFC-Que Choisir. Et le comble, c’est qu’elles sont aussi les plus chères ! 

Les départements ruraux, premières victimes
Autre constat alarmant : la persistance d’une fracture numérique géographique. En ne prenant en compte que les technologies filaires, l’inéligibilité à une offre en THD frappe plus de 20 % des consommateurs dans 45 départements et touche même plus de la moitié des habitants dans trois départements : les Côtes-d’Armor (52,1 %), l’Ardèche (53,5 %) et Mayotte (60,9 %).
Sans surprise, les départements les plus ruraux constituent les principales victimes de cette fracture numérique. Près d’un tiers (32,6 %) des 8,8 millions d’habitants des communes de moins de 1000 habitants ne disposent pas d’une connexion à Internet en THD. Pire, 18,4 % des habitants de ces communes ne disposent même pas du « bon haut débit » (8 Mbit/s), promis en 2017 par le gouvernement, et 10,1 % sont privés d’un Internet de qualité ne serait-ce que minimale (3 Mbit/s).

De nombreux litiges
L’analyse de plus de 500 litiges traités en 2022 par les associations locales de l’UFC-Que Choisir montre de nombreux problèmes rencontrés par les consommateurs ayant souscrit un abonnement : rendez-vous de raccordement non honorés à plusieurs reprises, refus de réalisation de travaux de génie civil permettant un raccordement effectif, dégradations du bâti, malfaçons techniques rendant l’usage d’Internet impossible, débranchements sauvages d’autres raccordements…
« Les témoignages recueillis ne constituent que la partie émergée de l’iceberg des dysfonctionnements massifs des raccordements à la fibre optique », dénonce l’association. Même la fédération représentant la filière de l’infrastructure numérique estime qu’entre 15 % et 20 % des raccordements connaissent des problèmes techniques, lesquels sont connus depuis des années. « Leur persistance démontre la permissivité du cadre légal du déploiement de la fibre et une forme d’indifférence et de complaisance des pouvoirs publics », fustige l’UFC-Que Choisir. Et d’évoquer la double peine des consommateurs : ne pas avoir accès à Internet tout en devant s’acquitter de montants importants auprès des opérateurs (abonnement, frais de résiliation...).

Demande de création d’un droit opposable 
Dans ce contexte, l’UFC-Que Choisir « exige » des pouvoirs publics de créer « un droit opposable à un accès à Internet de qualité, basé à la fois sur la détermination par la loi de débits minimaux dont doivent bénéficier les consommateurs, et sur les indemnisations dont ils devraient bénéficier si ces débits ne sont pas atteints ». 
Autres revendications : permettre aux consommateurs de résilier sans frais leur abonnement en cas d’échec de raccordement ou d’interruption du service ; interdire le prélèvement des frais d’abonnement et instaurer des indemnités automatiques en cas d’interruption prolongée ou récurrente du service.

Une proposition de loi sur la qualité des raccordements
De son côté, le Sénat va examiner, le 2 mai, une proposition de loi pour garantir la qualité des raccordements aux réseaux THD en fibre optique et renforcer les droits des utilisateurs en cas d'interruption prolongée de l'accès à internet. Son auteur est le sénateur Patrick Chaize (LR), également président de l’Avicca (Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l’audiovisuel). 
Face à des nombreux problèmes, le texte prévoit deux axes d'amélioration. Concernant les droits des usagers, au-delà de cinq jours consécutifs d'interruption, le paiement de l'abonnement serait suspendu. Au-delà de 10 jours, le consommateur bénéficierait d'une indemnité qui ne pourrait être inférieure, par jour de retard, au cinquième du prix mensuel de l'abonnement. Plus technique, le second axe vise à apporter une réponse aux nombreux dysfonctionnements ou dégradations lors de la réalisation des raccordements : le responsable du réseau devra créer un guichet unique. S’y ajouterait une obligation de labellisation de tout intervenant chargé de réaliser un raccordement à la fibre et la remise à l'abonné d'un certificat attestant de la conformité des travaux réalisés.

Philippe Pottiée-Sperry
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