, mis à jour le 11/12/2025 à 16h11

ZAN : Si l’on ne change pas de logiciel, on ne tiendra pas les objectifs

Timothée Hubscher
Directeur de la Planification & Résilience des territoires
Groupe SCET
Image
" le ZAN n’est plus un concept, il est entré dans les documents et dans les arbitrages locaux "

Quatre ans après l’entrée en vigueur du zéro artificialisation nette (ZAN), le Groupe SCET publie le 4ᵉ Baromètre ZAN 2025 et un livre blanc, Objectif ZAN – De l’expérimentation à un nouveau modèle. Pour Timothée Hubscher, Directeur de la Planification & Résilience des territoires du Groupe, les collectivités se sont saisies du sujet, mais restent trop seules, sans outils fiscaux adaptés ni vision foncière de long terme. Il appelle à un véritable « réarmement » des politiques d’aménagement.

Partager sur

Vous publiez le 4ᵉ Baromètre ZAN. Quatre ans après la loi, à quoi ressemble le paysage territorial ?

Le premier enseignement, plutôt positif, c’est que les collectivités se sont mises au travail. La quasi-totalité a engagé la mise en compatibilité de sa stratégie territoriale avec la loi Climat et Résilience. Tout n’est pas bouclé, loin de là, mais le mouvement est massif : le ZAN n’est plus un concept, il est entré dans les documents et dans les arbitrages locaux. Le second enseignement, lui, est beaucoup plus inquiétant : seuls 28 % des acteurs de l’aménagement estiment disposer de l’expertise nécessaire pour piloter cette trajectoire. Cela signifie que plus des deux tiers se sentent démunis. Quatre ans après, c’est très faible. Si nous ne montons pas rapidement en compétence, nous n’aurons tout simplement pas les moyens d’être au rendez-vous de 2050, c’est-à-dire d’une France qui ne consomme plus de sols. Enfin, il y a un angle mort qui persiste : nous n’avons toujours pas les outils fiscaux et financiers pour rendre le ZAN pleinement opérationnel. Les débats budgétaires ne parlent quasiment jamais de sobriété foncière. On sent bien qu’il y a d’autres priorités perçues comme plus urgentes. Mais, de fait, le sujet ZAN n’est pas en haut de la pile.

Les collectivités qui se sont engagées tôt dans la démarche commencent-elles à en voir les bénéfices ?

Oui, et c’est un point important. Malgré un débat national très tendu, plus de la moitié des répondants déclarent aujourd’hui observer des retombées positives. Cela prouve que la sobriété foncière n’est pas qu’un texte contraignant : lorsqu’elle est anticipée et travaillée, elle peut produire de la qualité urbaine, de la revalorisation de friches, de la requalification de centralités.
Mais nous restons, pour l’instant, dans une logique d’expérimentation. Des territoires testent, inventent, créent des démonstrateurs. C’est tout le sens de notre livre blanc Objectif ZAN – De l’expérimentation à un nouveau modèle. La question centrale est là : comment basculer de cas exemplaires, ponctuels, à un nouveau modèle d’aménagement plus sobre, généralisable ? Aujourd’hui, la planification, les règles fiscales et les outils d’ingénierie ne sont pas encore alignés pour permettre ce changement d’échelle.

On demande aux élus de réindustrialiser, de construire des logements et, dans le même temps, de réduire de moitié la consommation foncière. Comment concilier ces injonctions ?

Elles ne sont pas impossibles à concilier, mais elles nécessitent un changement de méthode. Aujourd’hui, on fait un raccourci très fréquent : crise du logement = faute du ZAN. C’est factuellement faux. Ces trois dernières années, nous avons continué à consommer environ 20 000 hectares par an. Le rythme n’a pas été infléchi. On ne peut donc pas lire la crise actuelle uniquement à travers le prisme de la loi Climat et Résilience. En revanche, le ZAN révèle deux faiblesses structurelles : nous sommes trop dans l’opportunité et pas assez dans la planification et nous n’avons pas de stratégie foncière assumée au niveau des territoires. Tant qu’on laissera le développement urbain se faire au gré des occasions, de la disponibilité de telle parcelle ou du coût le plus bas, on n’y arrivera pas. La sobriété foncière oblige à se reposer la question de ce que l’on veut faire du foncier à 10, 15, 20 ans, et pas seulement à l’horizon du prochain permis de construire.

Vous dites que tout se joue sur la fiscalité. Pourquoi est-ce le nerf de la guerre du ZAN ?

