Crise sanitaire et économique : quelles relations Etat-collectivités ?
Innopolis Expo et ZePros Territorial ont organisé, le 23 février, leur 3ème table-ronde digitale, consacrée cette fois-ci à la crise sanitaire, économique et sociale et au rôle hier, aujourd’hui et demain des collectivités. Pour la revoir, 👉 c’est ici.
Les trois intervenants étaient : Xavier Albertini, vice-président de la région Grand Est, délégué à la Stratégie et la Prospective ; Christophe Bouillon, maire de Barentin (Seine-Maritime) et président de l’APVF (Association des petites villes de France) ; Romain Pasquier, directeur de recherche au CNRS et titulaire de Chaire "Territoires et mutations de l'action publique" (TMAP) à Sciences-Po Rennes.
« Une conflictualité forte Etat-collectivités »
Dès les premiers jours de la crise du Covid-19, les collectivités ont joué un rôle important, parfois aux côtés des services de l’Etat : urgence sanitaire (masques, tests, stratégie de vaccination…), conséquences économiques et sociales (aides aux PME/TPE, commerces, artisans, aides aux personnes âgées et aux publics fragiles…), maintien et adaptation des services publics locaux essentiels… Face à cette réactivité et cette agilité, Jacqueline Gourault, la ministre de la Cohésion des territoires, avait même salué la « capacité d’imagination géniale » des collectivités. Mais cette période a aussi montré « un Etat très vertical dans sa gestion de la crise, particulièrement en matière sanitaire », constate Romain Pasquier. Sévère, le chercheur estime que « la crise a mis l’Etat à nu, désarticulé entre de nombreuses agences et un fonctionnement interministériel en berne, tout cela souvent avec une gestion à vue ». Et d’ajouter que « la conflictualité entre l’Etat et les collectivités, récurrente, a été particulièrement forte durant la crise sanitaire montrant clairement que la territorialisation à la française ne fonctionne pas ».
« Un retour des territoires et d’une approche par l’humain »
« L’Etat apparaît de plus en plus pauvre en ingénierie, ajoute Xavier Albertini Beaucoup d’acteurs pensent l’organisation mais peu la développent ». Pour sa part, Christophe Bouillon estime qu’« il y a souvent eu l’application du principe de subsidiarité descendante vers les communes, avec un retour des territoires et d’une approche par l’humain car tout ne peut pas être géré par le numérique ». Constatant lui aussi la multiplicité des initiatives des collectivités, Romain Pasquier constate néanmoins qu’elles « sont souvent peu coordonnées entre elles, avec parfois une suractivité et une cacophonie, voire même une concurrence entre elles ». Le révélateur, selon lui, d’un « problème d’organisation entre les différents niveaux de collectivités ».
« Il n’y pas de ruissellement territorial »
Si le rôle des collectivités apparaît clé dans la relance, les élus regrettent un manque d’accompagnement de la part des services de l’Etat comme un manque de confiance. Sur la mise en place du plan de relance, le président de l’APVF juge « l’Etat loin des territoires ». Satisfait d’une enveloppe plus élevée de DSIL (dotation de soutien à l’investissement local), il regrette néanmoins que « tout soit concentré dans les mains du préfet de région qui décide tout seul » et se dit déçu de « l’absence d’un Etat partenaire ». Résultat : « il n’y pas de ruissellement territorial qui devrait être assuré par la commande publique », regrette-t-il. Christophe Bouillon pointe aussi une gestion trop centralisée qui ne s’appuie plus sur le couple maire/préfet comme cela avait été le cas pour la gestion du déconfinement en mai 2020. « Dans le Grand Est, nous veillons à garder des liens de proximité avec les élus locaux via surtout les intercommunalités », explique quant à lui Xavier Albertini, en évoquant notamment les Pactes territoriaux de relance et de transition écologique (nom des CRTE dans le Grand Est) qui veulent justement s’appuyer sur plus de proximité.
« La réforme de l’Etat doit faire partie du débat présidentiel de 2022 »
Pour préparer demain, les premières leçons de la crise confirment plus que jamais le besoin d’une nouvelle organisation des relations entre l’Etat et les collectivités. La solution pourrait passer par le projet de loi « 4D » (décentralisation, différenciation, déconcentration, décomplexification) qui devrait être présenté au conseil des ministres fin mars, début avril, puis examiné au Parlement, en premier lieu au Sénat. Pas convaincu que ce texte puisse être adopté avant la fin du quinquennat, Romain Pasquier plaide pour que le sujet de l’évolution du modèle institutionnel fasse partie des débats de la campagne présidentielle de 2022. « Ce débat est nécessaire compte tenu de la très faible confiance institutionnelle ». Pour sa part, Christophe Bouillon défend l’adoption du projet de loi « 4D » d’ici 2022 : « il ne faut pas perdre de temps, sinon ça sera trois ans perdus. L’expérience de la crise doit permettre d’avancer et de passer aux actes. Il s’agit d’achever enfin l’exercice de décentralisation, pas forcément pour une une grande loi mais pour un mode d’emploi ». Le concernant, Xavier Albertini estime que « loi 4D devrait également institutionnaliser le rôle des régions en matière sanitaire, notamment dans la gouvernance des ARS ».
Philippe Pottiée-Sperry
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