Présidentielle : plaidoyer des associations de maires pour ne pas oublier les quartiers

Philippe Pottiée-Sperry
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Contribution six associations de maires sur la politique de la ville

Jugeant le sujet de la politique de la ville oublié par les candidats, six associations de maires (AMF, France urbaine, Villes de France, APVF, Ville & Banlieue, AMIF) les ont interpellé en rédigeant une contribution commune. Se voulant constructive, elle décline pour chaque politique publique, ce qui marche, ce qu’il faut améliorer et là où il faut aller plus loin.

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À quelques jours de l’élection présidentielle, six associations de maires et de présidents d’agglomérations (AMF, France urbaine, Villes de France, Association des petites villes de France, Ville & Banlieue et Association des maires d’Ile-de-France) ont décidé de prendre la parole pour interpeller les candidats sur le sujet de la politique de la ville. Les élus regrettent l’absence du sujet dans la campagne, sauf sur le prisme de la sécurité et avec quelques rares propos souvent outranciers. S’y ajoute, selon eux, l’impensé que beaucoup d’argent aurait été dépensé pour les quartiers mais pour peu de résultats. En réaction, ils ont rédigé une contribution commune sur les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) – un exercice inédit – qu’elles ont présenté ensemble le 28 mars. Tout en constatant des progrès réels ces dernières années, souvent grâce à la mobilisation des maires, elles demandent désormais au prochain exécutif d’aller plus loin en renforçant les actions existantes et en initiant de nouvelles, avec une méthode qui associe étroitement les élus.

Une démarche constructive

La contribution, intitulée « Pour un pacte de confiance durable entre l’Etat et nos collectivités », veut alerter sur la situation des quartiers populaires et l’impératif d’y mener des politiques républicaines fortes, pour accompagner la relance et faire en sorte que nul ne soit laissé sur le bord du chemin. Se voulant transpartisane et constructive, elle reconnaît que des progrès réels ont été accomplis ces dernières années mais insiste pour passer à la vitesse supérieure, notamment à cause des conséquences économiques et sociales de la pandémie. Les élus appellent à « faire revivre la promesse d’égalité républicaine dans les quartiers, communes et agglomérations populaires et le droit de vivre en sécurité pour toutes et tous, tout en accompagnant les transitions écologiques, démographiques, économiques, numériques et sociales en cours ». 
La contribution décline pour chaque politique publique, ce qui marche, ce qu’il faut améliorer et là où il faut aller plus loin. Faisant un état des lieux factuel de la situation dans les quartiers, elle recense les mesures efficaces mises en place tout en formulant des propositions concrètes pour améliorer le quotidien des habitants.

« Stop aux appels projets »

Les maires proposent aussi un « pacte de confiance durable » entre l’Etat et les collectivités, avec des engagements réciproques sur les enjeux, la méthode, la gouvernance et plusieurs axes thématiques structurants tels que la réussite éducative, l’insertion et l’emploi, la sécurité, la santé ou encore le logement. Soulignant le besoin de moyens financiers, Philippe Rio, maire de Grigny (91) et vice-président de Ville & Banlieue, défend « un pacte de confiance durable entre l'Etat et les collectivités locales qui repose aussi sur un pacte budgétaire solide et stable ».
Autre demande : mettre fin au trop grand nombre d’appels à manifestation d’intérêt (AMI) et d’appels projets qui créent souvent de la concurrence entre les territoires. « Ils traduisent un manque de confiance de l’Etat sur le local », pointe Frédéric Leturque, maire d’Arras (62), président de la CU d’Arras et membre du conseil d’administration de Villes de France. « Stop à toutes ces procédures qui ne sont que des coûts et ne peuvent pas s’inscrire dans la durée », lance pour sa part Michel Bisson, maire de Lieussaint (77), président de la CA Grand Paris Sud et co-président de la commission « politique de la ville » de France urbaine, qui plaide pour une évolution du partenariat avec l’Etat. Et d’ajouter : « on peut accepter des appels à projets pour de nouveaux sujets à défricher mais pas pour des secteurs de droit commun ».

Evaluer puis généraliser les Cités éducatives

Estimant que l’éducation constitue l’une des premières priorités de quartiers qui comptent la population la plus jeune en France, Hélène Geoffroy, maire de Vaulx-en-Velin (69) et co-présidente de la commission « politique de la ville » de l’AMF, estime que « la réussite éducative souffre d’incohérences de la superposition des zonages ainsi que de l’instabilité des dispositifs ». En saluant l’initiative positive du dédoublement des classes en réseaux d'éducation prioritaire (REP et REP +), la contribution souhaite l’amplifier puis la généraliser. « Nous avons le même jugement positif sur le dispositif des Cités éducatives, que nous avions proposé, qu’il faut à présent évaluer pour ensuite le généraliser, indique Hélène Geoffroy. Il faut aussi poursuivre les dispositifs « Vacances apprenantes » et « Quartiers d’été », en pérennisant les financements pour les collectivités. Nous sommes inquiets sur la possibilité d’une troisième édition cette année ». 
Autres demandes formulées : faire converger les géographies de l’éducation prioritaire et de la politique de la ville, prendre en compte les écoles primaires dans la géographie de l’éducation prioritaire pour mettre fin aux « écoles orphelines », renforcer les liens entre le premier et le second degré pour favoriser les continuités éducatives, compenser les surcoûts induits par les dynamiques démographiques des communes populaires, continuer d’investir pour réduire l’illettrisme et l’illectronisme…

