Emmanuel Macron laisse la banlieue sur sa faim

Philippe Pottiée-Sperry
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Dans sa tournée du grand débat national, Emmanuel Macron s’est arrêté, le 4 février, à Évry-Courcouronnes (Essonne), pour son cinquième déplacement, cette fois-ci en région Ile-de-France. Au programme : la politique de la ville.

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Etaient présents 150 maires et 150 responsables associatifs. Maire d’Évry-Courcouronnes et président de l'AMIF (Association des maires d’Ile-de-France), Stéphane Beaudet a alerté le chef de l’Etat, en préambule, sur « la lassitude et la détresse des élus locaux ».

Demande de plus de décentralisation

« Nous avons un sentiment d'usure. Celui de devoir sans cesse accompagner des territoires de plus en plus en difficulté. Nous sommes comme la salle d'attente d'un médecin qui ne désemplit pas », a-t-il lancé. Le président de l’AMIF s’est voulu néanmoins volontariste en évoquant le « formidable potentiel de la banlieue car si les territoires ont d'énormes difficultés sociales, ils possèdent aussi des atouts incroyable ». « Il faut positiver le message de la banlieue », a-t-il insisté. Sur un autre registre, à l’instar des autres associations d’élus locaux, Stéphane Beaudet souhaite que « l'acte II du quinquennat soit l'occasion pour le gouvernement d'engager une nouvelle étape de la décentralisation, un nouveau pacte de confiance avec les élus locaux ». Plusieurs autres élus présents ont également appelé le président de la République à leur laisser plus de marges de manoeuvre.

« Cour d'équité territoriale »

Pendant les six heures d'échanges, les élus ont balayé de nombreux sujets jusqu'alors absents des précédents débats. Le maire de Grigny, Philippe Rio, a estimé que la République avait « une dette envers les quartiers populaires ». « Nous ne demandons pas la charité mais la justice », a-t-il insisté. Évoquant « une profonde rupture d'égalité républicaine dans les quartiers populaires », il a repris l'expression d’« apartheid territorial » lancée il y a quelques années par Manuel Valls. L’élu soutient également la création d'une « cour d'équité territoriale » qui était l'une des mesures proposées par le rapport Borloo.Pour sa part, la maire de Gentilly, Patricia Tordjman, a déploré la baisse des moyens accordés à la politique de la ville, « alors que nous avons encore 45% de foyers fiscaux non imposables ».

Forte réduction des emplois aidés

Quant à Olivier Klein, maire de Clichy-sous-Bois mais aussi président de l’Anru (Agence nationale pour la rénovation urbaine), il a jugé la cohésion sociale « intimement liée à la vie associative ». Une vie associative pourtant « extrêmement fragilisée suite à la forte réduction des emplois aidés ». Comme d'autres élus, il a salué le dédoublement des classes de maternelles, engagé par le gouvernement : « les CP à 12 élèves, c'est fondamental » tout en souhaitant un élargissement du dispositif mais aussi des mesures spécifiques pour « les plus grands et les études supérieures ».

Appel pour « un plan banlieues »

Vincent Jeanbrun, maire de L'Haÿ-les-Roses, a appelé à la mise en place d'un plan « anti ghetto » pour la banlieue. « L’Anru est sous dotée aux regards des enjeux. Monsieur le Président, réunissez une poignée de maires capables de vous aider à bâtir le plan banlieues dont nous avons besoin », a-t-il lancé. En réponse, Emmanuel Macron s'est dit heureux de participer à cet échange « libre » et a salué le travail réalisé dans les quartiers. « Il y a ici une pâte humaine républicaine qui s'est construite parce que les problèmes s'y sont exprimés depuis longtemps, et effectivement, cela a permis de maintenir une sorte de cohésion sociale », a-t-il reconnu. « Le grand débat national concerne toute la Nation. Ce qui doit en sortir, ce sont des changements de méthodes profonds (...) une nouvelle manière de penser, de décider, de porter les politiques publiques ».

Déception de Ville & Banlieue

Plusieurs maires membres du conseil d'administration de l'association des maires Ville & Banlieue de France étaient présents au débat d’Evry-Courcouronnes. « Heureuse initiative pour faire connaître à la France entière les particularités de nos territoires, leurs difficultés et leurs potentiels », constate l’association tout en regrettant qu’il ne ressorte au final « pas grand-chose de cet événement ». Satisfaite de l’annonce par Emmanuel Macron d’un « grand plan » pour les petites associations agissant au quotidien, Ville & Banlieue reste sur sa faim pour le reste. Elle regrette que le président de la République ait dit qu'il était juste là « pour entendre [la] part de vérité [des élus et associations] » et qu'il n'entendait pas « répondre de manière systématique ». L’association cite ainsi l’intérêt ou la compréhension du chef de l’Etat sur l’utilité sociale des emplois aidés ou l’idée de créer une « cour d'équité territoriale » mais regrette qu’il ne soit pas aller plus loin. Dans un communiqué, Ville & Banlieue insiste donc sur « l’insuffisance des réponses présidentielles ». De plus, elle regrette l’absence d’annonces de soutien aux collectivités, « pourtant en première ligne pour le maintien des équilibres sociaux », en matière de dotations, de compensations d'exonérations d'impôts et taxes, de compensations des mesures imposées par l'État, d’exclusion des charges résultant des politiques d'État des contrats de ville, REP, ZSP, etc.
« N'annonçant aucun calendrier, aucune rectification budgétaire, aucune piste vers un déploiement des services publics, aucune perspective d'un plan global, le président de la République n'a manifesté ni ambition réelle, ni dynamique collective, ni stratégie volontaire », déplore Ville & Banlieue. Rappelant leur déception sur le non suivi du « rapport Borloo » par Emmanuel Macron en mai 2018, elle estime que « pareille méprisante désillusion ne peut se reproduire le 15 mars à l'issue du grand débat national ».Philippe Pottiée-Sperry
Philippe Pottiée-Sperry
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