, mis à jour le 05/06/2025 à 14h01

« Quand l’État prescrit, les petites villes paient et s’épuisent »

Christophe Bouillon
Président de l'APVF
Maire de Barentin (Seine-Maritime) et président de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT)
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Christophe Bouillon, Président de l’Association des petites villes de France (APVF), maire de Barentin (Seine-Maritime) et président de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT)

Alors que les assises de l'Association des Petites Ville France (APVF) s'ouvrent les 12 et 13 juin sur le thème "Regarde les petites villes changer" à Saint-Rémy de Provence, Christophe Bouillon, Président de l’Association, maire de Barentin (Seine-Maritime) et président de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), dresse en exclusivité pour Zepros Territorial un bilan sans complaisance à moins d'un an des municipales. Il alerte sur la vulnérabilité des petites villes face aux défis budgétaires, climatiques et sociaux. Rencontre.

 

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Zepros territorial : Un an avant les municipales, avez-vous atteint les objectifs fixés en matière de planification écologique ? 

Christophe Bouillon : La génération d’élus 2020 a pleinement intégré les enjeux de la transition écologique. Ils ont signé les chartes, engagé des plans climat, lancé des rénovations thermiques. Mais les crises se sont succédé : Covid, inflation, crise énergétique, dette publique. Tous ces chocs ont retardé ou freiné les projets. Beaucoup d’actions ont été différées faute de financement ou d’ingénierie locale. Il suffit de voir combien de projets de production d’énergie renouvelable sont encore bloqués. On parle souvent de l’horizon 2030 ou 2032 dans les documents de planification, mais aujourd’hui, sans moyens supplémentaires, nous n’y arriverons pas. Il faut une augmentation significative des moyens et une réflexion à l’échelle européenne pour relancer massivement l’investissement dans la rénovation énergétique. Sinon, on ira droit dans le mur.

Quel regard portez-vous sur la génération des maires élus en 2020 ? 

Ce sont des élus d’un courage exceptionnel. Ils ont connu toutes les tempêtes : crise sanitaire mondiale, tensions budgétaires inédites, inflation galopante. Et malgré tout, ils ont tenu, au quotidien, dans leur commune, pour maintenir l’école ouverte, gérer les vaccinations, soutenir les commerces, préserver les services publics. Cette génération a démontré une résilience qu’on n’avait pas vue depuis des décennies. Je le dis souvent : ce sont des maires qui ont fait “le job” dans des conditions d’une rudesse extrême. Et pourtant, certains d’entre eux me disent aujourd’hui : « je ne repartirai pas en 2026 ». Non pas parce qu’ils sont démotivés, mais parce qu’ils sont épuisés.

Quels sont les grands défis pour 2026 ? 

Il y en a plusieurs, tous liés à des transitions profondes. La première, bien sûr, est la transition écologique. On le voit : les événements climatiques extrêmes se multiplient, les infrastructures ne tiennent plus, les coûts augmentent. Si on baisse la garde maintenant, on paiera plus tard un prix bien plus lourd. Il y a aussi la transition démographique. Le vieillissement de la population est une réalité mathématique. Dans de nombreuses petites villes, la part des plus de 65 ans explose. Cela suppose de repenser les services, l’habitat, les mobilités, l’offre médicale, les animations, etc. Troisième transition : le numérique. Ce n’est plus seulement une question de fibre ou de 5G. C’est une question d’inclusion. Trop de nos concitoyens, surtout les plus fragiles, sont à la marge. Il faut les accompagner. Et puis il y a l’enjeu du logement. Accueillir des entreprises, développer l’attractivité, c’est bien, mais comment loge-t-on les salariés ? Comment permet-on à des jeunes de rester dans leur ville ? Le logement est devenu une variable critique du développement territorial.

Vous avez évoqué une "guerre des mondes" entre rural et urbain... 

