Loi SRU : la Cour des comptes prône une « application différenciée »

Philippe Pottiée-Sperry
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La Cour des comptes a remis à la commission des finances du Sénat, le 10 mars, un rapport sur la mise en œuvre de l’article 55 de la loi SRU (solidarité et renouvellement urbains). Elle rappelle l’effet incitatif du dispositif sur la production de logements sociaux, mais aussi son inégale application sur le plan géographique et la complexité de ses modalités d’application.

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Selon le dernier bilan 2017-2019, 210 737 logements sociaux, soit plus de la moitié des logements construits en France, l’ont été dans les communes soumises à la loi SRU. Calculé au plan national, l’objectif triennal fixé a ainsi été atteint à hauteur de 107 %. La production globale de logements sociaux au sein des communes soumises recouvre cependant de grandes disparités entre les régions et, au sein des différentes régions, entre les communes, souligne la Cour des comptes. En région PACA, par exemple, 79 des 158 communes soumises n’ont pas atteint l’objectif quantitatif. Au sein des 1035 communes relevant du bilan triennal sur toute la France, seules 485, soit 47 % de l’ensemble, ont atteint leur objectif quantitatif. « Ces résultats différenciés sont significatifs des difficultés et des tensions rencontrées dans l’application de l’article 55 », constatent les magistrats financiers.

Grande complexité d’application

Autre constat : les aménagements, « nécessaires et louables dans leur intention », ont rendu l’application de l’article 55 de la loi SRU très complexe. Cette complexité, la technicité des règles applicables et la sensibilité politique liée à la question du logement social « imposent que les services de l’État, au plan central comme à celui des services déconcentrés, disposent des ressources et des moyens nécessaires », insiste le rapport. Et d’évoquer des ressources humaines et des moyens pour établir les inventaires des logements, afin de mesurer la tension en matière de logement social ou pour contrôler l’utilisation du prélèvement effectué sur les communes déficitaires, qui doit prioritairement être consacré à la promotion du logement social.

La Cour plaide aussi pour mieux garantir l’efficacité des moyens de coercition confiés au préfet de département lorsqu’une commune est carencée : reprise de la gestion des droits de réservation de logements sociaux attribués à la commune ; majoration du prélèvement ; reprise du droit de préemption urbain ou de l’octroi des permis de construire. Elle reconnaît que ces instruments de coercition sont difficiles d’application et très variables selon les départements.

Dispositif à la fois centralisé et déconcentré

Par ailleurs, le dispositif de l’article 55 est à la fois centralisé et déconcentré, partagé entre les orientations et les directives fixées par l’État central et les importantes compétences d’application confiées aux services déconcentrés. Il est centralisé avec des procédures, des modalités de dialogue avec les collectivités et des objectifs de production de logements sociaux définis au niveau national, avec des possibilités d’adaptation ou de modulation qui demeurent limitées. Mais il est aussi déconcentré car une fois établies ces procédures et fixés ces objectifs, le préfet de département doit décliner concrètement les règles ainsi définies. « Un juste équilibre doit donc être trouvé entre, d’une part, la cohérence globale du dispositif, avec une interprétation des textes et une harmonisation des pratiques établies à l’échelon national et, d’autre part, la nécessité de marges de manœuvre laissées au représentant local de l’État », affirme la Cour des comptes. Elle préconise à l’administration centrale de préciser certains éléments de doctrine, relatifs notamment au mécanisme d’exemption, aux conditions d’utilisation des moyens de l’État en cas de carence, ou assurer au niveau national un suivi des contentieux et en dégager les enseignements nécessaires.

Echec de la mixité urbaine et sociale

Face à la complexité et à la technicité des règles applicables et à la charge de travail, la Cour défend le développement du rôle d’expertise, d’appui technique et d’harmonisation de l’échelon régional de l’État au profit des services déconcentrés départementaux.

Autre constat sévère des magistrats financiers : l’échec de la mixité urbaine et sociale, pourtant objectif premier de la loi SRU, car une certaine politique du chiffre a conduit à concentrer le logement social dans certains quartiers renforçant ainsi la ségrégation et la ghettoïsation

Prolonger le dispositif après 2025

Selon la Cour des comptes, il faut désormais prévoir le prolongement du dispositif après 2025 car de nombreuses communes ne pourront pas atteindre à cette date l’objectif de 20 % ou de 25 % de logements sociaux. Dans son dernier bilan dressé en décembre 2020, le ministère du Logement estime que plus de la moitié des 1100 communes soumises à l’obligation SRU n’ont aucune chance de l’atteindre à l’horizon fixé par la loi. Dans son étude remise à la ministre du Logement, fin janvier, le président de la commission SRU partage ce constat en estimant que moins du tiers des communes concernées atteindront l’objectif légal en 2025.

