« Il faut corriger le mode d’emploi du plan de relance »

Philippe Pottiée-Sperry
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Entretien avec Christophe Bouillon, président de l’Association des petites villes de France (APVF). Il est maire de Barentin (12 300 hab., Seine-Maritime) et préside la communauté de communes Caux Austreberthe.

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Comment jugez-vous le plan de relance ?

Nous saluons un plan massif et réactif. Mais pour être efficace, il doit être rapidement opérant, et c’est là que le bât blesse. Il y a un retard à l’allumage, aggravé par la seconde vague de l’épidémie. De plus, le plan ne tient pas assez en compte du fait que le bloc communal assure à lui seul 55% de la commande publique qui constitue la clé de la relance par les territoires. Je crains une perte d’efficacité en passant trop par les régions. Malgré leurs compétences économiques et leur capacité de mobilisation, il y a un risque de ne pas descendre au niveau des communes. De plus, la contractualisation rime parfois avec dilution des moyens. Avec trop d’appels à projets et d’appels à manifestation d’intérêt qui soldent souvent par une sous-consommation des crédits compte tenu de leur complexité. Et les bénéficiaires ne sont pas forcément les territoires vulnérables en ayant le plus besoin. Concernant la gouvernance, les communes ne veulent pas juste d’un strapontin à côté du tandem préfet de région/président de région qui concentre tout le pouvoir.

Les petites villes ne sont donc pas assez prises en compte ?

Il ne faut pas les oublier dans la concertation et la déclinaison concrète du plan de relance. Beaucoup d’élus nous font remonter que les préfectures leur disent que les premiers arrivés seront les premiers servis ! C’est donc une prime à l’ingénierie et aux collectivités ayant le plus de moyens. Attention au risque de manquer les bonnes cibles que sont le bloc communal et les territoires les plus en difficulté. L’APVF demande au gouvernement d’établir une cartographie précise de l’impact de la crise par territoire afin de concentrer les moyens sur ceux qui sont les plus touchés. Il faut donc revoir le mode d’emploi du plan de relance même s’il comporte déjà de bonnes choses. De plus, nous attendons beaucoup du profil des sous-préfets à la relance qui doit savoir répondre aux territoires les plus vulnérables, en bonne complémentarité avec les maires. Ils auront besoin des outils et des moyens de décision nécessaires pour pouvoir avancer vite.

Il doit aussi aller plus vite car les communes commencent à préparer leurs budgets qui seront adoptés entre janvier et mars. Pour porter la relance – construction et aménagement de routes, de gymnases, d’écoles… –, il nous faut de la visibilité sur les aides de l’Etat, par exemple pour pouvoir lancer des chantiers de rénovation thermique des bâtiments. Les entreprises locales n’attendent que cela.

Le couple maire-préfet continue-t-il de fonctionner ?

Au printemps, le déconfinement a sacralisé ce couple. Une démarche très positive pour laquelle nous avions été étroitement associés. Mais le reconfinement n’est pas passé par la case élus et le couple maire-préfet ne fonctionne plus. C’est dommage. D’autant que la préparation de la seconde vague aurait dû permettre un travail en commun pour mettre sur la table les différents scénarios possibles comme nous l’avions fait sur le retour à l’école en mai. La conférence nationale des territoires a beau avoir été relancée, cela reste un échange courtois et non pas un lieu de co-construction. Le Premier ministre doit faire revivre le couple maire-préfet car cela fonctionne mieux en faisant appel à l’intelligence territoriale.

Le programme « Petites villes de demain » (PVD) constitue une bonne nouvelle ?

