Recherche médecin désespérément

Philippe Pottiée-Sperry
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La pénurie de médecins généralistes et spécialistes affecte la plupart des régions, et en particulier les zones rurales, avec pour conséquence de fortes inégalités en matière de santé.
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Chercher désespérément un médecin, se rendre aux urgences faute d’avoir trouvé ou retarder le moment de se soigner : de plus en plus de citoyens expérimentent ces situations difficiles. Milieu rural, petites villes mais aussi banlieues et villes moyennes : partout, le nombre de médecins généralistes pour 1000 habitants diminue depuis 2005. « Les professionnels de santé souffrent eux aussi de cette pénurie médicale. Beaucoup doivent refuser des patients, ce qui leur est très difficile psychologiquement. Certains ne savent pas dire non et sont épuisés », constate Isabelle Dugelet, maire de La Gresle et membre du conseil d’administration de l’AMRF (Association des maires ruraux de France). Après les soignants, ce sont vers les élus locaux que les habitants désemparés se tournent. En septembre dernier, l’AMRF a ainsi publié « Accès aux soins en milieu rural, la bombe à retardement ? », une étude réalisée en partenariat avec le géographe de la santé Emmanuel Vigneron.

Inégalité d’espérance de vie

« Face aux éléments de langage des parlementaires, des préfets, des ARS, des ministères, l’objectif était d’aller chercher de la manière la plus honnête possible, les chiffres nous permettant d’apporter la contradiction. Les résultats nous prouvent qu’on avait raison, hélas, et que cette situation va encore se dégrader », se désole Dominique Dhumeaux, maire de Fercé-sur-Sarthe (72) et premier vice-président de l’AMRF. Les zones rurales sont les plus touchées. Quelle que soit la catégorie de médecin, la densité (pour 1000 habitants) est inférieure à la campagne par rapport aux territoires hyper urbains. Surtout, l’étude révèle une donnée à laquelle les élus ne s’attendaient pas : les habitants du rural vivent deux ans de moins que ceux des villes. Plus précisément, l’inégalité d’espérance de vie entre rural et urbain est de 2,2 ans chez les hommes et 0,9 an chez les femmes. Autre chiffre significatif : 20% de soins hospitaliers en moins consommés par les habitants du rural par rapport à ceux des villes (à âge et sexe égal).

Vieillissement de la population

« Dans les zones en tension, les médecins ne peuvent plus prendre de nouveaux patients. Un généraliste qui part, ce sont 2000 patients sans solution. Par ricochet, ça dégrade tout le parcours de soin », explique Dominique Dhumeaux. En cause, l’augmentation et le vieillissement de la population (9,4% des Français ont plus de 75 ans, contre 3,6% en 1945), soit la tranche d’âge la plus consommatrice de soins médicaux. A cela s’ajoute un numerus clausus qui a longtemps limité le nombre de médecins : il a été supprimé depuis la rentrée 2020 mais il faudra plusieurs années pour en ressentir les conséquences. De plus, les médecins vieillissent également : 55% des praticiens en milieu hyper rural ont aujourd’hui plus de 55 ans.

Une évolution forte du métier

Autre constat : une forte évolution du métier. « Avant, le médecin de campagne faisait jusqu’à 70 heures par semaine. La nouvelle génération a envie d’avoir plus de temps pour soi, et elle a bien raison. Mais pour remplacer un médecin qui s’en va, il en faudrait deux », analyse Nathalie Nieson, maire de Bourg-de-Péage (26) et vice-présidente de l’APVF (Association des petites villes de France). Ce manque structurel de médecins s’accentue dans les zones moins attractives. « Ils préfèrent s’installer dans les villes avec un CHU, ou bien là où il y a du soleil, la mer ou la montagne », résume Xavier Nicolas, trésorier adjoint de l’APVF et maire de Senonches (28). La féminisation de la profession (48% de médecins femmes en 2020 contre 40,5% en 2012), qui induit des modes de pratiques différentes (les femmes exercent souvent moins longtemps, et privilégient une localisation en ville, note l’étude) va encore accroître les inégalités territoriales.