Parce qu’aujourd’hui, il est toujours plus rentable d'artificialiser un terrain que de réinvestir une friche ou de densifier un tissu existant. Tant que cette équation ne sera pas corrigée, on demandera aux acteurs de faire l’inverse de ce que la fiscalité incite à faire. Les surcoûts sont connus : dépolluer une friche, démolir-reconstruire, réhabiliter du vacant, surélever un immeuble avec des matériaux légers… tout cela coûte plus cher que d’ouvrir un champ en périphérie. Si l’on veut privilégier ces solutions, il faut que les projets qui consomment du sol contribuent davantage à l’équilibre économique et que ceux qui réutilisent le foncier existant soient fiscalement encouragés. Concrètement, cela peut passer par une taxe d’aménagement majorée en extension et minorée en renouvellement urbain ou sur friches, par des mécanismes de péréquation territoriale, par des aides structurées au portage foncier de long terme. Aujourd’hui, nous avons une loi ambitieuse, mais un logiciel fiscal resté " artificialisantc". On ne peut plus dire qu’on ne le savait pas : cela fait plusieurs années que le Sénat, des instituts spécialisés et de nombreux praticiens le documentent.

Le ZAN risque-t-il d’accentuer les fractures entre métropoles et territoires ruraux ?

Le risque est réel. La règle nationale de –50 % entre 2021 et 2031 pose deux problèmes. D’abord, elle est uniforme alors que les situations locales sont extrêmement contrastées. Ensuite, elle entérine les pratiques passées. Celui qui a beaucoup consommé garde une marge ; celui qui n’a presque rien consommé se retrouve avec " 50 % de rien ", c’est-à-dire presque plus aucune capacité d’extension.
Dans certains territoires ruraux, réhabiliter un logement vacant coûte plus cher que le prix de vente du bien une fois rénové. Dans le même temps, l’extension est divisée par deux. Résultat : des communes ont le sentiment d’être mises sous cloche, sans modèle économique pour réinvestir leur parc bâti.
La sortie par le haut, c’est d’organiser des mécanismes de coopération et de péréquation entre territoires tendus et territoires détendus, de mutualiser les moyens, de travailler à l’échelle interterritoriale plutôt que commune par commune. Mais cela suppose d’assumer la sobriété foncière comme un véritable projet de territoire, pas seulement comme une contrainte réglementaire.

Votre livre blanc formule 13 recommandations. Quelles sont, selon vous, les plus structurantes ?

La première, c’est de retrouver une vision foncière de long terme. Chaque collectivité devrait pouvoir répondre à une question simple : quel usage je veux pour mon foncier dans 10 ou 20 ans, et avec quels partenaires ? Cela suppose d’organiser une stratégie foncière transversale – qui dépasse les silos habitat, économie, environnement, voirie – et de reconstruire des compétences qui ont parfois été perdues.
La deuxième, c’est de passer à des coopérations territoriales plus ambitieuses. On ne fera pas du ZAN tout seul dans son coin. Beaucoup d’intercommunalités rurales n’ont ni les moyens, ni le marché pour porter seules cette transition. Les régions pourraient jouer un rôle plus fort, comme on commence à le voir en Bretagne avec des outils de portage foncier de long terme.
Troisième bloc : massifier le renouvellement urbain. Cela veut dire travailler sur l’habitat ancien dégradé, la densification maîtrisée du tissu existant, la surélévation lorsque c’est pertinent, mais en évitant les “fausses bonnes idées”. Densifier sans repenser les réseaux, les équipements, la voirie, c’est créer d’autres problèmes. Là encore, le ZAN exige de la planification, pas du bricolage au coup par coup.
Et puis il y a tout le chantier de la fiscalité locale et nationale, qui peut déjà être actionnée en partie par les collectivités : valeurs locatives, modulation de la taxe d’aménagement, soutien ciblé aux projets de réinvestissement des secteurs déjà bâtis.

À la veille des municipales, le ZAN doit-il devenir un sujet de campagne ?

Très clairement, oui. Ce ne sera pas un sujet confortable, mais ce sera un sujet incontournable. Les futurs élus vont devoir gérer, pendant six ans, les conséquences d’un foncier plus rare et plus cher. S’ils ne s’en emparent pas maintenant, ils le subiront ensuite.
Notre message, avec ce baromètre et ce livre blanc, est double. D’abord, il est indispensable de faire de la sobriété foncière : c’est un enjeu de risques, de biodiversité, de carbone, de qualité de vie. Ensuite, il existe des voies de passage – à condition de mobiliser l’ingénierie, de revoir la fiscalité, de reconstruire une planification ambitieuse et de co-construire les stratégies avec les acteurs locaux.
En clair, si le ZAN reste perçu comme un carcan, nous échouerons. Si nous le transformons en levier pour repenser nos modèles d’aménagement, il peut devenir une formidable opportunité pour inventer les territoires de demain.
 

Danièle Licata, rédactrice en chef Zepros Territorial, décrypte enjeux publics et collectivités. Forte de 20 ans en presse économique, elle rend accessibles les sujets complexes avec passion et engagement.
Partager sur

Inscrivez-vous gratuitement à nos newsletters

S'inscrire