Ce que j’ai voulu dire, c’est qu’il existe une fracture territoriale mal comprise. Longtemps, les politiques publiques ont été orientées vers les grandes métropoles, comme si tout se jouait dans les grandes villes. Mais la majorité des Français ne vit pas dans ces métropoles. Ils vivent dans des villes moyennes, dans les bourgs, les petites villes. Et dans ces territoires, les contraintes sont réelles : 90 % des déplacements se font en voiture, non par choix mais par nécessité. Il n’y a pas ou peu d’alternatives. On parle beaucoup du vélo, du covoiturage, des transports express : mais dans la vraie vie, ça reste inaccessible pour nombre d’habitants. Ce que je demande, c’est qu’on ne caricature pas les « périphéries » et qu’on leur donne les moyens de vivre dignement, avec des services, de la mobilité et des équipements culturels.

Vous dites que les petites villes "ne rentrent jamais dans les cases"... 

Oui, elles sont un peu comme les classes moyennes : trop riches pour être aidées, trop pauvres pour être autonomes. Les dispositifs nationaux sont souvent pensés pour les extrêmes. Et pourtant, c’est dans les petites villes qu’on innove le plus, qu’on adapte les politiques publiques, qu’on tisse du lien. Elles ont cette agilité, cette proximité qui permet de faire vite et bien. Mais elles ont besoin d’être reconnues et davantage soutenues. Il ne suffit pas de belles paroles, il faut des moyens.

Concernant les budgets 2025 et 2026, et les efforts demandés aux élus vous n’avez pas hésité à manifester votre colère… 

Oui, parce qu’on demande toujours plus aux collectivités, tout en réduisant leurs marges de manœuvre. Ce n’est pas tenable. L’État prescrit, mais ne finance pas. Il faut un contrat de confiance, une trajectoire budgétaire claire, lisible, sécurisée. Sinon, on ira vers la fermeture de services, la réduction des investissements, la frustration des citoyens. Ce n’est pas une menace, c’est une réalité que vivent déjà de nombreuses communes.

Un maire sur deux dit aujourd’hui ne plus pouvoir s’engager sans y laisser sa santé. Ce constat vous inquiète ? 

C’est plus qu’une inquiétude. C’est un signal d’alerte majeur. L’étude de l’université de Montpellier sur la santé des maires est édifiante. Burn-out, troubles du sommeil, anxiété, isolement… Le mandat local peut être un puits d’épuisement. Et cela tient à plusieurs choses : la pression des administrés, l’empilement des normes, la crainte de la judiciarisation, et parfois même les menaces. Le maire est devenu le réceptacle de toutes les colères. Il faut revoir le statut de l’élu, renforcer les protections, recréer du respect et créer les conditions pour donner envie de s’engager dans la vie municipale.

Les petites villes sont-elles encore à l’abri de l’insécurité ? 

Non, elles ne le sont plus. On a longtemps cru que les violences urbaines, les trafics, les tensions sociales étaient l’apanage des grandes villes. Ce n’est plus le cas. Le narcotrafic s’est installé partout. Il y a aujourd’hui des points de deal dans des communes de 5 000 habitants. Mais les moyens policiers ne suivent pas. Les maires n’ont pas de pouvoir judiciaire, et leurs effectifs de police municipale sont souvent limités. Il faut une stratégie de sécurité à l’échelle des bassins de vie, avec l’appui de la gendarmerie, de la police nationale, et une meilleure coopération territoriale. On ne peut pas laisser les maires seuls face à cela.

Enfin, sur le ZAN, comment arbitrer entre écologie et attractivité ? 

Le ZAN (zéro artificialisation nette) est une nécessité écologique. Mais il a été mal expliqué, mal calibré. Il donne le sentiment d’être une injonction descendante, technocratique. Ce qu’on demande, c’est du dialogue. Que les élus puissent ajuster en fonction des besoins locaux. Que les projets utiles – logements, services publics, équipements économiques – ne soient pas bloqués. L’écologie, ce n’est pas la punition, c’est la transformation. Mais pour qu’elle réussisse, il faut qu’elle soit juste et territorialisée.
 

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