Foisonnement d’initiatives

Au niveau local, chacun y va de sa solution. A Senonches (28) la communauté de communes des Forêts du Perche a bâti une maison de santé d’un budget de 1,6 M€ financé aux trois quarts par l’Etat, la région et le département. Elle héberge une quinzaine de professionnels en libéral, dont trois généralistes. Les loyers servent à rembourser l’emprunt contracté par la collectivité. D’autres territoires ont choisi de salarier des médecins. Certains en cherchent encore pour leurs locaux neufs, mais vides. Plutôt que de prendre ce risque, la maire de Bourg-de-Péage a préféré accepter la proposition du groupe de cliniques privées Ramsay qui prévoit d’ouvrir un centre de santé d’ici fin 2021, dans le cadre d’un dispositif expérimental soutenu par l’Etat. Les médecins recrutés seront assistés d'infirmiers et de personnel administratif pour leur permettre de se consacrer aux soins. La commune met à leur disposition les locaux gratuitement.

Cabine de télémédecine

A Saint Hylaire de Bretmas (30), le maire Jean Michel Perret a accompagné l’initiative d’un pharmacien qui voulait quitter le centre-ville où la clientèle se faisait rare : « Il a loué un bâtiment sur l’un des deux grands axes routiers et a financé les travaux pour aménager sa pharmacie et quatre cabinets médicaux. Nous avons travaillé main dans la main avec lui pour faire venir des médecins, à qui il sous-loue les locaux. » Pour l’instant, deux jeunes femmes s’y sont installées. Au Favril (28), John Billard, secrétaire général de l’AMRF, a placé dans sa mairie une cabine de télémédecine de la société H4D. L’investissement d’environ 100 000 € a été financé par l’Etat, le département, l’interco et la commune. Le projet est soutenu par l’ARS et la Banque des Territoires a financé les études. La cabine dotée d’instruments de mesure (température, tension, etc.) et connectée à un médecin en visio, a permis à 200 personnes de se faire soigner en deux ans.

Liberté d’installation des médecins

Ces pansements ne doivent pas empêcher une réflexion au niveau global. La liberté d’installation est en ligne de mire. « A l’APVF, nous défendons une règle de répartition des médecins, comme pour les pharmaciens », lance Xavier Nicolas. « Une solution serait que les médecins s’installent là où il y a des besoins, comme les professeurs. Autre idée, le conventionnement sélectif : tant de médecins pour tant d’habitants, et au-delà plus de conventionnement », prescrit, pour sa part, Isabelle Dugelet, maire de La Gresle. Depuis juin 2021, l’AMRF cherche à réunir un maximum d’acteurs (infirmiers, médecins libéraux, SAMU, élus locaux...) pour trouver des compromis. « L’idée est que chacun mette ses tensions dans sa poche et travaille dans l’intérêt général. » espère Dominique Dhumeaux. De quoi aussi en faire un sujet plus important dans la campagne présidentielle.

Que fait l’Etat ?

Selon le premier vice-président de l’AMRF, le projet de loi « 3DS » (différenciation, décentralisation, déconcentration, simplification), adopté par le Sénat et devant les députés en décembre, reste beaucoup trop timides. Ce texte comporte plusieurs dispositions autorisant les collectivités à participer au financement du programme d’investissement des établissements de santé publics et privés, à créer des centres de santé et à y recruter des professionnels médicaux. « Ça permettra à l’Etat de dire qu’il n’est pas le seul responsable », prévient Dominique Dhumeaux. De nombreuses collectivités n’ont pas attendu d’avoir officiellement ces compétences pour s’en emparer. Et cet ajustement législatif ne remédiera pas à la carence de fond. « S’il n’y a pas de médecins, on peut nous donner tout le pouvoir qu’on veut, ça ne change rien », pointe, elle aussi, Nathalie Nieson, vice-présidente de l’APVF.

Besoin d’un maillage territorial

Autre action de l’Etat : la stratégie Ma Santé 2022, annoncée en 2018. Il est question d’inciter financièrement les professionnels libéraux à s’engager dans des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) pour organiser les soins de ville ; d’accélérer la création de maisons et de centres de santé en augmentant leur financement ; et de s’appuyer sur les infirmiers en pratique avancée, les assistants médicaux et les pharmaciens pour certains actes auparavant réservés aux médecins. « Ces professionnels sont attachés à des médecins déjà en exercice. Ce qu’il faut c’est un maillage territorial », insiste Isabelle Dugelet. « Toutes ces mesures vont amortir un peu le choc mais ne vont pas régler le problème de fond », regrette Dominique Dhumeaux.

Carole Rap

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