Avoir une présence policière adaptée

Sur le volet sécurité et prévention de la délinquance, Thierry Falconnet, maire de Chenôve (21) et président de Ville & Banlieue, insiste « pour sortir des postures et avoir une action publique plus efficace, avec une présence policière adaptée mais sans transfert insidieux de compétences de l’Etat sur les communes ». La contribution commune demande de conforter et d’élargir les politiques partenariales avec la Justice (protocole de justice de proximité) qui « fonctionnent bien », les actions de terrain pilotées par le trinôme maire/préfet/procureur de la République, par le ciblage d’actions sur certains secteurs en tension ou encore l’évaluation des résultats des actions menées à partir d’indicateurs partagés au cours de rencontres régulières entre le maire, le préfet et le procureur. Autres préconisations : élargir le dispositif « quartier de reconquête républicaine » (QRR) à beaucoup plus de communes ; rénover les modalités de fonctionnement des conseils locaux de sécurité (CLS) et des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) pour plus d’efficacité ; améliorer la formation des policiers municipaux, avec une organisation plus réactive, capable de monter en puissance et complétée par des modules adaptés aux QPV…

Clarifier qui fait quoi entre les polices

« Il faut également clarifier qui fait quoi entre la police nationale et les polices municipales », insiste Thierry Falconnet. Demande encore de clarification sur la part d’engagement de l’Etat par rapport aux collectivités dans les contrats de sécurité intégrée (CSI), « qui ne doivent pas conduire à une rupture d’égalité pour la sécurité des citoyens, ni conditionner le renforcement des effectifs de police ou de gendarmerie à un accroissement systématiques des forces de policiers municipaux ». « Nous avons besoin de visibilité sur le moyen et le long terme pour adapter nos politiques de sécurité et de prévention », précise le président de Ville & Banlieue. Il défend par ailleurs plus de partenariat avec les bailleurs sociaux pour « travailler sur les travaux d’intérêt général (TIG) et la politique de tranquillité résidentielle ».

Création de « contrats aidants »

En matière d’emploi et de formation, Frédéric Leturque plaide pour améliorer la coordination des acteurs de l’emploi et de l’insertion car « il faut mettre en place des formations qui correspondent beaucoup mieux aux réalités de nos bassins de vie ». Là encore il est demandé de revoir le partenariat avec l’Etat « en faisant plus confiance au terrain ». Et de citer l’exemple de la reprise d’activité pour les allocataires du RSA « qui pourra se faire en s’appuyant sur des leviers locaux et non pas sur des décisions nationales ». Les associations de maires demandent également la création de « contrats aidants » dans les territoires les plus fragiles comme vecteur d’insertion et de cohésion sociale pour les associations et communes fragiles. 
Sur le volet cohésion sociale et santé, les maires demandent plus de moyens financiers de la part de l’Etat sur la prise en charge des coûts de fonctionnement des structures d’accueil des jeunes enfants. Objectif : favoriser l’accès des publics fragiles tels que les familles monoparentales, les familles pauvres… Constatant une forte désertification médicale dans les quartiers, Patrice Leclerc, maire de Gennevilliers (92) et vice-président de l’AMIF, demande d’y « soutenir une offre de soins et de prévention-santé adaptée (santé bucco-dentaire, alimentation, obésité) mais aussi de renforcer la présence de spécialistes ».

Rénovation urbaine et politiques de peuplement

S’agissant du logement, la contribution défend plus de décentralisation ou l’élargissement des contenus de la délégation des aides à la pierre. Sur la rénovation urbaine, les élus souhaitent une évolution des modes de fonctionnement de l’ANRU pour mieux prendre en compte les spécificités locales. « Il faut également que les projets de rénovation urbaine s’appuient sur des politiques de peuplement afin de casser les ghettos et favoriser la mixité sociale », indique Romain Colas, maire de Boussy-Saint-Antoine (91) et vice-président de l’APVF. « Il est majeur de travailler et d’avancer sur ce sujet du peuplement des programmes durant le prochain quinquennat », insiste Hélène Geoffroy. 
Par ailleurs, Romain Colas plaide pour « bâtir des politiques différenciées et ne pas plaquer des dispositifs nationaux afin de mieux s’adapter aux réalités locales, pouvant être rendu possible grâce au renforcement du couple maire/préfet ». Jugeant intéressant le programme « Action cœur de ville », Frédéric Leturque suggère de s’en inspirer pour les QPV en créant un programme dédié « Action cœur de quartier » qui pourrait là aussi apporter « des réponses sur-mesure adaptées localement ».

Philippe Pottiée-Sperry
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