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Réouvertures des écoles : mission impossible ?

Philippe Pottiée-Sperry
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La fermeture des écoles depuis deux mois est « une catastrophe pour les plus vulnérables des enfants et des adolescents » et le décrochage scolaire « probablement une bombe retardement », a déclaré le Premier ministre, le 4 mai devant les sénateurs pour justifier la nécessité d’une réouverture à compter du 11 mai.

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« Une réouverture très progressive des écoles maternelles et élémentaires partout sur le territoire et sur la base du volontariat », a-t-il rappelé. Des précautions loin de suffire pour rassurer et convaincre les maires.

La réouverture s’effectuera pour les collèges (classes de 6ème et 5ème), à partir du 18 mai, dans les départements « verts », où le virus circule peu. Les collégiens devront porter un masque lorsque les gestes barrière ne pourront pas être appliqués. Enfin, pour les lycées, et en priorité les lycées professionnels, leur situation sera examinée fin mai pour une éventuelle reprise début juin.

Protocole sanitaire très strict

Concernant la préparation de cette rentrée, la « majorité des écoles primaires » seront au rendez-vous le 11 mai (pré-rentrée des enseignants le 11 mai et des élèves le 12 ou le 13 mai), assure pour sa part le ministre de l’Education nationale avec un maximum de 15 élèves par classe. Volontariste, Jean-Michel Blanquer se veut confiant. Mais le sujet ne cesse de diviser et beaucoup de maires pensent ne pas rouvrir leurs écoles ou le faire de façon extrêmement progressive. Et ce n’est surement pas le protocole sanitaire très strict (lavage de mains, jeux proscrits, désinfection du matériel…), et comptant pas moins de 56 pages, qui est là pour les rassurer tellement il apparaît complexe voire impossible à mettre en œuvre dans bon nombre de cas.

Levée de boucliers en Ile-de-France

Dans une lettre ouverte au président de la République publiée dans la Tribune du 3 mai, aujourd’hui signée par près de 400 maires d’Ile-de-France, dont Anne Hidalgo, la maire de Paris, les élus refusent une réouverture des écoles « à marche forcée ». Ils demandent « solennellement » à Emmanuel Macron de repousser à une date ultérieure la réouverture des écoles. Selon les élus, le calendrier prévu est « intenable et irréaliste » pour la plupart des communes d’Ile-de-France, avec l’impossibilité d'accueillir les élèves dans de bonnes conditions. Conséquence : ces communes ne réouvriront pas leurs écoles le 11 mai. « Nous n'avons pas encore toutes les informations pour préparer la population, et que les directives sont mouvantes », critiquent les maires signataires de la lettre ouverte. A Paris, seulement 15% des élèves devraient pouvoir rejoindre les bancs des écoles à compter du 14 mai.

Stéphane Beaudet, maire d'Evry-Courcouronnes et président de l’AMIF (Association des maires d’Ile-de-France), à l’initiative de la lettre ouverte, pointe le casse-tête d’un « protocole sanitaire particulièrement difficile à mettre en œuvre » et un dispositif « très coûteux », aussi bien humainement que financièrement, dans les circonstances actuelles. Les maires franciliens appellent donc Emmanuel Macron à repousser le retour en classe « dans les départements classés rouges et en particulier de l'Île-de-France ».

Sachant que la décision de réouvrir les écoles se justifie en grande partie pour lutter contre les inégalités sociales, les maires franciliens demandent aussi « au gouvernement de prioriser clairement les enfants qui pourront reprendre le chemin de l'école », notamment en fonction de la situation sociale et « du contexte familial de chaque enfant ». Ils réclament également « des moyens financiers suffisants » pour les communes afin d’assurer l'accueil périscolaire dans le strict respect du protocole sanitaire, « qui induit nécessairement un coût et une mobilisation de personnel supplémentaires ».

Visite d’Emmanuel Macron dans une école de Poissy

Ce mouvement fort d’inquiétude n’empêche pas d’autres élus d’approuver la réouverture des établissements scolaires en dépit des conditions sanitaires. Dans les Yvelines, le maire de Poissy, Karl Olive, en fait partie. Ce n’est pas pour rien qu’Emmanuel Macron a choisi de se rendre, aujourd’hui 5 mai, dans une école de cette commune qui a accueilli une trentaine d'enfants de personnels soignants depuis le 17 mars et le début du confinement. Selon Karl Olive, qui s’est exprimé le 4 mai sur BFMTV, « il faut y aller en paliers. Il y a quatre sections qui sont concernées [par la reprise des cours] : les grandes sections maternelles, les CP, les CE1, les CM2. Donc on n'est pas sur l'ensemble de l'école ». Le maire de Poissy estime que d’y aller est le moyen de « retrouver la confiance ». « Je pense qu'aujourd'hui on est en première ligne et qu'il faut aller au combat », lance Karl Olive pour justifier son choix.

Des maires « pris en otages »

Dans les autres régions, l’inquiétude des élus est également au rendez-vous. Pour Philippe Saurel, maire de Montpellier, la réouverture des écoles continue d’être « déraisonnable ». Dans une interview au JDD du 3 mai, il estime que « les éléments ne sont pas réunis pour définir un agenda, une organisation pragmatique ». Sévère, il considère que les maires sont « pris en otages » et « obligés d'obéir en faisant notre maximum pour que les protocoles sanitaires soient respectés ». Et d’ajouter : « Je n'ai pas le choix ! Si je prends un arrêté de fermeture, il sera cassé par l'Etat et je peux être sanctionné. Comme je connais la règle, je ne veux pas me défiler vis-à-vis des familles et des enfants. Nous faisons tout pour que la rentrée se passe bien ». Il prévient déjà que parmi les 126 écoles de Montpellier, il n’ouvrira pas celles trop près d'un cluster et difficiles à aménager.