C’est une demande ancienne de l’APVF. « Enfin ! », ai-je dit à Jacqueline Gourault en l’accueillant le 1er octobre à Barentin pour le lancement du programme. Construit en concertation par les équipes de la ministre, avec certains partenaires (Cerema, Banque des Territoires…), il présente tout d’abord l’avantage d’avoir une vision globale et une approche pluridisciplinaire. Ce programme concerne 1000 communes ou intercos ayant pour point commun une vulnérabilité qui repose sur des questions de centralité, de dévitalisation commerciale mais aussi des problèmes de logement. Doté de 3 Md€, il concentre des moyens mais aussi de la souplesse. PVD comporte plusieurs volets qui concernent du droit commun renforcé mais aussi de l’ingénierie, ce qui est important pour beaucoup de petites villes ne disposant pas de moyens d’expertise. L’intérêt est d’avoir une vision portée par la commune pour rebondir. Dans le détail, il comporte des volets sur le numérique, les commerces, le logement, les mobilités, la rénovation des friches… Les point d’entrée du programme sont les préfectures.

Pour ce programme, quel est le rôle de l’Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT) ?

Petites villes de demain est le premier programme porté par la toute jeune ANCT dont nous attendons beaucoup. A elle de s’assurer qu’elles disposent des moyens suffisants pour nous accompagner, ce qui n’est pas évident dans le contexte sanitaire actuel. Pour réussir PVD, il faut avant tout être pragmatique en ne réinventant pas des dispositifs mais en utilisant ceux qui existent déjà et en les accélérant. L’ANCT doit donc veiller au grain pour que ça ne se perde pas dans les méandres des préfectures.

Que pouvez-vous faire pour les petits commerces ?

Aujourd’hui, beaucoup de petits commerçants ont peur que ça soit le coup de grâce. Je comprends leur colère. Il y a aussi le poids des mots, l’usage du qualificatif essentiel ou non essentiel est d’une violence inouïe. Le passage au digital, c’est indéniablement un plus mais ce n’est pas tout. La force même des commerces est de lutter contre la dévitalisation des centres-villes et d’avoir un rapport direct avec la clientèle. Je rappelle que la vacance commerciale atteint parfois jusqu’à 25% ! Il est urgent de se mobiliser pour relancer l’activité commerciale en termes d’aménagement, d’animations, de vitrines, de mise en place de managers de centre-ville… Parmi les choses positives de la crise, nous observons un vrai développement des filières courtes avec les producteurs locaux. De plus en plus de communes mettent en place des plateformes pour valoriser ces filières.

Que reprochez-vous au projet de loi de finances pour 2021 ?

Je regrette qu’il ne comporte pas la reconduction de la clause de sauvegarde des recettes dont ont bénéficié les collectivités face aux pertes subies du fait de la crise, comme l’avait proposé le rapport au gouvernement de Jean-René Cazeneuve. Elle devrait aussi intégrer les pertes de recettes tarifaires. On sait bien que la situation de 2021 ne sera pas meilleure que celle de 2020 ! Cette clause devrait durer le temps que nos recettes retrouvent leur niveau habituel, sinon les collectivités ne pourront pas participer à la relance comme elles le souhaitent. Pour arranger le tout, le gouvernement vient de décider que la compensation des pertes de recettes passerait de 750 M€ à 230 M€, alors que notre situation continue de s’aggraver, notamment avec le reconfinement. Cela n’est pas un bon signal pour les collectivités ayant besoin de reconstituer leurs capacités d’investissement.

Et concernant la baisse des impôts de production ?

Pour cette baisse prévue dans le PLF, nous craignons, comme toutes les associations d’élus, que la compensation ne soit pas intégrale, dynamique et respectueuse de l’autonomie financière des collectivités. Pour l’instant, le compte n’y est pas vraiment. Le levier d’attractivité économique dans les territoires repose sur la qualité des infrastructures. La perte d’une partie de la fiscalité économique nous coupera les jambes et risque de nous faire perdre beaucoup. Enfin, Emmanuel Macron nous avait promis, en novembre 2018, un grand chantier sur la refonte des critères de répartition de la DGF. Il faudrait par exemple mieux prendre en compte les charges de centralité. Pour l’instant, nous n’avons aucune réponse.

Propos recueillis par Philippe Pottiée-Sperry

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