Pour l’heure, les services déconcentrés de l’État s’assurent surtout du maintien de la production globale de logements sociaux. Le respect strict du pourcentage prévu par rapport à l’ensemble des résidences principales n’est plus la préoccupation principale. Ils sont parfois conduits de ce fait à approuver des programmes locaux de l’habitat ou à conclure des documents contractuels avec les collectivités fixant des objectifs inférieurs à l’objectif légal. Il y a donc un glissement par rapport à la lettre de la loi qui pose la question de savoir si le dispositif lui-même devra être adapté en cas d’objectifs ne pouvant pas être atteints.

Plusieurs pistes envisagées

Pour préparer cette échéance de 2025, les services de l’État devraient identifier et caractériser dès à présent les communes ne pouvant pas remplir leurs obligations. De même, ajoute la Cour, il leur faudrait mesurer précisément l’effet de la loi sur la promotion de la mixité sociale liée au logement afin de savoir si la législation doit ou non évoluer. « La sensibilité, au plan local comme au plan national, de ce sujet justifie que la décision d’adapter ou non le dispositif de l’article 55 ne soit prise qu’à l’issue de cet état de lieux », prévient le rapport. Parmi les pistes envisagées : passer d’une appréciation par stocks (en pourcentage) de logements sociaux à une gestion par flux (nombre de logements sociaux créés). Mais un tel changement signifierait de renoncer à la finalité même de la loi SRU, en abandonnant l’objectif de développement de la mixité sociale. Une autre voie serait une application de la loi prenant mieux en compte les spécificités des différentes communes. Cela passerait par l’admission de nouvelles catégories de logements dans l’inventaire des logements sociaux ou par l’extension des cas d’inconstructibilité fondant une exemption, au risque cependant d’accroître la complexité du dispositif.

Une application différenciée selon les collectivités

Au-delà de ces dispositions, une application différenciée pourrait être conçue selon les collectivités, dans une recherche d’équilibre entre cohérence nationale et contexte local. Cela « supposerait d’aménager les procédures de concertation avec l’État afin que les contraintes et les spécificités locales puissent mieux être prises en compte », précise la Cour des comptes. Ainsi, les « contrats de mixité sociale », conclus entre le préfet et la collectivité afin d’« engager une démarche volontaire pour atteindre ses obligations légales » en matière de logement social, pourraient être un outil adapté, à condition d’être assez précis quant à la définition des objectifs fixés aux communes et à la mobilisation des instruments disponibles. Autres préconisations : réfléchir au bon niveau de concertation, impliquer plus les intercommunalités, recourir à la contractualisation pour organiser une application différenciée de la loi.

Fixation d’objectifs territorialisés

En droite ligne du rapport de la Cour des comptes, Philippe Dallier, sénateur (LR) de Seine-Saint-Denis et rapporteur spécial des crédits du logement et de l’urbanisme pour la commission des finances, a jugé que l’article 55 de la loi SRU doit poursuivre un double objectif : la production de logements sociaux, mais aussi la mixité sociale qui reste peu affectée par l’application de la loi SRU. Selon lui, un simple prolongement de l’échéance reste insuffisant pour résoudre les difficultés d’application de la loi, qui nécessitent la fixation d’objectifs territorialisés. « Afin de garantir sa mise en œuvre, les sanctions sont indispensables, mais les communes doivent aussi être aidées dans le cadre des contrats de mixité sociale alors que la production de logements sociaux, contrairement à la production de logements privés, ne produit pas de recettes de taxe foncière », estime la commission des lois du Sénat.

Devant les sénateurs, le directeur de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP) a indiqué en réponse que des dispositions s’inspirant des propositions du président de la commission nationale SRU, définissant un objectif « glissant » pour chaque période triennale, seraient proposées dans le projet de loi 4D (décentralisation, déconcentration, différenciation et décomplexification). Auditionnée, la Fondation Abbé-Pierre a approuvé l’intégration de cet objectif dans la loi, soulignant par ailleurs les qualités de simplicité et de pragmatisme de l’article 55 de la loi SRU.

Philippe Pottiée-Sperry

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