A Nantes, la maire Johanna Rolland évoque aussi « une rentrée progressive » sachant qu’il ne sera « pas possible » que tous les enfants retournent à l’école le 11 mai « si on veut respecter correctement les normes sanitaires ».

Toulouse réouvrira juste un tiers de ses écoles

Pour sa part, Jean-Luc Moudenc, le maire de Toulouse, également président de France urbaine, a annoncé que seul un tiers de ses écoles réouvriront (68 sur 206) le 12 mai. La jauge d'accueil a été fixée à 45 enfants par école et 90 par groupe scolaire. La sélection des enfants retrouvant le chemin de l'école sera opérée par l'Education nationale sur des critères pédagogiques (élèves en difficulté) mais aussi en fonction du métier des parents (soignants, forces de l'ordre, agents des services publics). Les autres écoles de Toulouse devraient réouvrir à partir du 25 mai dans les conditions qui seront fixées par la mairie et l’Education nationale.

« Les cantines fonctionneront sur le mode des repas froids », précise Jean-Luc Moudenc. L’explication est simple : une préparation plus facile et une consommation plus souple. Les enfants pourront manger dans les salles de réfectoire dans le respect des règles de distanciation sociale ou à leur place dans les salles de classe. Jean-Luc Moudenc a ajouté que les familles seront exonérées du paiement de la restauration scolaire et des centres de loisirs pour les mois de mai et juin.

Fermeture jusqu’en septembre

En Seine-Saint-Denis, département francilien durement touché par l’épidémie, huit maires (Bobigny, Drancy, Saint-Ouen, Noisy-le-Sec, Le Bourget, Livry-Gargan, Coubron, Le Raincy) ont envoyé une lettre au préfet et à l'Education nationale pour affirmer que leurs crèches et maternelles « resteront fermées jusqu'en septembre ». Leur cas est loin d’être isolé. Des élus de l'Oise, du Nord ou du Haut-Rhin ont également annoncé que, pour des raisons de sécurité sanitaires, leurs écoles ne réouvriraient pas non plus le 11 mai. Dans le Bas-Rhin, le président (LR) du conseil départemental, Frédéric Bierry, n’a pas hésité à « inviter » les parents d’élèves de son département « à ne pas scolariser leurs enfants avant le 25 mai » s’ils le peuvent « pour éviter de nouvelles chaînes de contamination ».

Selon Stanislas Guérni, délégué général de LREM et député de Paris, « si les maires décident de laisser des écoles fermées, ils ne devront pas être sanctionnés. La publication des données sanitaires département par département doit conditionner l’approche à avoir ».

Crainte d’une mise en cause de la responsabilité pénale

Parmi les diverses inquiétudes des maires : la mise en cause de leur responsabilité si un problème ou une infection survenait dans une école. A ce sujet, il y a une forte demande de l’AMF, relayée par son président François Baroin, d’une « initiative législative pour renforcer et adapter la protection juridique des maires ». Pour sa part, l’APVF plaide pour « la sécurisation de l’action des élus engagés au service de l’intérêt général ».

Des amendements sénatoriaux sont à l’heure actuelle discutés au Sénat dans le cadre du projet de loi sur le prolongement de l’état d’urgence sanitaire qui doit être adopté d’ici la fin de la semaine. Hervé Maurey, sénateur (UC) de l'Eure et président de la commission de l'Aménagement du territoire et du développement durable, a ainsi déposé sous forme d'amendement sa proposition de loi pour renforcer la protection juridique des acteurs privés et publics durant l'état d'urgence sanitaire. Hervé Maurey a également déposé un amendement visant à subordonner la réouverture d'une école à l'accord du maire.

Les demandes de l’AMF

Le bureau de l’AMF, réuni le 30 avril, a demandé que « les services de l’Etat valident formellement la conformité au protocole prescrit par le ministère de l’Éducation nationale, des conditions d’accueil et des mesures sanitaires de chaque école, afin que les maires n’en portent pas seuls la responsabilité ». Le Premier ministre a précisé que ce sont le maire, le directeur de l’école et le représentant local de l’Education nationale qui décideront de réouvrir ou non une école. Des différenciations seront possibles entre communes à l’intérieur d’un même département, et parfois même à l’intérieur d’une même commune, a-t-il tenu à préciser, en gage de souplesse.

« La doctrine, c'est qu'il y a un règlement national et des adaptations locales, faites par le maire en lien avec le préfet, le rectorat… Il n'y aura pas un modèle unique », a insisté quant à lui Gérard Collomb, président délégué de France urbaine, lors d’une visioconférence des élus avec Edouard Philippe, le 29 avril. Selon le maire de Lyon, « préparer une école est extrêmement difficile car chaque cas est spécifique, notamment pour que les élèves ne se croisent pas, cela dépend notamment du nombre d’entrées. Organiser tout cela signifie une importante logistique ».

Devant les députés, le 29 avril, Edouard Philippe avait insisté sur sa volonté de « laisser aux maires » le soin de dire aux responsables de l’Education nationale comment la rentrée peut s’organiser au cas par cas dans les différentes écoles. Dans les départements classés « rouges », ceux où la circulation du virus restera élevée, il s’est dit enclin à entendre ceux qui diront ne pas être « prêts ». Un message de souplesse qui ne suffit toujours pas à convaincre et rassurer les élus.

Philippe Pottiée-Sperry

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